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« Il faut bannir le cumul des fonctions locale et parlementaire »
Entretien avec Romain Pasquier
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 04 - 2016

Directeur de recherche au Cnrs et titulaire de la chaire «Territoires et mutations de l'action publique» à Sciences Po Rennes, Romain Pasquier est expert associé à l'Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation. Il est invité par la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et par l'Association tunisienne d'études politiques, pour animer un cycle de conférences sur « La gouvernance publique et la décentralisation ». Dans ce cadre, il est sollicité par La Presse pour nous présenter la décentralisation comme mode de gouvernance et comme champ d'application possible au cas tunisien. Un entretien constructif qui participe, autant que faire se peut, au débat de fond et éminemment décisif qui anime actuellement la scène politique
Quelle est la définition
de la décentralisation ?
C'est le transfert de compétences juridiques et de budget financier à des autorités politiques élues au suffrage universel direct, soit au niveau local soit au niveau provincial ou régional.
Quelle est la différence avec la déconcentration ?
La déconcentration, c'est le transfert de compétences à une administration d'Etat localisée sur le territoire. C'est-à-dire préfecture ou gouvernorat dans le système tunisien. Ce ne sont pas des autorités élues qui exercent ces compétences. C'est l'Etat qui se rapproche du territoire. Ce sont des fonctionnaires désignés par le pouvoir central qui décident pour les populations et ne sont pas élus. D'où parfois un écart entre les besoins de la population et les choix qui sont faits en termes de politiques publiques par ces représentants de l'Etat.
Son application est-elle liée à la nature du régime politique ? En Tunisie, c'est un système ni totalement parlementaire ni tout à fait présidentiel, y a-t-il une relation de cause à effet ?
Il y a des modèles d'Etat qui produisent plus ou moins de décentralisation. Dans des Etats unitaires, la décentralisation est modérée, c'est le cas en France. Dans des modèles fédéraux, la décentralisation est beaucoup plus marquée. La décentralisation est un phénomène mondial qui s'exerce en vue de satisfaire un certain nombre de services publics primaires. En vue de s'adapter au contexte de mondialisation économique, il faut des pouvoirs locaux réactifs et forts qui soient en phase avec les besoins de la population et les exigences du développement économique, social et culturel.
Pour un pays en transition démocratique comme c'est le cas de la Tunisie, dont les institutions ne sont pas encore stabilisées, la décentralisation ne risque-t-elle pas de fragiliser davantage l'Etat ?
C'est un risque, les choses doivent se construire progressivement. La décentralisation est aussi une marque de la maturité politique d'un Etat qui réussit à asseoir son autorité et qui est en capacité dans certains domaines de compétences, essentielles pour la vie des populations, comme l'urbanisme, l'assainissement, l'eau, le transport urbain de donner à des autorités locales la capacité d'agir. A l'échelle tunisienne, ce qui me paraîtrait important à titre de première étape, ce serait d'engager une décentralisation dans les grandes villes, parce que c'est là où les besoins en termes publics locaux les plus évidents se font sentir. Et parce que dans les villes, il y a une administration locale déjà bien constituée, celle-ci serait en mesure d'assumer et d'assurer cette première phase de décentralisation. Ce sera plus compliqué dans les zones rurales, où l'ingénierie technique est plus faible. Une première phase de centralisation est peut être nécessaire pour passer ensuite à la décentralisation. Pour ce faire, il faut faire appel à des gens compétents et à des corps techniques pour mettre en œuvre des politiques publiques. L'action publique se complexifie aujourd'hui, les compétences sont nécessaires. C'est pourquoi il est plus facile dans une première phase de décentraliser dans des grandes autorités locales et régionales.
En Tunisie, si l'on tient compte du découpage géographique, il y a des régions riches, fertiles de surcroît situées sur le littoral et d'autres à l'intérieur, pénalisées par la géographie et le climat, la décentralisation ne risque-t-elle pas d'aggraver cette disparité régionale existante de fait ?
Si la décentralisation se limite à un transfert de moyens financiers et de décisions, il y a un risque effectivement. Pour être efficace, la décentralisation doit s'accompagner de mécanismes de péréquation très puissants. C'est-à-dire, que les régions riches soient solidaires des régions pauvres, c'est ce qu'on appelle la péréquation horizontale. Les villes riches contribuent au développement de celles qui le sont moins. Il y a un seul garant possible de la réalisation de cette péréquation, l'Etat et le législateur. Il faut que la décentralisation s'accompagne d'une fiscalité et de mécanismes financiers qui assurent une forme de solidarité. C'est essentiel. Sinon la décentralisation risque d'être un échec à cause des frustrations ressenties.
En France, la décentralisation est appliquée, en Allemagne aussi à travers les länder, quelle est la différence entre les deux systèmes ?
