Le tribunal de première instance de Tunis chargé des affaires liées au terrorisme a reporté, encore une fois, le dossier connu sous le nom de l'affaire du complot au 18 avril prochain. Un report suggestif qui trahit les hésitations du tribunal et de tout le pouvoir en place. En effet, l'impression s'installe que dans cette affaire, le pouvoir ne sait plus quoi faire de cette patate chaude qu'il espère s'en débarrasser sans trop savoir comment. La manière avec laquelle le juge qui présidait la séance a suspendu l'audience du vendredi dernier et quitté la salle en dit long sur la panique que vivent les juges, relégués depuis l'arrivée au pouvoir du président Kaïs Saïed au rôle de fonctionnaires de la magistrature et lâchés seuls à affronter l'opinion publique dans des affaires qui sentent fort l'ingérence du politique. Dans cette affaire dite du complot contre l'Etat, le juge a dû affronter seul les prévenus dont la présence était trop forte malgré leur absence imposée, ainsi que les plaidoyers de leurs avocats et les regards des membres de leurs familles. Malgré les multiples restrictions décidées par les pouvoirs publics, le juge a dû ressentir aussi la pression de tous ceux, parmi les militants de la société civile, qui sont restés hors de la salle d'audience. Il était clair que cette foule apportait un soutien total aux prévenus et portait un regard accusateur sur l'ensemble de la machine judiciaire, totalement en panne depuis quelques années déjà.
Une instruction précipitée et bancale Il serait redondant de relater les péripéties et les détails du dossier de cette affaire de complot pas comme les autres. En effet, la décision illogique, improductive et saugrenue du juge d'instruction d'interdire le traitement médiatique de l'affaire n'a fait qu'attiser l'intérêt de l'opinion publique pour les détails, plus bizarres les uns que les autres, contenus dans ce dossier totalement décousu et truffé de zones d'ombre. Mais il serait utile d'avancer quelques remarques de forme et de fond. Au niveau de la forme, il est clair que cette affaire de complot a été déclenchée dans la précipitation avec la série d'arrestations hollywoodiennes et n'a pu par la suite dépasser cette tare de départ. Le responsable politique qui aurait été le premier à allumer la mèche a été démis de ses fonctions depuis et mis en disgrâce. Mais le mal a déjà été fait et l'instruction s'est embourbée dans l'approximation et le rafistolage : des détenus qui ne sont jamais entendus par le juge d'instruction, des témoignages anonymes et forcément indirects donnés par des prisonniers sur des faits supposés qui se seraient déroulés à l'étranger, la participation de personnes défuntes au complot à titre posthume, pour arriver à cette décision de jugement à distance, en l'absence de toute raison, hormis la panique et l'affolement, pouvant raisonnablement la justifier.
Un contresens démocratique Sur le fond, ce dossier du complot contre l'Etat tord le cou à un principe de base de la démocratie. En effet, dans toute démocratie, la présence de l'opposition est fondamentale afin d'éviter la pensée unique et les dérapages vers l'autoritarisme ou la dictature. Or une opposition, au moment même de se déclarer opposante au pouvoir en place, déclare son animosité envers ce pouvoir, son désir de le fragiliser et sa volonté de le suppléer. Il est totalement admis donc que les oppositions tiennent des réunions, s'allient et se liguent éventuellement contre le pouvoir et élaborent des stratégies et des plans d'action pour l'affaiblir. Cette action de l'opposition, tant qu'elle se déroule dans le cadre de la loi, sans recours à la violence et sans ingérence étrangère (ce qui est le cas dans ce dossier de l'aveu même des autorités judiciaires), est une garantie de diversité, de contradiction et d'alternance. L'affaire dite de complot contre l'Etat n'aurait jamais dû exister donc.