La nouvelle centrale syndicale, l'Union des travailleurs de Tunisie, UTT, a bien réussi son coup. La grève décrétée mardi a été correctement observée par le personnel de la TRANSTU, perturbant gravement le trafic du métro et des bus. Mais en fait, quelles sont les raisons de cette grève ? En vérité elles ne concernent le personnel de la société de transport que de très loin. Encore moins les usagers qui ont été malmenés en cette journée caniculaire de ramadan. Le nouveau syndicat, fraîchement débarqué sur la scène après la révolution, voulait surtout marquer son territoire et lancer un message aussi bien au gouvernement qu'à la centrale historique, qu'il faut désormais compter avec lui. D'ailleurs, les mobiles invoqués pour cette grève ne sont autres que le refus de la direction de la TRANSTU d'ouvrir des négociations avec l'UTT, continuant à privilégier la position dominante de l'UGTT. Quant à l'autre raison, elle concerne la réclamation d'une part des cotisations syndicales prélevées directement sur les salaires des employés. Autant dire que la grève du métro et des bus jaunes observée en début de cette semaine montre les limites d'un pluralisme syndical à la tunisienne, qui démarre du mauvais pied. Il faut rappeler que le pluralisme syndical n'a jamais réussi à la Tunisie qui a connu depuis toujours une histoire syndicale entachée de scissions et de tentatives de création de syndicats autonomes. Mais toutes ces tentatives ont été avortées, la main des pouvoirs publics était trop apparente dans le dos des marionnettes de façade. C'était le cas avec le syndicat créé par le leader syndicaliste Habib Achour aux premières années de l'indépendance avant de retourner au giron de l'UGTT pour le défendre d'une manière héroïque un certain 26 janvier 1978. C'était aussi le cas avec Abdelaziz Bouraoui qui avait, au nom de l'UNTT, une centrale syndicale créée sur mesure, fait la guerre à l'UGTT pour le compte du gouvernement de Mohamed Mzali. Dans toutes ces tentatives, les difficultés de la centrale syndicale historique provenaient du cercle de ses dirigeants. Aujourd'hui encore, la situation n'a guère changé à ce niveau et les animateurs des nouvelles centrales syndicales concurrentes de l'UGTT sont tous d'anciens cadres du syndicat. Habib Guiza, qui avait commencé par créer une association syndicale pour la transformer en centre d'études et de formation puis en centrale syndicale, était secrétaire général de l'union régionale de travail à Gabès et membre de la commission administrative nationale de l'UGTT. Ismail Sahbani, n'est autre que l'ancien secrétaire général de l'UGTT qui durant toute une décennie a fait du syndicat l'allié principal du régime de Ben Ali. Il a été écarté en août 2000 de son poste et incarcéré durant quelques mois pour malversations et détournements de fonds. Aujourd'hui, il revient aux affaires syndicales avec une grande expérience, beaucoup de revanches à prendre sur ses anciens camarades et beaucoup de moyens semble t-il. C'est dans ce cadre, plus proche du fratricide que de la compétition loyale, que les Tunisiens devront, désormais, s'adapter au pluralisme syndical et s'accommoder avec ses manifestations. La grève de la TRANSTU en est la meilleure illustration. Il est en effet clair que décréter une grève au cours du mois de ramadan en plein mois d'août ne répond à aucune logique syndicale. S'imposer à la direction d'une entreprise par la grève n'est pas aussi une vision syndicale saine. Une telle démarche s'apparente peu avec le concept de partenaire social. Quant à la question des prélèvements sur les salaires des employés, c'est une affaire de sous, qui peuvent être gros et qui peuvent intéresser les trésoriers des syndicats, beaucoup moins les syndicalistes ou les salariés eux-mêmes. Les actions ou positions des différents syndicats actuels doivent être analysées donc à travers le prisme de la compétition entre les trois syndicats existants. Nul n'en est exempté, pas même l'UGTT, organisation historique qui détient une position dominante sur le marché du travail. Mais pour préserver sa position et continuer à garantir le soutien de la majorité des travailleurs, les syndicats de base de l'UGTT sont pratiquement condamnés à faire de la surenchère pour ne pas se faire doubler par les syndicats concurrents. La direction actuelle de l'UGTT qui devra rendre le tablier en décembre prochain ne semble pas pressée de se pencher sur cette question. C'est à la nouvelle direction de mettre sur pied une stratégie qui permette à l'UGTT de préserver son leadership tout en évitant la surenchère. Les seuls cadres de l'UGTT qui semblent s'y intéresser pour le moment sont les candidats potentiels au prochain bureau exécutif comme l'actuel patron de la fédération des transports Mokhtar Hili, ce qui explique son discours conciliateur à l'occasion de la grève du personnel de la TRANSTU, discours destiné avant tout à mettre en confiance l'administration et à amadouer les usagers et les monter contre l'autre syndicat. En définitive, on peut être sûrs que le pluralisme syndical sera néfaste pour l'économie du pays du fait de cette compétition malsaine qui s'installe entre les syndicats et qui trouve son expression naturelle dans la surenchère et la fuite en avant. Cela ne servira en rien les intérêts des travailleurs non plus parce que l'administration de son côté cherchera à exacerber cette querelle fratricide pour affaiblir les syndicats. Brosser un tableau aussi mitigé du pluralisme syndical dans un contexte post révolutionnaire est politiquement incorrect. Mais la démocratie dans le pays ne trouve pas sa garantie dans l'existence de plus de cent partis politiques. Le pluralisme politique peut garantir le spectacle mais pas la pratique démocratique. De même, la présence de plusieurs syndicats n'est pas le gage d'une démocratie syndicale surtout quand ces syndicats ont tous beaucoup de casseroles sous les pieds et plusieurs cadavres dans leurs placards. Sofiene Ben Hamida