Pourquoi les manifestations de soutien au régime en place et à la personne du président de la République échouent systématiquement et tournent souvent au ridicule, alors que les manifestations de contestation, quels que soient leurs mobiles et malgré les divergences, parfois profondes, qui traversent les contestataires, mobilisent mieux la rue et accaparent, un tant soit peu, l'attention de l'opinion publique ? Une date qui divise plus qu'elle ne rassemble La date du 25 juillet n'est plus ce qu'elle était. Elle n'est plus la date autour de laquelle les Tunisiens se réunissent pour commémorer la fin du régime beylical et l'avènement de la première république dans l'histoire millénaire de la Tunisie. Trop d'événements se sont greffés sur cette date et ont fini par entamer l'aura de sa symbolique : l'assassinat du martyr Mohamed Brahmi, député et leader du mouvement panarabe Echâab en 2013 ; le décès de l'ancien président Béji Caïd Essebsi, premier président de la République, mort dans l'exercice de ses fonctions en 2019 ; le limogeage du chef de gouvernement, la fermeture forcée du Parlement et l'accaparement de tous les pouvoirs par le président de la République Kaïs Saïed en 2021. Du coup, le 25 juillet est devenu une date qui divise. Chacun profite de cette occasion pour brandir ses propres étendards et non le seul drapeau de la Patrie. Les exactions du pouvoir et la situation politique, économique et sociale aidant, la date du 25 juillet est devenue par excellence le rendez-vous des contestataires.
Le 25 juillet, cette année, n'a pas fait exception. Les soutiens du président de la République étaient quelques dizaines de personnes qui se sont ridiculisées sur les marches du théâtre municipal par leurs slogans, leurs cris et leurs pleurs. Ils faisaient pitié par leur fragilité apparente. Ils faisaient honte par leur médiocrité à ceux qui les ont encouragés à se donner en spectacle ainsi qu'à ceux qu'ils sont censés soutenir. L'un des participants à cet épisode tragicomique s'est écrié en pleurant : « Même si personne n'est venu, le peuple est avec vous Monsieur le Président ». Il ne croyait pas si bien dire. Quand le « peuple » devient un concept vide En effet, les citoyens tunisiens n'ont pas été conviés à cette manifestation de soutien pour la simple raison que le pouvoir en place a toujours cherché à écarter les citoyens de la chose publique. Pour lui, les citoyens sont insupportables par les droits qu'ils exigent et leur volonté de contrôler sans cesse les dirigeants. Ils ont vite été remplacés par un concept fanfaron, dont la définition est tellement large et immatérielle qu'elle ne signifie plus grand-chose : le concept de « peuple », cher à tous les populistes. Pour eux, l'avantage du « peuple » est qu'il est indéfini et ne risque pas de réclamer quoi que ce soit, d'autant plus que, le plus souvent, le populiste se substitue au peuple, accapare la parole au nom du peuple et finit par devenir lui-même « le peuple ». Le 25 juillet dernier, le président de la République n'était pas sur les marches du théâtre municipal. Seul son poster pendait tristement sur la façade du bâtiment. Il était donc normal que le peuple ne soit pas au rendez-vous, même s'il soutient le président puisque c'est lui, le peuple. L'isolement d'un pouvoir sans base réelle Le fiasco du rassemblement de soutien au président de la République, le 25 juillet dernier, n'est pas l'échec d'une manifestation. C'est l'échec du populisme, un système qu'on veut imposer aux Tunisiens à tout prix. En continuant d'ignorer le peuple, le pouvoir en place se condamne à l'isolement. Sa pérennité actuelle, il ne la doit pas à sa base, « le peuple », incapable de remplir les marches d'un théâtre. Sa force réside dans la mise des instances de l'Etat au service du pouvoir mais surtout dans la faiblesse des acteurs, incapables de se renouveler et d'être à la hauteur de l'instant politique.