Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a consacré, mercredi 17 septembre 2025, une conférence au phénomène du travail des enfants en Tunisie. Selon les données présentées, plus de 215.000 mineurs sont contraints de travailler, dont près de 136.000 dans le secteur agricole, un domaine qui demeure l'un des principaux employeurs de main-d'œuvre juvénile dans plusieurs régions. Rami Ben Ali, chargé de mission au FTDES, a rappelé que le gouvernorat de Kairouan fait partie des zones les plus touchées par ce phénomène. Il a souligné l'urgence de réviser en profondeur le Code du travail, en vigueur depuis 1966, estimant que plusieurs de ses dispositions, notamment l'article 55 relatif à l'emploi des mineurs, ne sont plus adaptées aux réalités économiques et sociales actuelles. De son côté, l'activiste Khaled Tiahi a évoqué un lien préoccupant entre le travail des enfants et la recrudescence des cas de suicide, notant que Kairouan figure parmi les régions les plus affectées. Il a pointé du doigt l'absence d'un mécanisme efficace de contrôle des horaires et des conditions de travail, en dépit d'un arsenal juridique déjà existant. La chercheuse Monira Belghouthi a, pour sa part, mis en garde contre une banalisation de ce phénomène. Selon elle, les zones économiquement fragilisées sont celles où le travail des enfants est le plus répandu. Elle a rappelé que la pauvreté, le décrochage scolaire et l'absence de dispositifs de protection sociale figurent parmi les causes profondes qui pèsent lourdement sur l'équilibre psychologique et social des mineurs concernés.
Dans une intervention accordée à Dream FM, Mejda Mestour, présidente du bureau régional du FTDES à Kairouan, a expliqué les objectifs de la table ronde organisée dans la région. « Cette initiative s'inscrit dans l'engagement du Forum en matière de droits économiques et sociaux, notamment dans la défense des catégories vulnérables, et parmi elles les enfants qui travaillent dans l'agriculture », a-t-elle déclaré. Le programme a comporté une intervention juridique sur le cadre légal encadrant l'emploi des enfants, une lecture sociologique sur la reproduction des inégalités sociales, ainsi que des témoignages d'enfants accompagnés de leurs parents. Répondant à une question sur l'ampleur du phénomène à Kairouan, gouvernorat à forte vocation agricole, Mejda Mestour a précisé : « Kairouan est une région marquée par des taux élevés de pauvreté, d'analphabétisme et de décrochage scolaire. Tous ces facteurs favorisent le recours au travail des enfants. Dans les zones rurales, certains ne vont jamais à l'école, d'autres abandonnent rapidement leurs études en raison de conditions de vie précaires. Leur seule alternative devient alors de travailler dans l'agriculture, que ce soit pour aider leurs familles dans leurs exploitations ou dans d'autres fermes, parfois même sans rémunération ». Elle a également souligné la dureté des conditions de travail : tâches physiques lourdes, longues heures dans des environnements dangereux, exposition aux pesticides et salaires dérisoires lorsqu'ils existent. Sur la question des chiffres précis, la responsable régionale du FTDES a regretté l'absence de données officielles actualisées : « Il s'agit d'une catégorie invisible, rarement recensée par les autorités. Toutefois, nous constatons que le phénomène est plus répandu dans les zones les plus pauvres. Ce n'est pas propre à Kairouan : on retrouve le même constat dans des gouvernorats comme Kasserine ou Sidi Bouzid. L'ampleur varie, mais la problématique reste commune », a-t-elle précisé.
Sur le plan légal, le Code du travail fixe un âge minimum de 16 ans pour travailler, avec des distinctions entre les activités dites légères et les travaux pénibles. La Tunisie a également ratifié des conventions internationales qui prohibent l'emploi des enfants, et la Constitution elle-même interdit leur exploitation. « L'emploi d'enfants, surtout dans des conditions dangereuses, constitue un crime puni par la loi », a rappelé Mejda Mestour, tout en déplorant qu'« il n'existe pas une conscience suffisante que le travail des enfants est une violation grave de leurs droits. La pauvreté, l'ignorance et la vulnérabilité sociale des familles expliquent en grande partie le recours à cette pratique ». À l'issue de la rencontre, le FTDES a formulé plusieurs recommandations articulées autour de trois axes : * Application stricte des lois interdisant le travail des mineurs et sanction des violations. * Soutien social et économique aux familles pauvres pour supprimer les causes directes du recours au travail des enfants. * Renforcement du droit à l'éducation et à la santé, afin de garantir aux enfants une enfance digne et protégée.
Mejda Mestour a insisté sur la nécessité de « mieux documenter le phénomène en actualisant les statistiques, d'assurer la scolarisation universelle et de lutter contre le décrochage scolaire », tout en appelant à une large mobilisation : « Il est crucial de sensibiliser la société et de briser le silence autour de cette réalité. C'est pourquoi nous organisons des rencontres, des débats et des campagnes impliquant la société civile, les acteurs sociaux et les autorités publiques ».