Il n'y a rien à dire sauf que c'est époustouflant. Tout d'un coup, plusieurs clignotants économiques ont viré au vert. La croissance, puis l'investissement direct étranger, puis l'enquête auprès des chefs d'entreprise du secteur privé sur leur ressenti concernant l'investissement, puis les données sur les intentions d'investissement tout secteur confondu publié par l'Autorité tunisienne de l'investissement (TIA, Tunisian investment authority) et – cerise sur le gâteau ? – le relèvement de la note de défaut émetteur à long terme de la Tunisie de « CCC + » à « B- » avec perspectives stables. Le diable se cache dans les détails Ainsi, tout serait pour le mieux. A la gageure. Car, dans le détail et « le diable se cache dans les détails », il n'y a pas lieu de s'en réjouir outre mesure. S'agissant de la croissance, on l'a abordé ici même à travers une série de questionnement sur cette brusque reprise de l'activité économique enregistrée durant le 2e trimestre 2025 et qui a boosté la croissance du 1er semestre 2025. Ce questionnement persiste et se renforce davantage à la lecture des statistiques concernant les moyens de paiements durant le 1er semestre 2025 que vient de publier la Banque centrale de Tunisie (BCT). Selon l'institut d'émission, le montant total des transactions passant par le système télécompensation accuse un recul remarquable passant de 117 milliards de dinars au cours du 1er semestre 2024 à seulement 96 milliards de dinars environ au cours de la même période de 2025. Une perte sèche de 21 milliards que ne compense ni le paiement par carte bancaire, ni le paiement par le RTGS (Real time gross settlement ou Règlement brut en temps réel), ni le paiement par téléphone mobile, ni l'accroissement du cash en circulation. Cette perte représente 18 points de PIB. A moins d'une hausse spectaculaire de la productivité, on n'arrive pas à expliquer ce qui a bien pu booster la croissance au cours des 6 premiers mois de 2025. Les résultats de l'enquête de l'Institut national de la statistique (INS) auprès des chefs d'entreprise sur leur ressenti concernant l'investissement suscitent eux aussi quelques questionnements. L'INS ne fournit pas d'éclairage quant au nombre de répondants à l'enquête par rapport aux 1030 chefs d'entreprise composant l'échantillon de l'enquête.
Investissement : des indicateurs qui s'entrechoquent Interrogés au cours du 2e semestre 2024 sur les perspectives de l'investissement durant le 1er semestre 2025, le solde d'opinion des patrons de l'industrie manufacturière tunisienne affichait 8 points positifs de pourcentage. L'enquête du 1er semestre 2025 révèlera que les chefs d'entreprise ont sous-estimé leur prévision puisque leur opinion affiche un solde de 17 points de pourcentage et qu'ils s'attendent à d'aussi bonnes perspectives pour le 2e semestre 2025, le solde d'opinion passant à 18 points positifs de pourcentage. Il aurait été judicieux que l'INS publie les résultats de l'enquête trimestrielle sur la situation et les perspectives des entreprises industrielles qui aborde la situation générale du secteur industriel, la production industrielle, la demande intérieur, la demande extérieure, les capacités de production utilisées, l'emploi et les difficultés rencontrées par les entreprises industrielles en termes d'approvisionnement, de prix des matières premières, de commercialisation, etc. Un ressenti plus large des patrons de l'industrie aurait été d'un meilleur éclairage que celui exclusivement réservé à l'investissement. Malheureusement, cette enquête ne semble pas faire partie du programme d'enquête de la principale structure publique de production statistique puisque ses résultats ne sont plus publiés depuis belle lurette. En tout cas, ce ressenti des patrons de l'industrie sur la situation de l'investissement ne transparait pas dans les statistiques d'intentions d'investissement du secteur industriel pour le 1er semestre 2025 publié par l'Agence de promotion de l'investissement et de l'innovation (APII). Bien au contraire. En effet, les intentions d'investissement déclarées auprès de l'APII ont enregistré une baisse de 9% environ au cours du 1er semestre 2025 par rapport à la même période de 2024 : 955 MD contre 1050 MD. Encore heureux que 40% des intentions d'investissement industrielles concernent des projets de création. Car, selon TIA, les intentions d'investissement de création tout secteur productif confondu (agriculture, industrie, service, tourisme, etc.) au 1er semestre 2025 représentent 75% du total des intentions d'investissement déclarées. On croit rêver. A moins que TIA ne daigne publier le suivi des intentions d'investissement des projets déclarés antérieurement comme le fait l'APII en publiant les « Résultats de l'enquête de suivi des grands projets industriels (projets de 5 MD et plus) au cours de la période 2020-2023 ». Le taux global de réalisation atteint à peine 43% et il n'est que d'un peu plus de 23% pour les projets de création alors qu'il atteint près de 55% pour les projets d'extension. Le constat renvoie bien évidemment à se poser la question sur le climat des affaires dans le pays et les réformes structurelles à engager pour l'améliorer.
Amélioration du climat d'affaires ? De ce point de vue d'ailleurs, la nouvelle réglementation sur les chèques et la lutte contre les émissions de chèques sans provision ne semble pas fournir pour l'heure une quelconque amélioration. On pouvait s'attendre à un net recul du montant global des rejets des chèques pour insuffisance de provisions. Il n'en est rien. Au 1er semestre 2024, le montant global des chèques rejetés était de 1 450 MD. Au 1er semestre 2025, ce montant atteint 1 435 MD. En revanche, le montant global des traites rejetées a enregistré une hausse vertigineuse au cours des périodes précitées 2,3 milliards de dinars d'effets rejetés au 1er semestre 2025 contre 1,5 milliards de dinars durant la même période de 2024. Il en est de même des prélèvements, dont le montant des rejets est passé de 780 MD à 1 000 MD entre les deux périodes. Autrement dit, on n'est pas arrivé à bout du phénomène des chèques impayés mais on a amplifié les rejets par manque de provisions des autres moyens de paiement. Le total des impayés de ces trois moyens de paiement est passé de 3,7 milliards de dinars à 4,7 milliards de dinars entre les deux périodes de 2024 à 2025. Cela représente 2,2% du PIB en 2024 et 2,6% du PIB en 2025. Après tout cela, on peut s'interroger sur les raisons qui ont pu amener Fitch à relever la note souveraine du pays. Ce n'est probablement pas la croissance économique attendu, ni l'inflation, ni le climat des affaires et de l'investissement, ni les exportations. Tout cela n'est que faux semblant. Ce qui intéresse particulièrement l'agence de rating, c'est le montant des réserves en devises. Tant que le pays est capable d'honorer ses échéances de dettes extérieures, il est possible d'améliorer sa notation. Ce qui ne veut pas dire lui permettre de solliciter à nouveau les marchés financiers extérieurs pour satisfaire ses besoins de financement en devises. Le pays devra encore « compter sur soi ». On ne voit pas encore le bout du tunnel.