Il s'appelait Hichem. Il avait 45 ans. Il était coiffeur. Il était Tunisien, originaire de Kairouan. Il vivait à Marseille, discret, travailleur, apprécié de son voisinage. Un homme sans histoires, inconnu des services de police. Hichem est mort dans la nuit du 31 mai au 1er juin, assassiné par balles. Son voisin, un homme blanc, armé, raciste, a ouvert le feu sans hésiter. Il a blessé un autre voisin au bras avant de prendre la fuite. Dans sa voiture, la police retrouvera un arsenal. Sur ses réseaux, des appels explicites à tuer des étrangers. Et pourtant, il a fallu vingt-quatre heures pour que le ministère de l'Intérieur français daigne réagir. Deux jours pour que les grands médias relaient l'information. Et un délai tout aussi gênant pour que le parquet antiterroriste se saisisse enfin de l'affaire. Le tueur n'était ni déséquilibré, ni alcoolisé. Il était déterminé. Il a revendiqué son acte, appelant publiquement au meurtre de toute personne étrangère. Terrorisme pur. Mais les mots n'ont pas jailli. Le silence, lui, a été assourdissant. Imaginez un instant un scénario inversé : un jeune homme d'origine maghrébine, tuant un « Français de souche » avec un arsenal dans le coffre et un historique de publications islamistes. En combien de minutes – pas d'heures – la nouvelle aurait-elle monopolisé les chaînes d'information en continu ? Combien d'éditorialistes se seraient succédé pour dénoncer l'islamisme, l'immigration incontrôlée, l'ensauvagement, et ce fameux "choc des civilisations" ? Combien de fois aurait-on entendu, dès la première heure, le mot « attentat » ?
Les mots ont un poids. Et la couleur de peau, un prix. En France, on appelle "terrorisme" ce que commettent les Arabes, les musulmans ou ceux qui leur ressemblent un peu trop. Mais quand l'auteur du crime est blanc, bien de chez nous, enraciné, les choses se compliquent. On temporise. On vérifie son état mental. On attend les conclusions de l'enquête. Le crime raciste devient « fait divers ». Le tueur devient « tireur solitaire ». Et l'idéologie haineuse disparaît dans un brouillard sémantique : « différend de voisinage », « drame personnel », « contexte à préciser ». Le consul général de Tunisie à Marseille a eu le mérite de dire ce que les autorités françaises ont mis trop de temps à admettre : Hichem a été tué parce qu'il était Tunisien. Tous les éléments sont là : l'arsenal, les publications racistes, la revendication du crime, l'appel au meurtre. Le mobile n'est ni économique, ni sentimental. Il est idéologique. Nationaliste. Xénophobe. En un mot : terroriste. Et pourtant, il a fallu que la victime s'appelle Hichem, qu'elle soit sans papiers, qu'elle soit étrangère, pour que la machine médiatique prenne son temps. Pour que l'on hésite, tergiverse, dilue.
Ce silence n'est pas une erreur. C'est une stratégie. Qualifier cet acte de terroriste, c'est reconnaître qu'il existe en France un terrorisme d'extrême droite, structuré, actif, alimenté par des discours politiques et médiatiques. C'est admettre que la haine raciale ne se cantonne plus à la marge, mais s'exprime ouvertement dans les urnes, les éditoriaux, les plateaux télé… et parfois, dans les armes. Reconnaître cela, c'est aussi admettre que des décennies de stigmatisation – au nom de l'identité nationale, de la laïcité, de la sécurité – ont produit un terreau fertile à cette violence.
Hichem est mort d'avoir été Tunisien Pas d'avoir volé, ni agressé, ni même simplement dérangé. Il est mort parce qu'un homme blanc, convaincu que les étrangers n'ont pas leur place ici, a décidé qu'il ne méritait pas de vivre. Et cette conviction meurtrière, elle ne vient pas de nulle part. Elle est nourrie, attisée, légitimée par les petites phrases des responsables politiques, les titres anxiogènes, les amalgames constants. Elle prospère dans l'impunité sémantique accordée à ceux qui, chaque jour, désignent les "bons Français" et les autres. Alors non, ce crime n'est pas un accident. C'est le symptôme d'une société qui hiérarchise ses morts. Une société qui tolère l'intolérable, tant que les victimes ne portent pas les bons prénoms, les bons papiers, la bonne couleur. Comme le dit l'avocat de la famille, « la mort de Hichem est la conséquence directe d'une atmosphère alimentée par la stigmatisation, les amalgames et la banalisation de la violence raciste ». Il ne s'agit pas seulement de rendre justice à Hichem. Il s'agit d'appeler un crime par son nom. Et de briser, enfin, ce deux poids deux mesures qui gangrène l'idée même d'égalité républicaine.