La Différence c'est que l'Allemagne est un Etat fédéral, les länder ont beaucoup plus de compétences que les régions françaises. Elles ont un pouvoir législatif dans un certain nombre de domaines. La législation qui s'applique, c'est celle des régions et non pas de l'Etat central. De ce point de vue, la Tunisie de par son histoire, est beaucoup plus influencée par le modèle français que par le modèle allemand. Basculer vers le fédéralisme, ce serait un saut culturel et un saut administratif très grands, pour ne pas dire un saut dans le vide. Il me semble que ce serait bien de plutôt s'inspirer des évolutions du modèle français en essayant de ne pas reproduire les mêmes erreurs pour avancer vers un modèle d'Etat unitaire, fort mais décentralisé.
Certains secteurs, pourtant, relèveront toujours du pouvoir central comme l'éducation ?
En France, pour l'entretien des bâtiments des écoles primaires, des lycées ou des collèges, ce sont les collectivités territoriales qui s'en chargent. Mais tout ce qui relève du personnel enseignant, des diplômes, du contenu des enseignements, c'est le ministère de l'Education nationale et ses rectorats, qui se répartissent sur le territoire national, qui s'en chargent. Pour la santé, c'est la même chose. Pour tout ce qui est politique sociale, la législation est définie au niveau national, mais la mise en œuvre est souvent locale à travers les communes ou les départements. En revanche, dans la formation professionnelle, le développement économique, l'aménagement du territoire, les transports, il y a une capacité d'investissement public très fort des collectivités territoriales. En France aujourd'hui, 75% des investissements publics proviennent des collectivités territoriales. Tout ce qui est équipements, routes, aéroports, ports, ce sont les collectivités et les autorités locales et régionales qui les prennent en charge. En revanche, c'est la légalisation nationale qui fixe les cadres d'action.
Pour ce qui est de la santé, il y a des régions en Tunisie qui sont des déserts médicaux, la décentralisation ne risque-t-elle pas d'accentuer cet état de fait ?
La France a fait le choix de ne pas décentraliser complètement l'Education nationale ni la Santé. Pour l'Education, il y a un contrôle par l'Etat à travers les rectorats d'académies. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'inégalité sur le territoire, il y en a, mais il y a un minimum d'uniformatisation. Même chose pour la Santé publique, il y a des agences régionales de santé dont le directeur représente un peu le préfet de la santé sur chaque région. Nous avons aussi nos déserts médicaux dans les zones rurales où il y a moins de médecins, mais il y a un standard minimum. C'est vrai aussi que le transfert brusque des compétences régaliennes comporte un certain nombre de risques.
Quel est le profil type de l'élu local, il pratique une politique de proximité, il va sur le terrain, et quelle est la différence avec celui de l'homme politique, lequel habituellement travaille sur des dossiers et les médiatise ?
Lorsqu'on revoit les enquêtes d'opinion publiques en France, il y a un élu qui est salué par tous, c'est le maire. Les Français aiment leur maire, parce que c'est cet élu de terrain qui va répondre à des problèmes très concrets. D'ailleurs les maires sont souvent interpellés sur des sujets dont ils n'ont pas la maîtrise, comme « trouver un emploi pour ma fille, trouver des solutions avec les caisses familiales ». Le maire est le premier relai de l'action publique. C'est celui qu'on sollicite. Il faut qu'il soit un homme de terrain. Il est élu et il incarne celui qui peut agir concrètement sur un certain nombre de domaines. Ceci étant dit, il y a des maires parce qu'ils ont bien fait leur travail, ils vont réaliser des carrières politiques nationales. Alain Juppé, c'est vrai qu'il est devenu maire de Bordeaux après une carrière politique confirmée, mais aujourd'hui tout le monde salue son travail pour avoir renouvelé sa ville. Le Maire va exercer des compétences d'urbanisme, de transport, de voierie, il peut transformer sa ville. C'est souvent un élu très apprécié. Le bon élu est un élu de terrain qui par ses actes montre l'efficacité de la décentralisation. Après 30 ans de décentralisation en France, la qualité des services publics, leur densité sur l'ensemble du territoire a considérablement progressé. Mais il faut des moyens financiers.
Comment se fait la gestion des ressources financières dans un système décentralisé ?
Il y a deux modalités, le budget d'une collectivité territoriale est d'abord alimenté par des ressources propres, des taxes locales collectées par les communes, les départements ou les régions. Dans la constitution française, on estime qu'il doit y avoir une part significative d'autonomie fiscale pour qu'il y ait de vraies libertés locales à agir pour adopter des choix de politiques publiques possibles. C'est cela qui pose problème dans les pays en transition, l'Etat central n'a pas forcément envie d'accorder des formes de fiscalité locale.
