L'effondrement brusque du régime syrien est un exemple saisissant des conséquences de l'oppression infligée aux peuples arabes par des régimes dictatoriaux durant des décennies. En Syrie, le colonel Bachar al-Assad (2000-2024), héritier de son père le général Hafez al-Assad, président de la Syrie de 1971 à 2000, s'est accroché à son poste malgré le déclenchement d'une guerre civile en 2011, qui a causé plus de 500.000 morts et forcé près de treize millions de personnes à fuir ou à se déplacer à l'intérieur du pays. Plutôt que d'assumer la part de responsabilité du régime dans cette crise, Assad a opté pour le déni et a bombardé des villes entières, réprimant dans le sang toute contestation. Ce faisant, il a transformé la Syrie en un champ de ruines et, malgré cela, il a l'outrecuidance de se présenter comme une victime. L'autisme politique des dirigeants arabes est pathétique. Le général Zine El-Abidine Ben Ali, président de la Tunisie pendant 23 ans, avait déclaré face à la montée des contestations : « Je vous ai compris. » Cette manœuvre de dernière minute, censée symboliser une promesse de changement dans sa relation avec le peuple, a rapidement perdu son sens, car moins de 24 heures plus tard, il s'enfuyait du pays avec sa famille. Qu'a-t-il vraiment compris ? Qu'il devait partir ou alors « j'ai compris que je suis en danger, mais je ne céderai pas sans résistance » ? Rendons grâce à son sens de la responsabilité ; son départ a certainement épargné à la Tunisie d'autres morts.
Dans une tribune marquante publiée dans Le Monde le 12 juillet 2011, Rim Khouni Messaoud, docteure en histoire contemporaine à l'université Paris-III et spécialiste de l'Iran et du Moyen-Orient, soulève une question cruciale : à quel moment l'obstination d'un peuple se transforme-t-elle en faiblesse d'un Etat en proie à un autisme politique ? Leurs régimes, pourtant vieux de plusieurs décennies, s'effondrent en quelques jours comme des châteaux de cartes. En Egypte, le maréchal Hosni Moubarak (1981-2011) a essayé de manœuvrer face à la pression populaire en annonçant des réformes et en cherchant à maintenir son contrôle, mais c'était sans compter sur la colère du peuple. Ce calcul politique, marqué par un refus obstiné de céder le pouvoir, a conduit à sa chute en février 2011, uniquement après 18 jours de manifestations intenses sur la place Tahrir. De même, le colonel Mouammar Kadhafi (1969-2011) en Libye a adopté une attitude belliqueuse, promettant d'écraser les insurgés qu'il qualifiait de « rats » et de « vermines ». Son intransigeance a débouché sur sa mort en octobre 2011, marquant la fin de 42 ans de régime. Au Yémen, le maréchal Ali Abdallah Saleh (1978-2012), président depuis 1978, a tenté de manœuvrer, mais n'a pas su comprendre les exigences de justice sociale et de démocratie de son peuple, ce qui a engendré une guerre civile. D'autres exemples, comme ceux du maréchal Omar Al Bachir (1989-2019) ou du maréchal Saddam Hussein (1979-2003), illustrent également ce phénomène.
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. L'autisme politique, la formule de Rim Khouni Messaoud, est juste, mais il faut y ajouter le narcissisme et la cécité chez des dirigeants brutaux sans culture politique. Beaucoup d'entre eux développent une mégalomanie, une illusion de grandeur, d'invincibilité ; ils sont persuadés qu'ils sont investis d'une mission divine et qu'ils peuvent échapper aux pièges qui ont frappé leurs prédécesseurs ou voisins. Cette perception déformée les conduit à croire qu'ils peuvent gérer les crises de manière unique, malgré des facteurs sous-jacents inchangés. Rapidement, ils s'identifient à leur nation, à tel point que toute contestation devient un acte de lèse-majesté, une trahison. Ils se persuadent d'incarner la volonté populaire, incapables de réaliser que leur peuple puisse, un jour, les rejeter. C'est le chemin de l'isolement, leur talon d'Achille. En décapitant les institutions et en s'entourant de thuriféraires, ces dirigeants se piègent. Cette bulle de confort les prive d'une perspective critique, les empêchant ainsi d'apprendre des erreurs antérieures et finit par les étouffer. Le refus de la réalité est également fréquent. Face aux premiers signes de révolte, certains choisissent de minimiser ou d'ignorer les problèmes ou encore de développer des thèses complotistes ; ils sont incapables de reconnaître leur propre responsabilité. Ces dirigeants arabes partagent deux caractéristiques qui s'alimentent mutuellement : ils accèdent et se maintiennent au pouvoir par la force et une cécité politique. Ils sont rusés et d'habile tacticiens, mais ne réalisent pas que la politique n'est pas que ruses.
En analysant la carte politique du monde arabe, de l'Atlantique au Golfe, on observe, et ce même s'il y a des disparités, qu'il n'y a aucune démocratie et que la durée moyenne d'exercice du pouvoir des présidents est d'environ 29 ans. Inutile de préciser que rares sont les dirigeants arabes qui ont quitté le pouvoir de leur propre gré. Est-il illogique de penser que notre région partage des problématiques communes — absences de libertés individuelles, injustices sociales, chômage, corruption, archaïsme, patriarcat et répression — qui sont à la racine du sous-développement ? Ainsi, la formule « j'ai compris », cyniquement reprise par de nombreux autocrates sur le départ, révèle souvent une incapacité à comprendre justement. Ceci souligne l'urgence de repenser la gouvernance dans le monde arabe. Les peuples arabes ont pris goût aux soulèvements. Ils rejettent les mécanismes de manipulation et de division de leurs dirigeants. Portés par un désir collectif de changement, ils revendiquent des systèmes politiques fondés sur la transparence, l'inclusion et le respect des droits fondamentaux. Malheur aux dirigeants qui n'ont pas intégré ces nouvelles règles du jeu, parce que rien ne pourra freiner ces élans populaires vers la DEMOCRATIE : c'est simplement une question de temps.