Le 24 mars 2025, une date supposée être symbole d'une décision fracassante dans le secteur des transports : Bolt officiellement radiée du registre national des entreprises et accusée de fraude fiscale et de blanchiment d'argent. Néanmoins, l'application fonctionne encore et rien ne semble pouvoir l'arrêter ! Le porte-parole de la Garde nationale, Houssemeddine Jebabli, avait annoncé la nouvelle sans nommer l'entreprise. Il a indiqué qu'une société de gestion de taxi était impliquée dans des affaires de blanchiment d'argent, que ses avoirs ont été saisis et qu'elle n'avait plus le droit d'exercer ses activités sur le sol tunisien. Une grande majorité des internautes avait accueilli avec joie cette annonce, considérant que Bolt les exploitait en imposant des prix assez élevés.
L'impact de Bolt sur le marché des taxis Le fait est que l'application Bolt a fait l'objet de plusieurs campagnes citoyennes en raison des normes qu'elle a imposées. La quasi-totalité des taxis du Grand Tunis ne travaillaient plus qu'à travers cette application. Il était donc impossible de trouver un taxi comme avant. On pouvait passer des dizaines de minutes dans la rue à voir des voitures jaunes circuler, mais sans lumineux. En passant par l'application, on en trouvait en quelques secondes, mais pour une tarification abusive : le prix proposé était équivalent parfois au triple ou au quadruple du tarif normal. Cette situation a provoqué un ras-le-bol général du côté des usagers des taxis et une dépendance forcée à l'application, en plus de la flambée injustifiée des prix. Cela a poussé les citoyens à lancer plusieurs campagnes de boycott et explique l'euphorie générale exprimée à la suite de l'annonce des sanctions visant l'entreprise.
L'adaptation de Bolt et l'inefficacité des mesures gouvernementales Néanmoins, et malgré cette annonce fracassante et les « célébrations » face à la suspension théorique des activités de Bolt, concrètement rien n'a véritablement changé. Pour ce qui est de l'application, elle continue à fonctionner normalement. Elle est disponible sur les plateformes de téléchargement telles que Play Store. Il n'y a pas de restriction de téléchargement, ce qui signifie que les autorités tunisiennes n'ont pas pris de mesures sérieuses à ce sujet. Vous pouvez vérifier vous-même la chose puisque vous pouvez toujours commander un taxi en l'utilisant. La déclaration d'ouverture d'une enquête visant Bolt et d'autres applications de transport s'est avérée être sans véritable impact. L'entreprise et les chauffeurs de taxi se sont rapidement adaptés à la situation. Leur nouvelle stratégie se résume principalement à prendre quelques précautions supplémentaires : ils doivent éviter les zones où on a tendance à intensifier les contrôles ou à ne pas accepter de se rendre dans les endroits où se trouvent des checkpoints. Ainsi, les chauffeurs de taxi choisissent désormais avec plus d'attention leurs zones d'activité et évitent, par exemple, le centre-ville, notamment l'avenue Habib Bourguiba. Parfois, vous aurez même l'impression que vous êtes en mission secrète et non en train de prendre un taxi ! Les chauffeurs scannent désormais la clientèle et vérifient s'il s'agit ou non d'éventuel infiltré ! Ils ont peur de se faire prendre la main dans le sac par des agents de police en tenue civile. Cette réorganisation leur permet de poursuivre leur travail sans encombre, mettant en évidence l'inefficacité pratique de la décision prise par les autorités tunisiennes.
Comment Bolt veut rester sur le marché Pour ce qui est de l'entreprise elle-même, on n'a pas eu à trop cogiter. Un communiqué a été émis pour dénoncer les accusations la visant. Bolt a expliqué que les actions des autorités avaient été prises sans le recours à un juge d'instruction, l'empêchant ainsi de défendre ses droits. Elle a assuré que toutes ses opérations en Tunisie étaient menées conformément à la législation en vigueur et dans le cadre du respect de la loi, mais sans préciser qu'elle continuait à opérer sur le sol tunisien. Afin de préserver sa position d'acteur principal du secteur, Bolt a trouvé une solution toute simple : suspendre temporairement sa commission sur les courses en Tunisie, du tout bénef pour les chauffeurs de taxi ! Le montant affiché sur l'application lors de la commande sera entièrement perçu par le conducteur, qui n'aura pas à verser une rémunération pour l'entreprise. Cette manœuvre pourrait sauver provisoirement l'entreprise et maintenir sa présence sur le marché en dépit de la pression gouvernementale, de l'ouverture d'une enquête et de la saisie des comptes bancaires. De plus, il s'agit d'une décision qui renforcera sans doute la fidélité des conducteurs et leur motivation à continuer d'utiliser l'application. Avant cela, les chauffeurs de taxi devaient verser périodiquement un certain montant à l'entreprise. Sur chaque trajet accompli avec succès, Bolt récoltait un certain pourcentage. En totalisant des revenus de 150 dinars par taxi, l'entreprise bloquait l'accès aux courses disponibles jusqu'au paiement de cette somme par les chauffeurs de taxi. Au début, ces derniers devaient se rendre physiquement aux locaux de l'entreprise et remettre l'argent aux agents de l'entreprise. Par la suite, ils ont été appelés à verser l'argent par virement. Selon certains chauffeurs, cette décision a été prise en raison des embouteillages et du désordre provoqué aux alentours des locaux de l'entreprise. Actuellement, Bolt continue à fonctionner normalement et la fermeture de ses locaux pourrait même avoir l'effet inverse puisque les employés de l'entreprise travailleront désormais à distance. Pour ce qui est des chauffeurs de taxi, ils continuent à utiliser l'application en gagnant plus d'argent ! Tout ceci se déroule sous le nez de l'Etat et l'affaire Bolt ne fait que mettre en avant les limites des décisions prises par l'Etat tunisien. Elle pointe du doigt l'absence d'une stratégie cohérente et d'une approche régulant les services en ligne. D'un côté, nous avons eu droit à une annonce synonyme d'exploit et de démonstration de force. D'un autre côté, il a suffi de deux petites mesures temporaires pour démasquer cette illusion. De plus, aucun projet de réforme n'a été évoqué à la suite de cette affaire. Le ministère du Transport aurait dû sauter sur l'occasion et affirmer qu'il comptait vraiment changer les choses. Il n'y a même pas eu de communiqué expliquant les décisions visant Bolt et les étapes à venir. Rien n'a été envisagé afin de s'adapter à ces "nouveaux" modèles économiques. On se trouve encore une fois face à une approche simpliste se limitant à interdire une activité ou à la limiter. Cette situation illustre deux problèmes plus larges en Tunisie : l'incapacité de l'Etat à s'adapter face à la modernisation des services et l'incapacité d'imposer ses décisions face à des acteurs économiques dynamiques et adaptatifs. Annoncer l'ouverture d'une enquête est sans doute un signal fort, mais qui a rapidement perdu de sa crédibilité. La réalité montre que cette décision n'a eu que peu d'effet concret.