Introduction poétique Le territoire est un terrier à ciel ouvert. Nous croyons l'habiter, mais c'est lui qui nous abrite. Nous croyons le posséder, mais c'est lui qui nous façonne. Comme l'animal qui creuse son refuge, l'être humain s'y enfouit pour se protéger, s'y attache pour survivre. Mais ici, le plafond n'est pas de pierre, il est ciel. La terre s'ouvre sur l'infini, et le terrier devient un théâtre où la vie cherche ses gouvernances, où les règles se multiplient comme des racines souterraines. Nous creusons ce qui a été creusé pour nous. Nous croyons modeler la terre, mais ce sont ses contraintes qui nous modèlent. La glaise oppose sa résistance, elle plie notre volonté, elle guide nos gestes. Chaque geste — écouter, palper, toucher — n'est ni saint ni coupable ; il ne fait que gouverner, façonner une forme fragile, provisoire, soumise aux forces du réel. L'aménageur, celui qui prétend donner forme au territoire, ne peut s'inventer comme tel sans connaître et maîtriser les gestes de l'artisan. Dans un pays où tout reste à créer, il doit s'élever d'artisan à artiste : conserver la rigueur et la patience du geste concret, tout en projetant une vision qui dépasse la simple exécution technique. Ce cheminement n'est pas celui d'un diplôme ou d'une école administrative : il se forge dans la glaise, sur le terrain, dans la confrontation avec la matière et la vie.
Gouvernance et politique Pourquoi notre territoire semble-t-il nous tourner le dos ? Et si ce n'était pas lui, mais nos gouvernants successifs qui n'ont pas su le regarder en face ? Pendant des décennies, ils l'ont observé avec des yeux doux, cherchant à séduire tour à tour des bailleurs de fonds étrangers, puis un électorat impatient. Leur regard a caressé la surface, admiré le décor, ignoré la profondeur. Mais le territoire n'est pas un décor. Quand on veut le diagnostiquer, l'évaluer, l'aménager, il faut un regard équipé de rayons X : capable de scruter ses structures profondes, de repérer les fractures, d'estimer les dégâts accumulés. Seule cette observation fine permet d'agir de manière responsable et éclairée, plutôt que de poser des pansements sur des blessures invisibles. Gouverner en aménagement, c'est engager le politique d'un pays. Aménager ne se limite pas à bâtir des routes ou des plans : c'est organiser le rapport entre les habitants et leur territoire, décider où s'ouvrent les possibles et où se ferment les limites. Or, les gouvernants ne sont pas toujours élus pour cela. Souvent, ils se cantonnent à la politique au sens étroit : programmes électoraux, calendriers, promesses ponctuelles. Mais le politique dépasse ces contraintes : il est vision, projet, horizon. Là où la politique ajuste, le politique oriente. Là où la politique gère, le politique invente.
Exemples concrets La Cité médicale de Raqqada illustre une vision forte. Annoncé comme un pôle médical régional multidisciplinaire, ce projet fixe un cap ambitieux pour la région et affirme un principe : investir dans la santé et la formation médicale pour transformer le territoire. Peu importe pour l'instant sa taille exacte ou la totalité de ses infrastructures ; l'essentiel est que la vision existe. La gouvernance ici est conceptuelle : elle inspire, elle trace un cap, même si sa mise en œuvre nécessitera des ajustements sur le terrain. À l'inverse, le centre-ville de Tunis démontre la nécessité d'un projet concret. Entre bâtiments historiques tombant en ruine, espaces publics dégradés et départ des habitants vers de nouveaux quartiers, la situation réclame un plan opérationnel : priorisation des interventions, mobilisation des ressources, coordination des acteurs. La gouvernance ne peut se limiter à une déclaration de principe : elle doit descendre dans l'action pour réparer, revitaliser et organiser la ville, en tenant compte de la vie quotidienne des habitants. Ces deux exemples montrent que la gouvernance prend des formes différentes selon le contexte. Elle peut être visionnaire, pour tracer un horizon et inspirer l'action, comme à Raqqada. Elle peut être projetée et concrète, pour résoudre des urgences et structurer la vie, comme au centre-ville de Tunis. Gouverner, c'est savoir passer de la vision au projet, de l'idée à l'action, et adapter ses choix aux réalités du territoire et aux besoins de ses habitants.
Un territoire n'appartient à personne : il se reçoit, se transforme, se transmet. Gouverner ne consiste pas à imposer une forme figée, mais à dialoguer avec la matière vivante, à écouter la glaise, à composer avec la mémoire du lieu et avec les besoins présents. Le politique, incarné par l'aménagement, est un projet qui relie la vision et l'action, l'artisan et l'artiste, l'idée et la vie. Habiter un territoire, c'est accepter cette complexité, reconnaître la pluralité des gouvernances, et s'engager à donner forme à l'avenir, sans jamais oublier les gestes qui l'ont façonné.