Alors que la Tunisie s'apprête à célébrer la Journée internationale des droits des femmes, plusieurs Tunisiennes – militantes, politiciennes, journalistes – croupissent en prison pour avoir exercé leurs droits fondamentaux : s'exprimer, s'engager en politique ou mener des actions associatives. Ce constat accablant a été dénoncé par la journaliste Amira Mohamed, qui s'est insurgée contre cette contradiction dans un message publié le vendredi 7 mars 2025 : « Honte et déshonneur à un régime qui célèbre la Journée internationale des droits des femmes alors que des Tunisiennes sont emprisonnées pour avoir exercé leur liberté d'expression, leur engagement politique et leur devoir humanitaire ». Parmi ces femmes emprisonnées, citons les cas de Sonia Dahmani, Abir Moussi, Sherifa Riahi, Imen Ouardani, Saadia Mosbah, Chadha Haj Mbarek et Saloua Ghrissa.
Sonia Dahmani Avocate et chroniqueuse reconnue pour son franc-parler, Sonia Dahmani est poursuivie dans cinq affaires, toutes fondées sur le décret 54 et liées à ses déclarations médiatiques. Le 24 janvier, elle a été condamnée à un an et six mois de prison pour « diffusion de fausses informations ». Concernant l'affaire de sa célèbre déclaration « Heyla leblad », elle avait été condamnée en première instance à un an de prison, peine réduite à huit mois en appel. Abir Moussi Avocate et figure politique de premier plan, Abir Moussi est présidente du Parti Destourien Libre (PDL) depuis 2016 et ancienne députée (2019-2021). Opposante farouche à la fois au président Kaïs Saïd et au parti islamiste Ennahdha, elle a été arrêtée le 3 octobre 2023. Elle fait l'objet de multiples poursuites pour des accusations de « tentative de changement de la forme du gouvernement », « incitation à la violence » et « agression dans le but de provoquer le désordre ». Ces poursuites sont survenues après qu'elle a tenté de déposer un recours contre les décrets présidentiels à la veille des élections locales. Elle est également visée par des accusations relatives à la liberté d'expression et de réunion pacifique, ainsi que par des plaintes déposées par l'Instance supérieure indépendante pour les élections, en vertu du décret 54. Sherifa Riahi Ancienne directrice exécutive de l'organisation Tunisie Terre d'Asile, Sherifa Riahi a été incarcérée le 7 mai 2024, accusée d'irrégularités dans un appel d'offres pour la location d'hôtels destinés à accueillir des migrants subsahariens. Arrêtée alors qu'elle était en congé de maternité, elle a été séparée de son bébé de deux mois. Imen Ouardani Docteure en biologie, adjointe au maire de Sousse et responsable de la commission de l'égalité des chances, Imen Ouardani est en détention depuis le 10 mai 2024. Pendant la crise du Covid, elle s'est illustrée par son engagement auprès des populations vulnérables, notamment les migrants. Accusée de blanchiment d'argent et abus de fonction, elle est en réalité visée pour avoir participé à un projet de soutien aux migrants, mené en partenariat entre la municipalité de Sousse et l'association Terre de Refuge. Son arrestation pose la question de la criminalisation de l'action humanitaire en Tunisie. Saadia Mosbah Militante historique contre les discriminations et présidente de l'association Mnemty, Saadia Mosbah a été arrêtée à Tunis le 7 mai 2024. Son engagement contre le racisme en Tunisie et sa solidarité envers les migrants subsahariens sont à l'origine de son incarcération, sous couvert d'accusations de blanchiment d'argent. Chadha Haj Mbarek Journaliste tunisienne emprisonnée depuis 2021, Chadha Haj Mbarek est accusée de complot contre la sûreté de l'Etat. Malgré plusieurs ordonnances de libération émises par des juges, elle demeure détenue. Son état de santé s'est dégradé en détention. Elle est poursuivie dans le cadre de l'affaire Instalingo, une société de communication accusée d'avoir mené une campagne sur les réseaux sociaux contre le président. Saloua Ghrissa Fondatrice de l'Association pour la Promotion du Droit à la Différence, Saloua Ghrissa est détenue pour « suspicion de financement étranger ». Ancienne professeure d'enseignement supérieur aujourd'hui retraitée, elle est accusée de manquements dans la gestion de son organisation. Elle s'était engagée dans l'aide aux migrants. Le 12 décembre 2024, un juge d'instruction a ordonné son incarcération à la prison civile de Manouba.
Ces emprisonnements illustrent la dérive répressive d'un pouvoir qui, tout en célébrant la condition féminine, muselle celles qui osent agir, parler et contester.