C'est-à-dire que le contribuable est soumis à une double fiscalité ?
Oui. Des impôts locaux, la taxe d'habitation et la taxe sur le foncier bâti et sur le foncier non bâti. Une part de cet impôt va aux régions. La collecte de l'impôt sera répartie en fonction de chaque région. Les communes peuvent augmenter elles-mêmes dans une certaine mesure les impôts locaux. Mais il faut qu'elles prouvent à leurs habitants que cette augmentation produit des effets positifs. Faute de quoi, cela peut se retourner contre elles. Si un maire veut refaire une politique culturelle très inventive, innovante et démocratique pour sa population, il faut qu'il ait les moyens de la mettre en place. S'il dépend de l'Etat et que l'Etat refuse... Donc la liberté fiscale est importante dans la décentralisation.
L'Etat a-t-il un droit de regard et un pouvoir de contrôle sur la gestion locale des ressources financières ?
A l'échelle nationale, il y a la Cour des comptes, et dans chaque région, il y a la Chambre régionale des comptes qui contrôle régulièrement l'usage des comptes publics locaux et régionaux et peut engager des poursuites s'il y a eu des malversations. Et même s'il n'y a pas eu de malversations et qu'elle estime que les choix qui ont été faits sont contestables, la chambre des comptes va l'annoncer publiquement et la presse relaie l'information. Il y a eu des scandales. Mais grosso modo, c'est un système qui a assez bien fonctionné.
Les élus locaux doivent-ils être nécessairement natifs de la région qu'ils représentent ?
Pas forcément, mais souvent, de par le monde, c'est le cas. Mais, il y a aussi des parachutages réussis. C'est-à-dire, une personne qui a envie de s'investir pour un territoire et qui a des idées. Il ne faut pas non plus lui barrer la route parce que simplement il n'y est pas natif.
Les élus sont des politiques d'abord, il n'y a pas de risque qu'ils fassent prévaloir les intérêts partisans sur les priorités locales ?
C'est toujours un risque. Mais, c'est vrai au niveau national également. Cela dépendra du profil des élus. Il faut que les élus ne considèrent pas la décentralisation comme simplement un lieu de pouvoir, mais un lieu de développement. Il ne faut pas que ce soit des élus qui représentent la région, mais des élus managers qui veulent développer leur territoire comme une entreprise. Pour ce faire, il faut des profils qui soient à la fois attachés à leur territoire, mais qui ont des idées portant sur les modalités pour transformer, valoriser les ressources endogènes du territoire local. Et c'est vrai que c'est une denrée qui peut être rare. Il faut que ces élus soient aidés par des équipes techniques bien formées qui proposent des projets et des options de politiques publiques. C'est aux élus de décider.
Pour optimiser le travail d'un élu local, le cumul des fonctions locales et parlementaires est-il à bannir ?
Oui. En tout cas, on en a beaucoup souffert en France. Si la Tunisie pouvait ne pas refaire la même erreur, ce serait une bonne chose. On se rend compte qu'il y a des conflits d'intérêt et l'on ne peut pas prendre certaines décisions au niveau national et les élus locaux n'appliquent pas forcément la législation parce qu'ils sont parlementaires.
La formule du député maire et du sénateur maire a montré ses limites. Quand on fait le choix de la décentralisation, il faut couper le cordon ombilical entre le mandat local et le mandat national. C'est ce qui se passera en France en 2017, où, pour la première fois dans notre histoire, on ne pourra plus exercer un mandat parlementaire si on est investi d'un mandat d'élu local.
Un élu local relève du pouvoir central d'une manière ou d'une autre. Il se situe à quel niveau de la hiérarchie, par rapport aux gouverneurs par exemple ?
Cela dépend du système de décentralisation adopté. En France, il n'y a pas de hiérarchie entre le préfet et l'élu local. Parce que le préfet ne peut plus exercer de tutelle sur les actes des assemblées politiques locales. Il n'y a plus de tutelle mais un contrôle a posteriori sur la légalité des actes. Le préfet n'a rien à dire sur les décisions des élus locaux, il ne peut qu'engager un contrôle s'il soupçonne une inégalité. L'élu local représente la collectivité territoriale dont il est issu et élu.
La prochaine étape électorale, c'est les municipales, représentent-elles un premier jalon dans la consécration de la décentralisation ?
Oui, il faut des autorités politiques municipales légitimes et légitimées par le scrutin au suffrage universel direct pour envisager une phase de décentralisation. Il faut que les élus locaux se saisissent de la question de la décentralisation et revendiquent du gouvernement central d'engager un processus. Sans élus légitimés par le peuple qu'ils représentent, ce sera difficile d'engager une décentralisation efficiente.


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