L'interrogation est sur toutes les lèvres, du moins celles de ceux que la chose publique intéresse encore. Il est vrai qu'on cherche Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'UGTT, et son organisation depuis plusieurs mois, tant la « plus grande force du pays » fait le dos rond au régime et à ce qui se passe actuellement dans le pays. Silence à la Kasbah et à la Place Mohamed Ali Mais l'interrogation a évolué ces derniers jours pour devenir une mini-polémique autour de l'absence physique de Noureddine Taboubi et du fait que des secrétaires généraux adjoints assurent l'intérim. Heureusement, pas d'inquiétude pour Noureddine Taboubi, du moins au niveau physique. Selon Ghassen Ksibi, chargé de la communication au sein de la centrale syndicale, le secrétaire général prend quelques jours de repos et reviendra à son bureau dans quelques jours. La pratique est générale et ne concerne pas seulement le secrétaire général du syndicat. Prendre des vacances, prendre un congé pour se reposer reste une pratique entourée de la plus grande opacité quand il s'agit de hauts responsables, de ministres et même du président de la République. On préfère s'absenter, attendre que les interrogations s'accumulent et que la polémique enfle, pour ensuite daigner avouer que tel responsable, comme tout être humain, a eu besoin de se reposer. Le président de la République, lui-même, est coutumier désormais des petites absences de quelques jours où il n'y a aucune activité officielle. Peut-être que c'étaient des vacances ? Quelques jours de repos ? On ne le saura probablement jamais. La transparence et la reddition de comptes sont de beaux slogans, mais à l'application c'est autre chose. L'exécutif, qui ne dévoile pas son agenda, qui ne parle pas à la presse même lors de visites de dirigeants étrangers, qui ne donne pas de discours d'étape pour dire où nous en sommes, qui tolère que le peuple ne connaisse même pas la voix de la cheffe du gouvernement, ne va pas s'embarrasser à évoquer ses vacances et ses jours de repos.
Vacances sous haute discrétion Pourtant, ailleurs dans le monde, la question n'est pas si opaque que cela. Le monde entier sait où des présidents comme Emmanuel Macron, Donald Trump ou Vladimir Poutine passent leurs vacances. Les dates sont arrêtées et connues par ceux que cela intéresse. D'ailleurs, cela fait le bonheur des paparazzis et des photographes qui tentent d'avoir le cliché de l'été. Cela donne aussi matière aux Tunisiens pour se moquer. En France, il n'existe pas de texte législatif qui encadre les vacances des ministres, mais plusieurs d'entre eux dévoilent volontiers leurs destinations et la durée de leurs congés d'été. Il existe des consignes générales par rapport, par exemple, aux destinations choisies qui doivent être en conformité avec leurs responsabilités. Il est également demandé, dans la mesure du possible, de ne pas quitter le territoire et, évidemment, de rester joignables en toutes circonstances. Il est évident que cette exigence de transparence n'est pas respectée partout dans le monde. Mais étant donné que les vacances des ministres et des présidents sont payées par le contribuable, certains régimes ont estimé qu'il fallait rendre des comptes, aussi, quand il s'agit de repos et de villégiature. En vérité, il s'agit d'un petit effort en termes de transparence vu que sur d'autres sujets, bien plus pressants, la même exigence disparaît très vite. Toutefois, cela reste une bonne initiative que l'on pourrait adopter dans nos contrées, surtout que les absences inexpliquées donnent naissance à un torrent de rumeurs plus farfelues les unes que les autres.
Une opinion publique infantilisée Il y a aussi une certaine infantilisation de l'opinion publique dans cette façon de faire. Le président de la République l'a répété plusieurs fois : « Nous travaillons nuit et jour ». Il multiplie également les mentions plus subtiles de son dévouement lorsqu'il raconte qu'il a dû intervenir personnellement au milieu de la nuit pour régler tel ou tel problème. Il faut qu'on croie que notre chef de l'Etat et son équipe gouvernementale travaillent tout le temps et ne ferment pratiquement pas l'œil pour tenter de trouver des solutions à nos problèmes et veiller à notre bien-être. Ce sont des héros qui sacrifient leurs vies et même leurs santés pour nous. Et étonnamment, cette diatribe marche et des millions croient que tel travaille plus que tel autre. Certains croient encore, par exemple, que l'ancien chef du gouvernement, Hichem Mechichi, est arrivé en short rose au ministère de l'Intérieur, c'est dire si le chemin est long. Par conséquent, le mythe des ministres et du président qui travaillent tout le temps ne peut pas s'accommoder de l'idée même de congé et de repos. Et donc, ce n'est certainement pas pour si tôt que l'on verra un président ou un ministre dire clairement qu'il sera en vacances à telle date dans tel endroit. On aura beau être un peuple qui a « ébloui le monde entier », héritier de « trois mille ans d'Histoire », on continuera à nous traiter comme des enfants.