Les récentes décisions du président Kaïs Saïed sont en inadéquation totale avec les prévisions du gouvernement annoncées dans la Loi de finances 2025. Sans aucune étude d'impact préalable et chiffrée, les décisions présidentielles ont un coût que le ministère des Finances doit supporter alors qu'il n'a pas les moyens pour cela. Il devra, inévitablement, recourir aux crédits en contradiction totale avec une autre décision de Kaïs Saïed, celle de ne compter que sur nous-mêmes. Le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, a entamé l'année 2025 avec une série d'annonces et de décisions qui suscitent de vives interrogations sur leur impact sur les finances publiques déjà fragiles. En contradiction flagrante avec les prévisions budgétaires de la Loi de finances 2025, ces mesures apparaissent comme des défis supplémentaires pour un pays dont l'économie peine à sortir d'une crise profonde.
Des décisions lourdes de conséquences Dès janvier 2025, Kaïs Saïed a annoncé plusieurs mesures, à commencer par l'intégration des enseignants suppléants dans la fonction publique. Cette mesure concerne 14.266 suppléants, selon le décret n°2025-21 publié au Journal officiel de la République tunisienne (JORT). Bien qu'elle réponde à des revendications sociales légitimes, elle alourdit considérablement la masse salariale de l'Etat. Selon les prévisions incluses dans le budget 2025, ce sont 21.376 recrutements qui devraient être effectués cette année, un chiffre étonnamment élevé au vu des contraintes budgétaires et qui ne prend pas en considération les 14.266 annoncés par le décret relatif aux enseignants. Outre cette décision, le président a relancé le sujet de la restauration du stade olympique d'El Menzah, un projet dont le coût se chiffre à quelques centaines de millions de dinars. Cette dépense, ajoutée à d'autres décisions budgétivores, risquent de provoquer une Loi de finances rectificative, un processus qui traduit une absence de planification rigoureuse à la tête de l'Etat. En 2024, un projet similaire avait été entrepris pour la piscine municipale du Belvédère, financé grâce au mécénat de la banque privée Biat. Pour le stade d'El Menzah, aucune solution de financement n'a été avancée, ce qui laisse planer le doute sur la manière dont l'Etat trouvera les fonds nécessaires. Dans le domaine des services publics, Kaïs Saïed a également appelé à des recrutements dans des secteurs stratégiques tels que la santé et l'éducation, soulignant la nécessité de rétablir la justice sociale et de corriger des décennies de marginalisation. Le président de la République a également demandé au chef du gouvernement, lors d'une rencontre tenue le 22 janvier 2025, de trouver les moyens de mieux financer les caisses sociales et de rouvrir les portes du recrutement dans la fonction publique. Cependant, ces initiatives, bien qu'elles soient porteuses d'espoir pour une partie de la population, s'accompagnent de coûts énormes pour un Etat déjà au bord de l'asphyxie financière.
Des contradictions flagrantes La gestion budgétaire de Kaïs Saïed met en évidence des contradictions profondes. D'un côté, le président clame haut et fort son rejet des emprunts étrangers et du recours au FMI, insistant sur la nécessité pour la Tunisie de "compter sur ses propres ressources". De l'autre, la Loi de finances 2025 prévoit un recours massif à l'endettement. Le ministère des Finances estime que 28,003 milliards de dinars devront être empruntés pour couvrir le déficit budgétaire, dont 21,872 milliards sur le marché intérieur et 6,131 milliards sur les marchés étrangers. Ce qui implique un effet d'éviction important pour l'économie tunisienne et rend encore plus difficile l'accès au financement. Cette contradiction se retrouve également dans le rejet de la privatisation des entreprises publiques. Ces dernières, souvent déficitaires, continuent de peser lourdement sur les finances publiques. En refusant toute réforme structurelle ou privatisation, tout en multipliant les dépenses non prévues, le président fragilise davantage les équilibres économiques du pays. D'autres décisions budgétivores incluent le coût de la compensation des produits de première nécessité, que le président refuse d'abandonner malgré les contraintes budgétaires. Cette politique, bien qu'elle soit justifiée par des raisons sociales, n'est pas soutenue par une stratégie claire de financement. Au lieu de chercher à réduire les dépenses inutiles ou d'augmenter les recettes, le gouvernement semble s'enliser dans une spirale d'endettement.
