Cela fait un mois, jour pour jour, que Zine El Abidine Ben Ali est parti. Son départ du pouvoir n'a pas encore été vraiment fêté dans nos rues. Vendredi dernier, au départ de Hosni Moubarak, on klaxonnait partout, aussi bien au Caire et Alexandrie, qu'à Tunis et Tozeur. Au départ de Ben Ali, ce sont les tirs de feu et les pillages qui ont fait l'actualité chez nous. Un mois plus tard, en Tunisie, les tirs de feu et les pillages ont laissé place aux grèves sauvages et aux revendications anachroniques. A l'incivisme et à la construction anarchique. Business News a un besoin urgent de recruter deux personnes pour renforcer ses services. Le journal grandit, son lectorat a quintuplé en l'espace de quelques semaines et nos besoins vont quasiment de pair. Mais aucun recrutement n'aura lieu dans l'immédiat, malgré l'urgence de la chose. Les recettes publicitaires actuelles suffiront à peine à payer les salaires de l'équipe actuelle, appelée à multiplier ses efforts pour garder son emploi. Faute de visibilité, pour les prochains mois, tout recrutement s'avère impossible. Comme nous, Nessma TV se trouve dans la même configuration. Idem pour Express FM et un bon nombre de médias dont le business model est basé sur les recettes publicitaires. Comme nous, plusieurs entreprises se sont retrouvées obligées à stopper les recrutements, car leurs ventes sont au point mort. Faute de recettes, il n'y a pas d'argent dans les caisses et faute d'argent dans les caisses, il est difficile de payer les salaires la fin du mois. Comme nous, plusieurs industriels se sont trouvés obligés, par leurs syndicats, d'augmenter les salaires de ceux qui travaillent déjà. Ces augmentations de salaires seront, inévitablement, supportés par le client final. Bonjour l'inflation. Mais ce n'est pas le problème principal. Car d'autres industriels ne peuvent pas répercuter ces augmentations sur le prix final versé par le client puisque celui-ci se dirigera, inévitablement aussi, vers les concurrents est-européens, turcs, marocains, voire chinois. Dans pareil cas, ces industriels (qui représentent des milliers d'emplois) seront obligés de mettre la clé sous la porte. Nous y voilà et c'est à la portée d'un étudiant en 1ère année de prospective. Une fois que l'industriel ou l'entreprise ait mis la clé sous la porte, il y aura une explosion du chômage et une réduction des recettes de l'Etat. Bonjour la récession, bonjour le climat social qui va s'instaurer. Merci à l'UGTT qui réclame à droite et à gauche et au gouvernement qui ne sait pas dire non. Qu'on nous dise maintenant où ce gouvernement va trouver l'argent, promis aux syndicalistes, si les entreprises vont réduire ou cesser leurs activités. Ce gouvernement était censé liquider les affaires courantes du pays en attendant les élections. Le voilà qui s'approprie des prérogatives que personne ne lui a accordées. De quel droit négocie-t-il avec l'UGTT ? De quel droit revient-il sur les engagements du pays à l'égard des investisseurs étrangers ? De quel droit accorde-t-il des avantages aux travailleurs qui n'ont rien d'urgent ? Interrogé, un ministre de ce gouvernement nous a répondu ce qui suit : « mais que voulez-vous que j'y fasse ? On a fait un bon deal avec l'UGTT ! » Mais, monsieur le ministre, nous ne sommes pas là pour vous dire ce que vous devez faire ! Nous sommes là pour vous dire ce que vous ne devez pas faire ! Et ce que vous venez de faire, avec les syndicats, va mener la Tunisie droit au mur ! Et on ne peut même pas tancer l'UGTT puisque c'est de leur droit de revendiquer. Mais entre revendiquer et obtenir gain de cause, il y a une marge et une ligne rouge que le gouvernement ne devrait en aucun cas franchir. Ce gouvernement n'est pas là pour distribuer des richesses, accéder aux revendications et signer en notre nom. Quelle est la marge de manœuvre des syndicats si vous leur dites non, messieurs les ministres ? Ils font grève ? Qu'ils fassent grève ! Vous avez tout le pays à vos côtés pour témoigner et pour faire pression sur les quelques syndicalistes profiteurs ! Partant du principe que la majorité des syndicalistes sont des patriotes, et Abdesselam Jerad leur secrétaire général vient de le réaffirmer, le risque pris devant une grève générale n'est pas aussi grave que cela. Mais quand on cède une fois, deux fois, trois fois, dix fois, c'est normal que les plus patriotes des syndicalistes vont se mettre à revendiquer à leur tour. Mais si vous leur dites que vous n'êtes pas habilité à négocier, que vous n'êtes là que pour liquider les affaires courantes, vous stoppez l'hémorragie des revendications, messieurs les ministres. Quand bien même quelques uns vont observer une grève, passez aux méthodes radicales. Licenciez-les et donnez-leur des indemnités de licenciement abusif ! Si ce n'est pas vous qui allez licencier les syndicalistes revendicateurs, ce sont les entreprises qui vont devoir, malgré eux, licencier des centaines de milliers de pauvres salariés qui n'ont rien demandé que de travailler ! Il y a 500.000 adhérents à l'UGTT. Si on accorde 10.000 dinars d'indemnité de licenciement abusif, on atteindra le montant de cinq milliards de dinars. Or le montant des pertes enregistrées dans l'économie, depuis le 14-janvier, est égal à cinq milliards de dinars déjà. Le pire reste à venir, car les revendications ne sont pas finies ! Même les mieux payés d'entre-nous (syndiqués de Tunisiana et PNC de Tunisair notamment) profitent de la Révolution pour revendiquer ! Messieurs les ministres, adoptez une attitude responsable et ce n'est pas parce que vous n'allez pas payer la facture que vous devez céder aux syndicats peu scrupuleux. Dites-leur non et s'ils font grève, le peuple sera à vos côtés pour vous soutenir ! Licenciez-les et qu'ils laissent leur place aux chômeurs ! Qu'ils bloquent le pays un jour, une semaine, un mois, mais qu'ils n'hypothèquent pas notre avenir pour plusieurs années ! Le Tunisien, avant le 14-Janvier, était prêt à vivre avec du pain et de l'eau. Il supportera une grève de Tunisair, une grève de Tunisie Telecom, une grève d'Agil et de Shell, mais il sait que ces grèves ne sauront durer plus que quelques jours. Or, en cédant à leurs caprices, vous allez nous laisser une facture très salée que nous ne saurons supporter. Dans quelques salons, dans quelques forums, on commence déjà à le chuchoter : « Ils vont nous pousser, à ce rythme, à regretter Ben Ali. » De grâce, surtout pas ça !