En Tunisie, la rue redevient le champ de bataille entre le pouvoir et l'UGTT. Jeudi 21 août 2025, la place Mohamed Ali a renoué avec son rôle historique : celui d'un espace où se joue l'avenir du dialogue social et de l'autonomie syndicale. Dans une capitale bouclée par les slogans, des milliers de manifestants ont rappelé que la centrale syndicale n'entend pas céder face aux pressions du pouvoir. Des milliers de manifestants se sont rassemblés jeudi 21 août 2025 sur la place Mohamed Ali, au cœur de Tunis, transformant le lieu en un véritable théâtre de revendication syndicale. Syndicalistes, militants et activistes ont répondu massivement à l'appel lancé par l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) pour protester contre la politique du pouvoir relative à la répression du militantisme syndical, au blocage des négociations et du dialogue social. Selon les chiffres avancés par des outils d'intelligence artificielle ayant analysé les images et les flux vidéo, la mobilisation aurait rassemblé près de 3.500 personnes, chiffre qui, au-delà de la précision technique, témoigne surtout de la capacité de l'UGTT à fédérer ses bases.
Une atmosphère vibrante face aux assauts du pouvoir Sur place, l'atmosphère était électrique. Des slogans résonnaient entre les façades du centre-ville et l'avenue Habib Bourguiba, tandis que les manifestants brandissaient des pancartes proclamant : « À la vie, à la mort, nous te défendrons, Union », « Le dialogue social est un devoir » ou encore « Dignité, droit et réforme ». La diversité des participants – jeunes et moins jeunes, ouvriers et cadres, femmes et hommes – traduisait la transversalité du soutien. À plusieurs reprises, un slogan a fait vibrer l'artère principale de la capitale : « Heyla leblad, répression et injustice ». Le centre-ville vibrait au rythme de la contestation. Le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi, a pris la parole à la place Mohamed Ali, avant de rejoindre les manifestants dans une marche le long de l'avenue Bourguiba. Dans son allocution, il a rappelé l'histoire de la centrale syndicale, son rôle dans les luttes sociales et politiques du pays et sa détermination à rester un acteur incontournable malgré les pressions et les critiques. « La centrale syndicale est attaquée, mais elle reste debout », a-t-il affirmé.
Offensive planifiée Cette mobilisation survient dans un contexte de tensions aiguës entre l'UGTT et le pouvoir. Depuis plusieurs semaines, le dialogue social est au point mort, et la suspension des négociations salariales a provoqué une onde de choc. Les accords en vigueur arrivent à expiration en 2025, tandis qu'aucune avancée sociale n'est envisagée avant 2028. Cette rupture inédite dans le dialogue social constitue un affront direct pour l'UGTT, qui a longtemps été perçue comme un partenaire essentiel dans la stabilité sociale du pays. Les événements récents ont accéléré la crise. Le 7 août 2025, un groupe d'individus s'est introduit sur la place Mohamed Ali, devant le siège de la centrale syndicale, accusant l'UGTT de corruption et appelant à son « épuration ». Les images de la scène, diffusées sur les réseaux sociaux, montraient des manifestants scandant des slogans hostiles et franchissant les barrières alors que les forces de l'ordre n'interdisait pas leur accès à la place. La centrale a dénoncé cet événement comme une véritable tentative de prise d'assaut du siège, soulignant que ces actions s'inscrivaient dans un schéma de délégitimation orchestré. Le parallèle avec les agressions de 2012, menées par les Ligues de protection de la Révolution et certains islamistes, était clair : il s'agissait moins d'un mouvement spontané que d'une opération planifiée pour intimider la centrale syndicale.
Les accusations et la riposte syndicale Le lendemain de cet assaut, le président Kaïs Saïed a réagi, affirmant que les manifestants du 7 août n'avaient « pas l'intention d'agresser ni de pénétrer dans le bâtiment ». Cette déclaration, accompagnée d'une vidéo diffusée par la présidence, a implicitement validé l'action des protestataires et renforcé la perception que le pouvoir cherche à fragiliser l'UGTT tout en contrôlant le récit public. Pour l'organisation, cette position présidentielle ne faisait que confirmer l'hostilité à l'égard de la centrale et la mise en scène d'une escalade planifiée. La tension a encore augmenté avec la publication d'une circulaire de la cheffe du gouvernement, Sarra Zaafrani Zenzri, le 11 août 2025, exigeant le retour immédiat des agents publics détachés auprès des organisations syndicales et annulant toutes les autorisations de mise à disposition. L'UGTT a dénoncé ce texte comme « hors du temps », rappelant que la mise à disposition syndicale existe depuis l'après-indépendance et qu'elle est encadrée légalement. Selon Sami Tahri, secrétaire général adjoint, il ne restait plus que quelques agents concernés, ce qui démontre le caractère symbolique et provocateur de la décision gouvernementale.
