La tendance en cours de fédérer les partis politiques ne les a pas empêché de vivre un flux de gels d'adhésions. Les exemples du CPR, Ettakatol ou du PDP confirment ce constat, d'autant plus important qu'il concerne des partis formant des blocs parlementaires à la Constituante et dont deux font partie de la Troïka gouvernante. Ainsi, hormis chez Ennahdha, il n'y a de thérapie que la scission pour résoudre les différends au sein des partis politiques, ce qui pose une grande question concernant l'ancrage des pratiques démocratiques dans le paysage politique. Qu'en est-il donc et devrait-on s'alarmer sur l'avenir de ce phénomène ? Déjà, juste au lendemain des élections du 23 octobre, des crises politiques ont commencé à secouer plusieurs partis. Les observateurs se rappellent bien des querelles de décembre 2011 au sein du CPR pour suppléer Moncef Marzouki parti à la présidence de la République. C'était à coups de communiqués qu'Abderraouf Ayadi et Tahar Hmila se disputaient la succession, en attendant l'élection d'un nouveau bureau politique, annoncé pour le 8 janvier dernier, mais qui ne s'est pas encore réalisée. M. Ayadi a certes gagné la première manche mais la majorité du bureau politique vient de le déposer en attendant un conseil national annoncé pour le 12 mai. On l'accuse de despotisme et on déplore l'absence de concertation avant la prise de positions au nom du parti. C'est dire tout le cafouillage dans la gestion des affaires au sein du CPR. Par ailleurs, ce parti n'a pas connu de stabilité depuis le départ de Marzouki. Il n'a fait que se chamailler depuis la désignation de son fondateur à la présidence. La situation est d'autant plus difficile que le dernier limogeage de M. Ayadi s'est accompagné par la décision de gel d'activités au sein du parti de 11 de ses députés, qui soutiennent le secrétaire général intérimaire. Ce dernier, contesté par son bureau politique, se proclame «une légitimité démocratique et historique». Il considère putschiste la décision de l'écarter par le bureau politique et compare son parti au «défunt RCD»! En arriver là en si peu de temps entre des «camarades de lutte» ne traduit aucunement des traditions de démocratie au sein des structures, ni de culture dans la gestion du respect de la différence. Cet état des lieux n'est pas spécifique au CPR. Du côté du Parti Démocratique Progressiste (PDP), s'il est vrai que la déroute électorale du 23 octobre a été correctement encaissée, ce n'était finalement qu'un report de l'extériorisation de la crise qui couvait. La tenue des élections du 5ème congrès les 7 et 8 avril a laissé apparaître un différend fondamental en rapport avec la démocratie au sein du parti. Du coup, il a suffi que la tendance dite «réformiste» soit battue dans les élections de la nouvelle direction pour que neuf députés à la Constituante gèlent leurs activités au sein du nouveau parti républicain qui vient de naître le 9 avril. Il s'agit de Mohamed Hamdi, président du bloc démocratique à la Constituante, Mahmoud Baroudi, Mehdi Ben Gharbia, Mohamed Neji Gharsalli, Moncef Cheikhrouhou, Mohamed Guahbich, Najla Bouryel Elmajid, Mohamed Khili et Chokri Gastalli. Pour un parti ne disposant que de 16 députés à la Constituante, c'est un véritable choc. Du côté de la direction du Parti républicain, la secrétaire générale, Maya Jribi, essaie certes de minimiser la portée d'une telle fronde, en affirmant que le dialogue est en cours pour récupérer ces mécontents. Toutefois, cette décision de gel des activités traduit, là-aussi, une absence de tradition démocratique et de gestion adéquate des différends. Le mal est, semble-t-il, endémique en Tunisie. Le parti Ettakatol n'est pas épargné non plus. Une mini-crise avait commencé à le secouer juste après les élections du 23 octobre lorsque la direction de ce parti a décidé de faire partie de la Troïka aux côtés d'Ennahdha. Cette crise s'est soldée par la démission de trois députés (Khemais Ksila, Abdelkader Ben Khamis et Salah Chouaïb), ainsi que par le départ de dizaines de membres des fédérations régionales. Là encore, tous les contestataires reprochent à la direction du parti un déficit énorme de communication ainsi qu'une centralisation à outrance du processus décisionnel. «Il y a seulement trois personnes qui prennent des décisions au sein d'Ettakatol», a déploré le député Salah Chouaïb, pour justifier sa démission du parti. Khemais Ksila et Abdelkader Ben Khamis avaient déjà fait le même reproche à leur direction avant leurs départs respectifs. Certes, le parti vient de tenir son Conseil national et d'élargir son bureau politique et son comité central. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens surtout après l'annulation de la conférence de presse prévue le 16 avril pour annoncer les résultats dudit Conseil national. Ettakatol est loin d'être au top sur le plan de la communication, aussi bien au sein du parti, qu'avec les médias. Il est toutefois parvenu à réduire la casse suite à la fronde des contestataires. Ce vent de scissions n'est pas de mise du côté du parti Ennahdha qui a pourtant connu un véritable débat sur la question de l'inscription de la Chariâa dans la Constitution. Les observateurs ont suivi de près les tractations internes au sein du mouvement Ennahdha et les procédures suivies pour résoudre ce différend. Certains dirigeants d'Ennahdha (Habib Ellouze et Sadok Chourou, notamment) se sont même exprimés à la Constituante et dans les médias au moment des grands mouvements de masse dans la rue concernant cette question et ils se sont clairement exprimés pour l'inscription de la Chariaâ dans la Constitution et de s'en inspirer pour les lois, durant les mois de février et de mars derniers. Ce différend a poussé certains observateurs à spéculer sur un risque de scission entre l'aile modérée et l'aile dure de ce parti, tant ils ont vu des positions antagoniques sur la question. Or, il a suffi que le Comité Constitutif du mouvement (instance suprême entre deux congrès) se tienne le 25 mars et adopte le principe du maintien de l'article Premier de la Constitution de 1959, en son état actuel, pour que cette décision mette fin au débat. Un vote a été certes nécessaire pour sceller cette décision et il était sans appel (52 contre 13) en faveur de la position prônant le maintien de l'article Premier dans son état actuel. Depuis cette décision, ce n'est pas uniquement l'aile dure d'Ennahdha qui s'est rétractée. Même les salafistes ont calmé le jeu. Ce qui pose une grande interrogation sur les véritables liens entre ces deux mouvances. Mais c'est une autre paire de manches. En réponse à ce constat de discipline, Rached Ghannouchi, répond que «Ennahdha est un grand parti et il dispose de structures pour trancher ses différends de manière démocratique», au lendemain de la prise de cette décision. A l'éventualité de scission de son aile dure, le leader d'Ennahdha écarte cette éventualité. «Nous sommes habitués au débat d'idées et respectons le droit à la différence», a-t-il encore ajouté. Sur cette même question, le professeur Iyadh Ben Achour pense que «l'aile radicale d'Ennahdha peut rejoindre les salafistes si jamais ces derniers étaient légalisés. Mais ceci servirait Ennahdha dans leur ancrage au centre-droit comme une expression d'un mode sociétal traditionnel». Rached Ghannouchi défend cette même thèse de légalisation des salafistes. «Même s'ils vont récupérer une partie de notre base», a-t-il expressément dit. Un tel constat du paysage politique ne fait que rendre la tâche plus ardue pour l'initiative de Béji Caïd Essebsi, qui se veut rassembleur.