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Santé publique : médecins sacrifiés, hôpitaux abandonnés, justice complice ?
Publié dans Business News le 23 - 04 - 2025

Grèves, démissions collectives, accusations de maltraitance, émigration massive, décisions judiciaires controversées... La crise que traverse actuellement le secteur de la santé en Tunisie dépasse tout ce que le pays a connu jusque-là. Derrière les revendications syndicales, c'est un cri de désespoir collectif que poussent les médecins. Pendant que l'Etat temporise, c'est tout un système qui menace de s'effondrer.

Ce n'est plus un malaise. C'est une hémorragie. Une fuite de cerveaux, de bras, d'engagements, de dignité. Depuis des semaines, les jeunes médecins tunisiens alertent. En vain. Ils dénoncent des conditions de travail qui relèvent de l'indignité, des gardes non payées, des stages non validés, une hiérarchie mutique et un ministère de la Santé aux abonnés absents.
Wajih Dhakar, président de l'Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), a trouvé les mots justes, ceux qui claquent et blessent : « Une forme d'esclavagisme. » Et il ne s'agit pas d'une exagération. Dans les hôpitaux publics, des médecins effectuent des gardes sans contrat, sans reconnaissance, payés parfois entre un et trois dinars de l'heure. D'autres, tout aussi actifs, ne sont même pas comptabilisés dans les effectifs officiels. Ce sont des invisibles dans un système qui se nourrit de leur silence.

La fuite de cerveaux chèrement formés
Prenons le cas de Sarra M cette interne en médecine à l'hôpital de Gafsa, âgée de 27 ans (nom modifié). Depuis deux ans, elle enchaîne les gardes de nuit, les week-ends sans repos, les consultations dans des services surchargés où elle remplace à elle seule deux ou trois praticiens absents. Elle dort parfois sur un banc métallique, entre deux urgences. Elle soigne avec des moyens dérisoires, rédige des ordonnances qu'elle sait inutiles faute de médicaments disponibles, et fait des diagnostics dans des locaux où les plafonds s'effritent.
Ses heures ne sont pas comptabilisées. Son contrat est inexistant. Elle dépend du bon vouloir de son chef de service pour que son stage soit validé. Et le jour où elle a osé contester, on lui a subtilement suggéré de faire profil bas : « Si tu veux terminer ton internat à temps, tu sais ce qu'il te reste à faire… »
Comme tant d'autres, Sarra rêve de partir. En Allemagne, en Belgique, au Québec… peu importe. Partir, c'est vivre. Rester, c'est se consumer.
Et elle n'est pas seule. Ils sont des centaines dans ce cas, répartis entre Tunis, Monastir, Sousse et Sfax, à survivre dans un système où l'exploitation est maquillée en formation, et où l'idéal de service public s'effondre sous le poids de l'indifférence. Le plus cruel dans tout cela, c'est que ces jeunes ne demandent pas la lune : seulement le respect de leur travail, un minimum de décence salariale, un encadrement digne et des perspectives réelles.
Mais aujourd'hui, ils n'ont plus que leurs voix. Et une grève, comme dernier recours avant la fuite.

La grève des jeunes : un ultimatum sans précédent
Le 21 avril, la menace est devenue réalité : une grève générale a été déclenchée dans les hôpitaux et facultés de médecine. Seuls les services d'urgence sont assurés. Cette grève, inédite dans sa portée et sa fermeté, ne demande pas l'impossible : simplement le respect du travail accompli, la fin des abus, la clarté des règles de stage, la revalorisation des indemnités ridicules versées aux internes.
Ce mouvement n'est pas une lubie. C'est une réaction de survie. La Tunisie forme des médecins d'exception qui fuient dès qu'ils peuvent. Parce que rester, c'est accepter de se faire broyer. Et il n'est plus question de se taire.