Une absence d'études préalables Un autre point critique concerne l'absence d'études détaillées et d'analyses d'impact avant l'annonce de ces mesures. La décision de restaurer le stade d'El Menzah, par exemple, a été prise sans qu'aucun chiffrage précis ne soit communiqué. Le chantier en lui-même a connu différentes péripéties depuis son entame, malgré deux visites présidentielles sur les lieux. De telles initiatives, prises dans l'urgence et sans considération pour les implications économiques, traduisent un manque de planification et d'organisation à la tête de l'Etat. Cette tendance est d'autant plus préoccupante que les décisions budgétaires devraient, en théorie, s'inscrire dans le cadre des prévisions annuelles de la Loi de finances. Le déficit budgétaire pour 2025 est déjà estimé à 10,150 milliards de dinars, contre 11,515 milliards en 2024. Or, avec les nouvelles décisions budgétivores annoncées par le président, ce chiffre risque de s'aggraver encore. En l'absence de financements clairs, le ministère des Finances sera contraint d'augmenter le recours à l'emprunt, exacerbant ainsi la dette publique. De plus, l'arrêt de nombreux projets entamés mais jamais achevés représente une autre faiblesse majeure. Les coûts de ces projets inachevés s'accumulent sans apporter de valeur ajoutée, tandis que l'argent est dilapidé dans des structures ou institutions inutiles, un sujet que le président de la République, Kaïs Saïed, a également évoqué lors de ses récentes rencontres. Ces dépenses gaspillées pourraient être redirigées vers des secteurs plus prioritaires, tels que la santé ou l'éducation.
Une gestion contradictoire et incohérente Le discours présidentiel sur l'autosuffisance économique contraste vivement avec la réalité des décisions prises. Le recours massif à l'emprunt et l'absence de réformes structurelles montrent que le pays reste dépendant des capitaux extérieurs pour maintenir ses engagements. De plus, les annonces de Kaïs Saïd interviennent souvent en dehors de tout cadre budgétaire préétabli. Cette gestion aléatoire des finances publiques met en évidence un problème majeur : l'absence de coordination entre la présidence et les institutions financières du pays. Le président semble agir de manière unilatérale, sans tenir compte des contraintes budgétaires et des réalités économiques. Cette absence de concertation est d'autant plus préoccupante que le contexte économique mondial reste marqué par une incertitude accrue.
Quels impacts pour la Tunisie ? L'absence de planification et les contradictions dans la gestion budgétaire risquent d'aggraver la situation économique de la Tunisie. Le pays, déjà confronté à un taux de chômage élevé et à une croissance économique atone, pourrait voir ses perspectives se dégrader davantage si les dépenses publiques ne sont pas mieux maîtrisées. Les décisions présidentielles, bien qu'animées par des considérations sociales louables, doivent s'accompagner d'une réflexion approfondie sur leur impact à long terme. Sans cela, le risque est grand de voir la dette publique atteindre des niveaux insoutenables, compromettant ainsi la stabilité économique et sociale du pays. En somme, la Tunisie se trouve à la croisée des chemins. Pour sortir de l'impasse économique, une planification rigoureuse et des réformes structurelles s'imposent. Les décisions budgétaires doivent être prises en concertation avec les différents acteurs économiques et financiers, et s'inscrire dans une vision à long terme. Faute de quoi, les contradictions de Kaïs Saïed pourraient coûter cher à la Tunisie. Pour que ces changements soient efficaces, le gouvernement doit également gagner la confiance des citoyens en adoptant une communication plus transparente. Cela implique de détailler les projets et leurs financements, tout en s'assurant que chaque dinar investi apporte une réelle valeur ajoutée à l'économie nationale. La responsabilisation des décideurs et des institutions est une étape cruciale pour remettre le pays sur les rails.