Plus de quatre jours après la démission de Mohamed Ghannouchi et la nomination de Béji Caïd Essebsi pour le remplacer, la situation semble se décanter et on constate un soupçon de retour à la normale, notamment depuis mercredi 2 mars 2011. Des indices précurseurs laissent prévoir une telle hypothèse. Tout d'abord, l'annulation de la grève prévue à Sfax, le retour timide des spots publicitaires sur certaines chaînes de télé et de radio, un calme relatif dans les différentes régions du pays, plus particulièrement dans la capitale et son centre névralgique de l'avenue Bourguiba et les artères environnantes. Mais le principal facteur d'optimisme tient dans les déclarations des responsables de l'Union générale des travailleurs de Tunisie (UGTT) et à leur tête, son secrétaire général, Abdessalem Jrad, qui sont en train de multiplier les appels à la reprise du travail et à faire prévaloir l'intérêt suprême de la Tunisie et du peuple tunisien. Il faut dire qu'après l'audience accordée à M. Jrad par le nouveau Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, le langage de la centrale syndicale a complètement changé au profit de la reprise. Et c'est tant mieux. Mais la tendance a commencé à être inversée suite au rassemblement spontané, immédiat et énergique qui a eu lieu à El Menzah appelant Mohamed Ghannouchi à revenir sur sa décision de démission. C'était, certes, trop tard pour le faire changer d'avis, mais cette manifestation a eu le mérite de créer une véritable onde de choc chez les Tunisiens, plus précisément chez la « majorité silencieuse » devenue, par la faute de son silence, « l'otage » d'une minorité agissante et bruyante qui était installée à La Place du Gouvernement à La Kasbah. Le hic, c'est que ces gens formant ce sit-in et bloquant le bon déroulement de l'action gouvernementale et de l'activité commerciale, prétendent représenter le peuple pour ne pas dire qu'ils s'investissent comme étant carrément le « peuple ». Très nombreux, pourtant, sont ceux qui croyaient (ou croient encore) qu'il s'agissait d'un rassemblement spontané de citoyens venus de l'intérieur du pays, plus particulièrement des régions défavorisées et que, de bonne foi, ils voulaient défendre la révolution. Ainsi, et pendant plusieurs jours, jusqu'à l'arrivée de la seconde vague de citoyens venus s'installer, de nouveau à La Kasbah pour parler au nom du Conseil de la protection de la révolution et réclamer la chute du gouvernement et plein d'autres revendications. Qui sont les membres de ce conseil de la révolution autoproclamé ? Qui leur a octroyé cette légitimité de parler au nom du peuple au point de vouloir s'ériger en contrôleur du gouvernement ? Cet anonymat était suspect, mais les masques sont définitivement tombés. Il a fallu cette table ronde, samedi, sur la chaîne nationale au cours de laquelle, quatre jeunes n'ont pas hésité à légitimer le recours à la violence et de lancer un appel à « l'exécution de Mohamed Ghannouchi » et la démission, le lendemain du Premier ministre sortant et la désignation de Beji Caïd Essebsi pour le remplacer. Il s'en suivit la fameuse manifestation, vraiment spontanée, de Tunisiennes et Tunisiens qui se sont, enfin, décidés à faire entendre leurs voix après s'être contentés, jusque-là, de former la majorité silencieuse. Depuis, une marche, suivie d'un sit-in autour de la Coupole d'El Menzah est organisée quotidiennement pour faire entendre la voix des citoyens qui soutiennent, à la fois, la révolution et le travail. Et on a commencé, petit à petit, à connaître les vrais contours de ce conseil « fantôme » : Ennahdha, UGTT, POCT, FDTL, une petite partie des avocats (et non pas LES avocats comme on a tenté de le faire croire) et quelques autres petits partis encore en gestation et qui pensent prendre de l'envergure en intégrant ledit conseil. Mais, c'est Dr Mustapha Ben Jaâfar qui, jouant la transparence, a eu le mérite, lors du débat sur Nessma TV, le 2 mars 2011, de dévoiler au grand jour la composition de ce conseil. Et là, l'opinion publique a fini par connaître les véritables visées du conseil de la révolution qui, pourrait avoir un rôle positif à jouer, mais sans s'arroger en unique mécanisme détenant la vérité et le droit de parler au nom de la révolution. Et par principe, aucun organe autoproclamé n'a le droit de prétendre être le gérant des affaires du pays qui doit être gouverné par un Etat, notamment en cette conjoncture délicate, durant laquelle il y a une certaine unanimité quant à la garantie d'un minimum de sécurité afin de tranquilliser les travailleurs, les entreprises, les investisseurs, notamment étrangers et les touristes. Quant à l'UGTT, un acteur incontournable de la dynamique nationale, elle semble retourner à de meilleurs sentiments et adopter un langage raisonnable par le bais de son secrétaire général Abdessalem Jrad et son porte-parole officiel, Abid Briki qui, ne cesse de répéter à tous les plateaux des radios et télévisions, qu'il faut retourner au travail. La centrale syndicale a le droit, certes, de participer à la chose politique, mais lors des grandes circonstances et des phases délicates. En temps normal, elle devrait retrouver son rôle syndical et social. L'UGTT a joué, donc, un rôle central et positif dans la réussite de la Révolution et il est temps qu'elle accompagne, dans l'état actuel des choses, la reprise économique dont le pays a grandement besoin. Tout comme l'armée a joué son rôle et a su se retenir pour laisser les politiques jouer leur rôle, l'UGTT aurait dû faire pareil, une fois la Révolution achevée. D'ailleurs, tout le monde constate, avec satisfaction, que le ton, désormais, modéré de la Centrale syndicale a eu un effet immédiat sur la stabilisation de la situation sociale et, probablement, bientôt sur la dynamique, économique et, même, sécuritaire. La voie du retour à la normale semble, d'ailleurs, déjà prise avec l'arrivée de Caïd Essebsi et le retour de Bennour à la Sûreté nationale. N'empêche qu'une approche claire, attendue, du gouvernement qui doit adopter une feuille de route précise ne peut que contribuer, à son tour, à l'émergence d'un climat de confiance, nécessaire à l'établissement de relations saines entre les différentes composantes politiques et le peuple. On le saura certainement vendredi 4 mars après l'intervention du Premier ministre. Peut-on dire que le départ de Mohamed Ghannouchi et l'avènement d'un Premier ministre politique va permettre de faire décanter la situation ? Les événements des tout prochains jours se chargeront bien d'y répondre…