Démissions collectives : la gifle des hospitalo-universitaires
Mais le choc du 21 avril ne s'est pas arrêté là. En parallèle, une pétition signée par des dizaines de médecins hospitalo-universitaires a été rendue publique. Elle annonce une démission collective de toutes les fonctions thérapeutiques, pédagogiques, scientifiques et administratives.
Ces médecins ne supportent plus ni leurs conditions de travail ni la manière dont la justice les traite. Car au cœur de cette révolte, il y a une affaire qui fait mal : celle des nourrissons décédés. Dix ans de prison pour plusieurs soignants, condamnés non pour une faute prouvée, mais pour ne pas avoir formellement présenté leur démission à leur hiérarchie – alors même que celle-ci était informée.
C'est la justice elle-même qui est aujourd'hui accusée. Accusée de faire des médecins des boucs émissaires, d'ignorer les défaillances systémiques pour mieux punir les lampistes. « Le but réel de ces jugements lourds est de nous terroriser et de nous réduire au silence », écrivent les démissionnaires.
Parmi eux, le professeur Rafik H., 58 ans, chef de service en néphrologie dans un hôpital public (nom et titre modifiés), a décidé de jeter l'éponge. En silence d'abord, puis en colère. Depuis trente ans, il formait les futurs spécialistes, assurait les gardes, opérait en urgence, se battait pour chaque budget, chaque appareil, chaque molécule. Il a connu l'âge d'or des hôpitaux tunisiens. Il en a vu la lente agonie. Il a accepté de tout endurer : les coupures d'eau, les pannes de scanner, les absences d'anesthésistes, les ruptures de stocks. Mais ce qu'il n'accepte pas, c'est l'humiliation.
« Ce n'est plus une question de moyens. C'est une question de dignité. Quand l'institution pour laquelle on se bat vous trahit, vous accuse, vous punit, alors il ne reste plus rien à défendre. »
Ses étudiants pleurent son départ. Lui, il ne pleure plus. Il part avec la rage de voir un système qu'il a servi s'autodétruire. Il part surtout avec la conviction que, cette fois, le point de non-retour a été franchi.

L'accord du 22 avril : un sursis ou une trahison ?
Face à la montée en pression, le ministère a réagi. Une réunion d'urgence a permis d'arracher un accord temporaire avec les syndicats et de reporter la grève nationale prévue le 24 avril. Un sursis de deux mois. Un répit en trompe-l'œil ?
Les revendications restent inchangées : révision des textes encadrant la responsabilité médicale, renforcement des ressources humaines, respect du droit syndical, remboursement des dettes de la Cnam envers les hôpitaux publics. Autant de points non résolus.
Et surtout, l'accord n'efface pas les blessures. Il ne lave pas l'humiliation. Il ne réhabilite pas les médecins condamnés. Il ne freine pas l'exode massif des praticiens. Il ne fait qu'acheter du temps.

Un effondrement qui ne dit pas son nom
La Tunisie vit une crise sanitaire larvée. Une crise de conscience. Une crise de confiance. Ce ne sont pas seulement les infrastructures qui s'écroulent. C'est un pacte social. Celui qui liait l'Etat à ses médecins, ses hôpitaux à ses citoyens.

Quand les soignants démissionnent en masse, quand ils fuient le pays, quand ils crient à l'esclavage, quand ils accusent la justice… alors ce n'est pas seulement le système de santé qui est en péril. C'est la société tout entière.
Et dans ce chaos, le silence du pouvoir est plus bruyant que tous les slogans de grève.
Mais ce silence est aussi une cécité. Car la Tunisie ne mesure pas encore ce qu'elle est en train de perdre.
Dans dix ans, qui soignera les Tunisiens ? Qui formera les futurs médecins ? Qui assurera les gardes dans les hôpitaux de l'intérieur, là où plus personne ne veut aller ? La fuite des jeunes praticiens n'est pas un phénomène passager. C'est un basculement structurel, un déracinement générationnel.
Aujourd'hui, la France, l'Allemagne, le Canada leur déroulent le tapis rouge. Demain, les hôpitaux tunisiens ressembleront à des coquilles vides : sans bras, sans cerveaux, sans avenir. Les citoyens devront choisir entre attendre des heures aux urgences ou se ruiner dans des cliniques privées. Et l'Etat, lui, continuera de gérer l'urgence comme un éternel provisoire.
À force de maltraiter ses médecins, la Tunisie risque de devenir un pays sans médecine. Un désert sanitaire. Et dans un désert, on ne guérit pas. On survit.


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