Il aurait fallu attendre la séance de clôture de la XVème session du Forum International de Réalités (Hammamet les 26, 27 et 28 avril 2012) pour enregistrer la présence d'officiels tunisiens parmi ceux annoncées préalablement et qui avaient, pourtant, promis d'y assister. Ainsi, après l'éclipse du principal représentant du Triumvirat (plutôt que la Troïka) au pouvoir, M. Hamadi Jebali, prévu à l'ouverture, ce sont Abderrahmane Ladgham, ministre chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption et Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) qui ont fait le déplacement de 60 km. D'ailleurs leur aparté, avant, pendant et après la clôture a amusé les présents qui n'ont pas manqué de saluer cette solidarité entre deux partisans de la bonne gouvernance. C'est donc M. Nabli, fraîchement débarqué de Washington où il a assisté aux réunions du printemps du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale qui a assuré cette clôture. Pourtant, les présents sont restés sur leur faim. Fidèle à la rigueur qui caractérise tant les économistes et les universitaires – deux casquettes de M. Nabli – le gouverneur de la BCT a, de prime abord, précisé : « pour ma part et intervenant à la clôture du Forum, je vais peut être décevoir certains d'entre vous qui s'attendaient à ce que je parle de questions économiques, monétaires et financières. En effet, il y aurait beaucoup à dire sur ces aspects pendant la transition démocratique ». Ce respect scrupuleux du thème du colloque nous a, certainement, privé de l'analyse de M. Nabli. Quoique, elle était la bienvenue particulièrement par les rumeurs qui courent sur son éventuel limogeage. Pourtant, on a retrouvé un homme droit dans ses bottes aux propos et aux idées claires. Son allocution, prononcée à l'occasion, reflétait cet état d'esprit : tel un leitmotiv, à savoir «les principes fondamentaux de dignité, de liberté, de justice et de démocratie» qui sont revenus dans son discours. C'est comme pour insister sur le fait que la «Révolution tunisienne en particulier et les révolutions arabes en général, présentent une opportunité historique pour concevoir, au niveau national, de nouveaux modèles économiques, politiques et sociaux plus performants, mais aussi, une occasion pour faire le point sur les relations internationales afin d'en tirer les leçons pour renforcer les acquis et aussi rectifier le tir par la rupture avec les anciens modèles de coopération conçus au Nord et consommés au Sud et qui ont montré leur limite». Et ce n'est pas étrange pour un économiste qui, parmi les trois tables rondes prévues au programme de cette session, a opté pour celle relative aux « droits de l'Homme et les libertés dans la nouvelle Méditerranée ». Car, précise-t-il dans son allocution : «A mon sens, les relations euro-méditerranéennes postrévolutionnaires doivent, désormais, être bâties sur ces principes fondamentaux de dignité, de liberté, de justice et de démocratie et ce, afin d'assurer en plus de l'intégration économique de la rive sud, son intégration aussi aux valeurs et principes des droits de l'Homme à même de favoriser un développement équitable et durable». Et dans ce débat d'idées et de valeurs, M. Nabli défend farouchement le principe d'universalité des valeurs de dignité, de liberté, de justice et de démocratie qui constituent des droits naturels dont tout homme doit pouvoir bénéficier. Il ajoute «qu'il y va de la dignité et du respect de chacun qui doivent non seulement être respectés a l'intérieur de chaque pays mais aussi dans les relations internationales, y compris entre l'Europe et le sud de la Méditerranée». Néanmoins, déformation professionnelles oblige, avec le gouverneur de la BCT on ne pouvait pas échapper aux chiffres. En effet, en évoquant la centralité de la question de l'emploi dans les relations euro-méditerranéennes Nord-Sud, M. Nabli rappelle que le taux de chômage des jeunes diplômés du supérieur a été multiplié par huit au cours des seize dernières années passant ainsi de 3,8% en 1994 à 29,2% en mai 2011. Il appelle, à cet égard, à une redéfinition de la conception actuelle des relations euro-méditerranéennes afin de placer la question de l'emploi au centre de ses préoccupations. Pour lui, il s'agit de remédier à deux insuffisances : d'abord, un partenariat euro-méditerranéen dans sa version actuelle est surtout fondé sur le libre échange et pas suffisamment sur l'emploi. Ensuite, une politique migratoire européenne qui demeure l'expression d'un ostracisme fondé sur la fermeture et le contrôle des frontières en privilégiant l'aspect sécuritaire de la question. En guise de solution, M. Nabli insiste pour que le challenge de l'emploi soit «relevé par les deux rives de la Méditerranée conjointement et suivant une logique de partenariat gagnant-gagnant». Ainsi, explique-t-il, les pays du Sud doivent modifier leurs stratégies de développement et «mettre en œuvre les principes de la démocratie et la bonne gouvernance au service de la croissance et de l'emploi». Quant à l'Europe, à travers ses gouvernements, les secteurs privés et les sociétés civiles, elle « gagnerait à s'investir davantage dans la rive sud dans une logique de long terme qui vise le développement durable et le relèvement du niveau de vie au sein de ses voisions au sud. Le commerce et l'investissement doivent être au cœur de ce partenariat, mais aussi une politique migratoire adaptée qui soit bénéfique aux deux parties ». Reste que les gouvernements des pays des deux rives doivent être ouverts et avoir la volonté de coopérer. Pour le cas de la Tunisie, le Triumvirat au pouvoir, Ennahdha particulièrement, a tourné le dos à nos partenaires « historiques » en favorisant les pays des pétrodollars. Si, à demi-mot, M. Nabli nuance cette approche en soulignant que «malheureusement, l'Europe est secouée par une crise économique et financière aigue, qui ne manquera pas d'impacter les économies des pays du Sud » et ce, avec des perspectives de croissance économique négative dans la zone Euro pour 2012, soit de -0,5% et qui n'atteindra que 0,8% pour 2013, il importe, toutefois, de s'interroger sur la nature de l'aide que peut apporter l'Europe aux pays de la rive Sud de la Méditerranée de façon à renforcer des démocraties naissantes. La réponse est élémentaire. Elle est, « dans une grande partie, tributaire de la volonté politique de l'Europe », souligne M. Nabli. Et, dans notre cas, celle de la volonté des politiciens en Tunisie, pouvons-nous nous permettre de dire.