Quatre mois après l'entrée en vigueur du nouveau cadre légal encadrant l'usage des chèques, la Tunisie connaît un bouleversement notable dans les habitudes de paiement. Selon les données actualisées de la Banque centrale, l'usage des chèques a chuté de 94 %, passant de 68 000 chèques par jour à moins de 4 000. Ce changement majeur s'inscrit dans une stratégie de modernisation du système de paiement, notamment avec le lancement de la plateforme 'Tunichèque' et l'adoption croissante des paiements électroniques. Invité sur Mosaïque FM, Ridha Chkoundali, professeur d'économie, est revenu sur les conséquences de ce basculement, notamment sur la consommation des ménages tunisiens. Ridha Chkoundali tire la sonnette d'alarme sur la situation économique du pays, en particulier sur la question centrale de la consommation et du pouvoir d'achat. À ses yeux, les politiques actuelles, notamment monétaires, entravent lourdement la relance, alors même que la consommation privée représente 77 % du produit intérieur brut (PIB). « Le moteur principal de notre économie, c'est la consommation des ménages. Et aujourd'hui, ce moteur est à l'arrêt », explique-t-il. Avec un PIB avoisinant les 166 milliards de dinars, 128 milliards proviennent de la consommation privée. « Le reste ? Quelques miettes d'investissement, un peu de consommation publique, et des exportations qui restent incertaines », détaille-t-il. L'expert dénonce « une politique monétaire sévère » menée par la Banque centrale, qui repose sur l'idée que l'inflation est alimentée par la consommation. Or, selon lui, « ce n'est pas la demande qui crée l'inflation, mais les contraintes qui pèsent sur l'offre, sur la production, et sur l'investissement ». En réduisant la consommation, les autorités compriment la demande intérieure, ce qui finit par asphyxier les entreprises locales. Il critique aussi le nouveau cadre juridique lié aux chèques, qu'il considère comme un coup fatal porté à la dynamique de consommation. « Avec les nouvelles règles, les Tunisiens ne peuvent plus utiliser le chèque comme moyen de paiement différé. Les alternatives comme les cartes bancaires à crédit ou les crédits à la consommation sont peu accessibles », déplore-t-il. Le problème, selon lui, réside dans le fait qu'on restreint l'usage du cash, on complique l'usage du chèque, et dans le même temps, on ne propose aucune solution de remplacement efficace. « Il faut qu'on offre des moyens modernes, simples et accessibles pour permettre aux citoyens de consommer et aux entreprises de vendre », insiste-t-il. Il cite l'exemple de nombreux pays où les achats à crédit se font rapidement, parfois en 24 à 48 heures, grâce à une collaboration fluide entre les banques et les commerçants. En Tunisie, au contraire, « l'accès au crédit est long, difficile et peu incitatif. » Les conséquences sont lourdes. La croissance prévue pour 2025, fixée à 3,2 % dans la loi de finances, semble irréaliste. En 2024, elle n'a atteint que 1,4 %, et le moindre écart de croissance se traduit par des pertes fiscales considérables. « L'an dernier, un écart de 0,7 % nous a coûté 2 milliards de dinars de ressources fiscales. Cette année, avec la crise des exportations liée à la politique américaine sur l'huile d'olive, ça risque d'être pire. »