En ce 13 août, la Tunisie célèbre officiellement la fête de la femme, date anniversaire du Code du statut personnel, pierre angulaire des droits féminins dans le monde arabe. Mais en 2025, l'hommage se teinte d'amertume : alors que Bourguiba voulait élever les Tunisiennes, Kaïs Saïed les enferme. Chaque année, depuis 1956, le 13 août est présenté comme un jour de fierté nationale. C'est la date où le Code du statut personnel (CSP) a été promulgué, un texte révolutionnaire qui, bien avant la proclamation de la République en 1957, a bouleversé le statut de la femme tunisienne. Abolition de la polygamie, instauration du mariage civil, consentement mutuel, droit au divorce : autant de dispositions inédites dans le monde arabe, qui ont marqué l'histoire et donné à la Tunisie l'image d'un pays pionnier en matière de droits des femmes. Habib Bourguiba, père fondateur de la République, voulait que la femme tunisienne soit l'égale de l'homme dans la société, instruite, émancipée et actrice du développement national. Le CSP était le socle d'un projet ambitieux : moderniser le pays par l'éducation et l'égalité. Pourtant, près de soixante-dix ans plus tard, les promesses de 1956 restent inachevées. L'égalité dans l'héritage, par exemple, demeure un combat inabouti. Et, plus grave encore, la fête de la femme en 2025 se déroule dans un climat de régression des libertés et de répression politique inédit depuis des décennies. Car sous le régime de Kaïs Saïed, plusieurs Tunisiennes ne célèbrent pas leur journée : elles la passent derrière les barreaux. Non pour des crimes de droit commun, mais pour leurs idées, leurs engagements, leurs prises de position. Avocates, journalistes, militantes associatives : elles sont poursuivies, condamnées et incarcérées pour avoir exercé leur liberté d'expression, défendu les plus vulnérables, ou simplement refusé de se taire.
Alors que Bourguiba voulait rehausser la femme tunisienne, Kaïs Saïed en a fait une cible politique. La prison a remplacé l'hommage. Les barreaux, les fleurs. Et dans ce contraste saisissant se mesure l'écart entre la vision d'hier et la réalité d'aujourd'hui. À l'occasion de ce 13 août 2025, nous publions les portraits de sept femmes courageuses. Sept prisonnières politiques, chacune symbole d'une cause, d'une lutte, d'un engagement. Sept visages qui rappellent que la dignité et la liberté sont encore à conquérir.
Abir Moussi, politicienne, présidente du parti destourien libre Avocate et figure politique majeure, Abir Moussi est depuis longtemps l'une des voix les plus redoutées par ses adversaires. Présidente du Parti destourien libre, elle s'est imposée comme l'ennemie jurée du mouvement islamiste Ennahdha et une opposante frontale au régime de Kaïs Saïed. Ses combats, menés avec une énergie implacable, lui ont valu une popularité certaine et une animosité farouche de la part du pouvoir. Le 3 octobre 2023, alors qu'elle tentait de déposer des recours contre des décrets présidentiels, elle est arrêtée devant le palais de Carthage. Depuis, elle est incarcérée sous de lourdes accusations, allant jusqu'à l'« attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement », passibles de la peine capitale. Derrière les barreaux, elle continue de se battre, dénonçant la privation de soins, la violation de ses droits et la persécution politique dont elle est victime. Pour Abir Moussi, la prison n'est pas un lieu de silence : c'est une tribune où elle réaffirme son droit à l'activité politique et à la liberté d'expression. Son incarcération n'est pas celle d'une criminelle : c'est la mise au ban d'une opposante politique déterminée, qui refuse de se soumettre et dont la voix, même enfermée, continue de peser sur la scène tunisienne.
Chadha Hadj Mbarek, journaliste Journaliste, Chadha Hadj Mbarek a fait de l'information un instrument au service de la vérité. Employée par Instalingo, elle est poursuivie depuis 2021 et a été condamnée en février 2025 à cinq ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l'Etat » et « tentative de changer la forme du gouvernement ». Durant son Incarcération à la prison de Messaadine, elle a été privée de soins adaptés malgré ses troubles auditifs reconnus, et coupée de ses antidépresseurs. La détérioration de son état de santé et les violences qu'elle subit en détention illustrent l'inhumanité d'un système qui punit la parole libre. Même affaiblie, Chadha Hadj Mbarek continue d'incarner le courage d'une presse indépendante, payant de sa liberté et de sa santé le prix d'un engagement sans concession pour l'information et la vérité. En sa qualité de prisonnière politique, elle a été fortement soutenue par le Syndicat national des journalistes tunisiens et plusieurs associations de défense des droits humains.
