Par Khaled GUEZMIR - L'UGTT et son secrétaire général M. Abdessalem Jerad, seraient-ils tentés par une transformation radicale de la vocation de la centrale syndicale pour devenir le « Parti » politique des travailleurs ! Tout semble l'indiquer surtout depuis le déclenchement de la révolution du 14 janvier 2011. En effet, il n'échappe à personne que l'UGTT a joué un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire et son aboutissement. Beaucoup parlent de l'action efficace des structures régionales, qui sont un peu plus à gauche de la direction centrale. Mais on ne peut occulter les bonnes manœuvres de M. Abdessalem Jerad et sa réussite, à immuniser l'UGTT au moment où elle était sous le danger d'une action possible de destruction par le pouvoir dictatorial de Ben Ali dans le style d'une décapitation des instances de décision légitimes et leur remplacement par des « chourafa » de type 1984 après la fameuse révolte du pain. M. Jerad a eu l'intelligence de ne pas provoquer outre mesure le pouvoir en place surtout après la révolte minière de Redeyef et de Gafsa et il n'a pas appelé à une grève générale de Solidarité comme ce fut le cas en janvier 1978. Ce qui aurait donné certainement l'opportunité au pouvoir de Ben Ali de réprimer en profondeur les cadres et les structures de la centrale syndicale. Par ailleurs et à la veille du déclenchement de la Révolution du Jasmin, M. Jerad a évité de mettre en première ligne ses « généraux » et la direction centrale de l'UGTT pour agir discrètement, en laissant faire les structures régionales. Il a pu ainsi couvrir et protéger le mouvement révolutionnaire tout en prévoyant un éventuel retour de manivelle qui aurait été dramatique pour tout le monde et spécialement le bureau exécutif de l'UGTT. Pour l'Histoire l'UGTT a ainsi contribué hautement à l'aboutissement du nouveau processus révolutionnaire et surtout le départ du dictateur, renouant ainsi avec l'esprit et la lettre du grand leader Farhat Hached et son adaptation intelligente aux étapes de la lutte de libération nationale ainsi que les alliances qui s'imposaient à chacune d'elles. C'est dire que la centrale syndicale a toujours eu quelque part une vocation hautement politique dans tous ses combats tout en veillant à garder jalousement sa vocation syndicale de défense des intérêts des travailleurs. Aujourd'hui les choses semblent évoluer plus rapidement et même avec une certaine intensité vers la politisation ascendante de l'UGTT et le désir de sa direction non seulement d'enjamber le terrain de la politique politicienne, mais d'aspirer à un rôle de participation effective aux futurs pouvoirs et même, pourquoi pas, un rôle de commandement politique. Un parti du genre « travailliste » à l'instar de la Grande-Bretagne ou du SPD en Allemagne, pourrait être la prochaine tentation des élites dirigeantes de l'UGTT. Ceci est d'autant plus compréhensible et prévisible, qu'il existe aujourd'hui un vide inquiétant au niveau des pôles « partisans » à l'exception « d'Ennahdha » de M. Rached El Ghanouchi et de l'extrême gauche. Le mouvement libéral est pratiquement décapité avec l'élimination du RCD et la marginalisation de l'Utica qui a été très proche du dictateur par sa direction ancienne, et on assiste de ce côté à des «troupes » certes importantes mais silencieuses sans « chefs » charismatiques crédibles et influents qui peuvent peser sur le présent et l'avenir. M. Jerad et la centrale syndicale peuvent combler quelque part ce vide politique réel, mais ils doivent faire attention aux « extrêmes » qui peuvent mener l'UGTT vers un « aventurisme » qui n'est pas conforme à son essence et à ses traditions de compromis social et politique. Ils doivent aussi protéger leurs alliances libérales et dialoguer avec le monde des affaires et de l'investissement qui ne leur est pas hostile. L'activisme politique ascendant de l'UGTT peut limiter les débordements de l'extrême gauche, comme, il peut aussi contribuer de manière catastrophique à l'instabilité du pays, aux actes d'insubordination et de violence qui menacent la rue et empêchent la reprise de la production économique. C'est pour cela que l'UGTT a intérêt, plus que jamais, à maîtriser ses périphéries extrêmes, si elle ne veut pas faire capoter le processus de reconstruction des institutions dans le pays et subir elle-même ses contre-coups ! Rejeter le nouveau premier ministre M. Béji Caïd Essebsi par M. Jerad, va-t-il être la bonne stratégie, au moment où le pays a besoin de paix sociale ! N'y a-t-il pas risque d'emballer la machine ! Nous le saurons sous peu dans un avenir immédiat !