Des tensions qui s'enracinent depuis des semaines Les semaines précédentes avaient déjà été marquées par la mobilisation syndicale. La grève générale des transports publics, du 30 juillet au 1er août, a été suivie à 100 %, paralysant une large partie du pays et rappelant que l'UGTT conserve une capacité de mobilisation intacte, malgré les campagnes de marginalisation et de discrédit. La répétition des confrontations – grèves, manifestations, circulaires, déclarations publiques – inscrit la crise dans une dynamique historique où chaque tentative de contrôle ou de répression renforce paradoxalement la légitimité de la centrale. Le président Saïed a multiplié les références historiques pour légitimer sa position et délégitimer l'UGTT. Lors d'une rencontre avec la cheffe du gouvernement le 8 août, il a cité des articles du journal Echaâb de 1978 et rappelé des figures comme Mohamed Ali El Hammi et Farhat Hached, tout en critiquant la centrale pour son supposé éloignement des « valeurs syndicales authentiques ». Ces références ne sont pas anodines : elles visent à inscrire le pouvoir dans une continuité historique et à présenter l'UGTT comme une institution dévoyée, justifiant ainsi la mise en cause de ses dirigeants. Dans ce contexte, Noureddine Taboubi a souligné, lors d'une conférence de presse le 11 août, que toute accusation de corruption devait être portée devant la justice et que les syndicalistes ne sauraient être harcelés sur la base de campagnes de diffamation. Il a insisté sur le fait que l'UGTT subit des attaques répétées, renforçant le sentiment d'une offensive coordonnée contre l'autonomie syndicale.
L'UGTT, toujours pilier incontournable malgré les tempêtes Ce 21 août, la manifestation a été l'occasion de rappeler que l'UGTT reste un acteur incontournable de la vie sociale et politique en Tunisie. L'organisation a su mobiliser ses membres et fédérer une partie significative de la société civile et de ce qui reste de la classe politique, démontrant qu'elle n'a rien perdu de sa capacité de pression. L'importance symbolique de la place Mohamed Ali et de l'avenue Habib Bourguiba n'échappe à personne : la centrale syndicale réaffirme ainsi son rôle dans l'espace public, en incarnant la continuité de la lutte sociale. Cette mobilisation intervient dans un climat de discours présidentiel musclé, où chaque étape est analysée comme un signal politique. Kaïs Saïed a multiplié les références aux événements de 1978 et 1984, ainsi qu'aux figures historiques, pour dénoncer ce qu'il considère comme des dérives de l'UGTT et légitimer sa politique de contrôle. La manifestation s'inscrit donc dans une confrontation qui dépasse le simple cadre d'un rassemblement : il s'agit d'un affrontement sur le rôle même des contre-pouvoirs et de l'autonomie syndicale dans le pays. L'histoire tunisienne montre que l'UGTT a souvent résisté à la répression et aux tentatives de marginalisation, sortant renforcée de chaque confrontation. La répétition des crises, qu'il s'agisse de Bourguiba, de Ben Ali ou des épisodes plus récents sous la troïka, démontre que la centrale n'est pas un simple interlocuteur syndical : elle est un acteur politique et social majeur, dont l'existence et l'action conditionnent la stabilité du pays. Le défi actuel est double : pour le pouvoir, imposer son autorité sans provoquer un soulèvement social incontrôlable ; pour l'UGTT, protéger son autonomie et répondre aux provocations tout en évitant l'escalade incontrôlée.
Au final, la manifestation du 21 août symbolise un regain de vitalité de la centrale syndicale et la profondeur des tensions avec le pouvoir. L'UGTT a su montrer qu'elle est capable de mobiliser, d'incarner un contre-pouvoir historique et de maintenir une pression sociale réelle, même face à un exécutif déterminé et prêt à recourir à toutes les stratégies, de la mise en cause légale au discours musclé. La suite dépendra de la capacité du président à choisir entre apaisement ou confrontation et de la résilience de la centrale à naviguer entre dialogue, protestation et légitimité historique.