Le président de la République, Kaïs Saïed, a longtemps insisté sur la nécessité d'adopter de nouvelles approches et de réfléchir de manière innovante, rompant avec les pratiques et les réflexes du passé. Mais il est fort à parier qu'il ne se doutait pas que « l'innovation » irait jusqu'à croire que comparer les sociétés communautaires à des paradis fiscaux serait un compliment. Une comparaison pour le moins étonnante Le plus beau, c'est que cette comparaison vient de la secrétaire d'Etat chargée des sociétés communautaires, Hasna Jiballah. Pour être plus précis, la secrétaire d'Etat a déclaré, non sans fierté, que certains économistes assimilaient les sociétés communautaires à des paradis fiscaux, car elles profitent d'avantages, d'aides et de prêts. C'était à l'occasion d'une rencontre régionale sur les sociétés communautaires tenue à Tataouine le 18 février. Nous avons donc une membre du gouvernement tunisien, occupant un portefeuille économique et théoriquement responsable de la mise en place d'une idée fondatrice du chef de l'Etat, qui estime qu'il est positif pour une entreprise ou pour un pays d'être assimilé à un paradis fiscal. Il y aurait même des économistes qui auraient osé cette analogie, et cette secrétaire d'Etat n'hésite pas à mettre en avant cet « argument » dans une rencontre publique pour promouvoir les sociétés communautaires. Quand le silence des soutiens trahit l'ampleur de la gaffe L'un des indicateurs les plus sûrs pour repérer une gaffe de cette ampleur, c'est le silence des aficionados et des porte-voix du régime en place. Avec toute leur mauvaise foi, avec toute leur capacité à tordre le cou à la logique et au bon sens, avec toute leur propension à déformer les faits et à réécrire l'histoire, ils sont restés muets devant une telle erreur. Certains ont même choisi de critiquer la secrétaire d'Etat pour tenter de conserver, aux yeux de ceux qui les écoutent encore, un semblant de crédibilité, afin de montrer qu'ils ne soutiennent pas ce régime quoi qu'il fasse. Mais quoi qu'ils fassent, le pavé est lancé, et les meilleurs spin doctors du monde ne pourront pas rattraper la bourde commise par cette responsable gouvernementale. Un "oubli" inquiétant sur la définition d'un paradis fiscal Par sa déclaration, la secrétaire d'Etat chargée des sociétés communautaires semble ignorer ce qu'est un paradis fiscal. Pour rappel, un paradis fiscal est un « pays qui fait bénéficier d'avantages fiscaux les non-résidents qui y placent des capitaux. Les paradis fiscaux, appelés aussi paradis bancaires ou centres financiers offshore, sont des territoires où les flux de capitaux circulent dans un contexte rendu attractif par le système fiscal – qui peut même être quasiment inexistant pour les non-résidents – et par le secret bancaire, qui les met à l'abri des autorités internationales », selon Larousse. Il existe une large littérature sur le sujet qui converge sur un point : être classé comme paradis fiscal n'est pas du tout un compliment pour un pays. Qu'une secrétaire d'Etat l'ignore est affligeant. Que la secrétaire d'Etat en question soit en charge d'une question économique liée à la création de richesses est encore plus consternant. Des compétences absentes face à une crise économique majeure Dans un pays qui a difficilement bouclé l'année 2024 avec une croissance atone de 1,4 % et avec le pari risqué du régime de tout miser sur les sociétés communautaires, il faudrait des compétences solides aux postes clés pour tenter de sortir du marasme. La mise en œuvre d'une idée comme celle des sociétés communautaires nécessite un talent politique et économique qui semble absent. D'ailleurs, en matière économique, la politique générale de l'Etat n'est pas claire. La dernière décision mystérieuse du régime de Kaïs Saïed est le remplacement de la ministre des Finances par la juge Michket Slama Khaldi. Cette dernière n'a pas réussi grand-chose à la tête de la commission de réconciliation pénale, mais elle s'est pourtant retrouvée catapultée à la tête du ministère des Finances, à un moment où les finances publiques et la situation économique sont au plus mal.
Mais dans toute cette grisaille, nous avons un paradis, même s'il est fiscal, selon Hasna Jiballah. Les sociétés communautaires ne paient ni impôts ni charges sociales pendant quatre ans, elles bénéficient de lignes de crédit fournies par l'Etat, qui fait pression sur les banques pour les soutenir, les promoteurs de ce type de société touchent une prime mensuelle, et ces sociétés sont prioritaires pour accéder aux terres domaniales mises à disposition par l'Etat. La liste des avantages dont elles bénéficient permet de mieux comprendre leur aspect « paradisiaque ». Et pourtant, ça ne marche pas.