Imen Ouardani, militante des droits de l'homme Docteure en biologie, élue municipale à Sousse et militante humanitaire, Imen Ouardani est connue pour son engagement auprès des populations vulnérables, notamment pendant la crise du Covid-19. Adjointe au maire et responsable de la commission municipale de l'égalité des chances, elle est arrêtée le 10 mai 2024 sous des accusations de blanchiment d'argent et d'abus de fonction. En réalité, son « crime » est d'avoir participé à un projet de soutien aux migrants, conduit avec l'ONG Terre de Refuge. Derrière les murs de la prison, Imen Ouardani est une prisonnière politique, victime de la criminalisation croissante de l'action humanitaire en Tunisie. Son incarcération vise à intimider celles et ceux qui osent défendre la dignité humaine face à la xénophobie et à l'arbitraire. Privée de liberté depuis plus d'un an, elle reste le symbole d'un engagement courageux et d'une solidarité sans frontière.
Saadia Mosbah, militante des droits de l'homme Figure emblématique de la lutte contre le racisme en Tunisie, Saadia Mosbah a consacré sa vie à combattre la haine et à défendre les droits des minorités. Présidente de l'association antiraciste Mnemty, elle a contribué à l'adoption historique de la loi antiraciste de 2018 et milité sans relâche pour l'égalité. Arrêtée en mai 2024 et accusée de blanchiment d'argent, elle subit depuis une détention arbitraire, marquée par des campagnes de diffamation et des pressions judiciaires. Saadia Mosbah n'est pas une délinquante : c'est une prisonnière politique, ciblée pour avoir osé dénoncer le racisme et défendre les migrants. Derrière les barreaux, elle incarne la résistance face à l'instrumentalisation de la justice pour museler les voix dissidentes. Sa détention est un message glaçant adressé à tous les militants : dans la Tunisie actuelle, défendre l'égalité peut mener en prison.
Saloua Ghrissa, militante des droits de l'homme Ancienne professeure d'enseignement supérieur, Saloua Ghrissa est fondatrice de l'Association pour la Promotion du Droit à la Différence. Inculpée pour « financement étranger », elle est détenue depuis décembre 2024 dans un contexte de répression accrue contre la société civile. Les fonds de son association provenaient pourtant d'organisations affiliées aux Nations unies et respectaient la législation tunisienne. Saloua Ghrissa est une prisonnière politique, victime d'une campagne visant à discréditer et intimider les défenseurs des droits humains. Son incarcération illustre la volonté du pouvoir d'étouffer toute voix qui milite pour la diversité et le pluralisme. En prison, elle garde son sourire et sa dignité, adressant ses salutations et sa gratitude à ceux qui croient encore en une Tunisie respectueuse des droits fondamentaux.
Sherifa Riahi, militante des droits de l'homme Architecte d'intérieur de formation, Sherifa Riahi a choisi de mettre ses compétences au service des plus vulnérables. Ancienne directrice exécutive de Terre d'Asile Tunisie, elle a œuvré à la protection juridique et sociale des migrants. Arrêtée en mai 2024 avec plusieurs collègues, elle est poursuivie pour des accusations graves – blanchiment d'argent, complot contre la sûreté de l'Etat, aide aux migrants en situation irrégulière – qui traduisent la criminalisation systématique de l'action humanitaire. Derrière les barreaux, Sherifa Riahi est une prisonnière politique, punie pour avoir défendu la dignité et les droits fondamentaux de personnes marginalisées. Sa détention, qui l'arrache à ses enfants, dont une fillette en bas âge, est l'un des visages les plus inhumains de la répression actuelle.
Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse Avocate au verbe tranchant et chroniqueuse au courage rare, Sonia Dahmani a fait de la liberté d'expression son terrain de combat. Connue pour son franc-parler et son refus de tout compromis avec l'arbitraire, elle a souvent été la voix de ceux qui n'osent plus parler. Cible privilégiée du pouvoir depuis l'entrée en vigueur du décret 54, elle a accumulé les procès pour avoir osé exprimer ses opinions. Son dernier crime aux yeux du régime ? Avoir rappelé, devant un public, que la Tunisie dérivait vers l'autoritarisme. Depuis mai 2024, elle subit une répression judiciaire implacable, allant jusqu'à son incarcération dans des conditions indignes. Derrière les murs de la prison pour femmes de la Manouba, elle est privée de ses droits les plus élémentaires, soumise à une pression psychologique constante et à un isolement calculé. Pourtant, Sonia Dahmani ne plie pas. Chaque audience, chaque déclaration publique devient pour elle une tribune de résistance.
Sonia n'est pas une prisonnière de droit commun : elle est une prisonnière politique, punie pour avoir exercé son métier d'avocate et son devoir de citoyenne. Sa détention est un symbole, celui d'un Etat qui préfère faire taire ses voix les plus libres plutôt que de les entendre. Mais Sonia n'a jamais su se taire. Même derrière les barreaux, sa parole continue de circuler, portée par ceux qui refusent de la voir disparaître.