Une équipe de la compagnie Emirates était en Tunisie cette semaine en vue d'effectuer des entretiens d'embauche avec du personnel navigant tunisien (pilotes et commandants de bord essentiellement). Dans un hôtel de Gammarth, en ce lundi 11 février 2008, on se bousculait. Les candidats à l'embauche chez les Emiratis provenaient essentiellement de Tunisair, à quelques exceptions près. S'il est indéniable qu'Emirates a tous les droits de chercher le meilleur personnel possible pour elle, là où elle le trouve, il n'en demeure pas moins qu'il est impératif que la compagnie nationale se doit de trouver une solution définitive pour retenir son personnel navigant. Le sujet a déjà fait l'objet d'articles dans des journaux tunisiens et étrangers il y a quelques mois. Réalités ou Jeune Afrique, pour ne citer qu'eux, l'ont évoqué et ont attiré l'attention sur la gravité du sujet. Celui du débauchage de pilotes et commandants de bord tunisiens formés à des centaines de milliers de dinars avec l'argent du contribuable. Il revient encore une fois sur le tapis avec la dernière campagne de recrutement d'Emirates Airlines. On apprend ainsi que des responsables de la compagnie ont réuni dans l'après-midi du lundi 11 février dans un hôtel de Gammarth des pilotes tunisiens afin de les séduire et les convaincre de partir tenter leur chance aux Emirats-Arabes-Unis. A vrai dire, il ne fallait pas fournir un effort particulier. A défaut de salaires intéressants et de conditions de travail confortables, nos pilotes sont déjà prêts à plier bagage ! L'argument avancé par les Emiratis est sans doute la compétence indéniable des pilotes tunisiens qui sont à leurs yeux des commandants de très haute valeur et correspondant parfaitement au profil de la compagnie qui mise sur la qualité totale. Il se trouve que la bonne disposition de nos pilotes et leur grogne a bien facilité les choses d'autant plus qu'elle s'ébruite de plus en plus. A cette réunion du lundi, ils étaient quelques dizaines dont une majeure partie de Personnel navigant technique (PNT) de Tunisair. Saisissant cette opportunité (« en or », nous disent-ils) tous les pilotes présents ont rempli des formulaires de recrutement, en attendant les réponses de la compagnie émiratie, qui a priori, ne tarderait pas. Quand on voit de près, on constate que la carotte est en effet alléchante. Pour les commandants de bord, les salaires offerts seraient de l'ordre de 10.000 euros et de 6.000 euros pour les jeunes pilotes. Outre les avantages en nature : logement, voiture, voyages pour la famille, possibilités de crédits sans intérêts Rien à voir avec les salaires tunisiens de l'ordre de 2.700 dinars pour un jeune pilote, de 4.500 dinars pour un jeune commandant de moins de dix ans et d'autour de 9.000 dinars pour les expérimentés travaillant depuis de longues années au sein de la compagnie. Les salaires émiratis ont donc vraiment fait couler la salive de nos PNT au point qu'il y aurait eu un nombre de commandants de bord disposé à céder son poste et travailler en qualité de copilote ! Remarque au passage : les salaires des Emiratis n'ont pas vraiment quelque chose d'extraordinaire puisqu'ils sont dans les standards internationaux. Ce sont nos salaires qui sont inférieurs à la moyenne internationale, mais nettement supérieurs à la moyenne nationale et même à la moyenne des salaires des PDG. Reste que la loi de l'offre et de la demande est impossible à ignorer et Tunisair (tout comme Karthago et Nouvelair d'ailleurs) se doivent de trouver une solution tout de suite, car il y a de forts risques qu'il soit trop tard sur le long terme. En novembre dernier, Tunisair a fait un geste. Il est cependant tellement minuscule qu'il n'a pas été vu puisque la direction a accordé à ses PNT une augmentation de 300 dinars étalée sur trois ans ! Quand on voit la carotte d'Emirates tripler le salaire et qu'en face Tunisair proposer cent dinars, le choix est vite fait. En plus de la rémunération qui constitue un facteur de stabilité pour le pilote, les éventuelles recrues tunisiennes, sont également séduites par les conditions de travail proposées par la compagnie émiratie avec un plan de carrière étalé sur cinq ans. Et c'est à même de venir à bout de tous les soucis du PNT, afin qu'il puisse se concentrer et se consacrer exclusivement à son travail. Le danger est donc vraiment là pour nos compagnies et Tunisair en tête. La compagnie nationale dispose 300 pilotes (sur un personnel de 6.000 personnes) pour trente avions. L'année dernière, 27 PNT sont partis dont douze du jour au lendemain. C'est-à-dire sans même réclamer leur solde de tout compte. Pour les 15 autres, ils peuvent regagner leur poste puisqu'ils sont partis dans le cadre de la coopération technique. C'est d'autant plus regrettable que nos pilotes sont des références. On apprend ainsi, de la bouche d'un commandant de bord, qu'une équipe de commandants de Tunisair était partie dernièrement en Espagne pour former de jeunes pilotes européens. Et pour atteindre ce niveau très élevé de compétence, Tunisair et la nation ont payé très cher rubis sur ongle. Un cadre de Tunisair estime ainsi que la formation et perfectionnement d'un seul pilote pendant sa carrière coûte entre 300.000 et 500.000 dinars. La formation initiale pour devenir pilote aura coûté au contribuable entre 50.000 et 100.000 dinars. Autant d'investissements partis en l'air ! C'est vraiment le cas de le dire ! Myriam Hammami