Hamadi Jebali persiste et signe en maintenant son initiative pour la formation d'un gouvernement de compétences et de technocrates indépendants, sans appartenance à aucun parti politique. Une initiative lancée, mercredi dernier, jour de l'assassinat de l'opposant et militant, martyr de la Liberté, Chokri Belaïd, réitéré le vendredi 8 février 2013, jour de l'enterrement et explicité samedi 9 du même mois. Les réactions diffèrent selon les formations politiques. Si les divers courants de l'opposition ont favorablement accueilli la proposition de M. Jebali, malgré certaines réserves, Ennahdha et le CPR, les premiers moments d'étourdissement passés, semblent reprendre du poil de la bête et rejettent, désormais catégoriquement, ladite initiative. Entre les deux, Ettakatol maintient le flou, ne sachant sur quel pied danser.
Le chef du gouvernement semble sincère et déterminé à aller jusqu'au bout dans sa démarche de sauvetage. Et il l'a dit clairement : la Tunisie ne peut plus supporter une situation d'incertitude et explosive pouvant dégénérer à tout moment après l'échec du gouvernement de la Troïka à gérer le pays dans cette période transitoire. Le chef du gouvernement, acculé dans ses derniers retranchements, a fini par se ressaisir et à réaliser que le pays ne peut plus supporter les tiraillements politiques et la situation figée dans laquelle il se débat depuis plus de six mois, voire depuis la constitution de cette coalition contre nature. Le chef du gouvernement, que certains qualifient d'hésitant et manquant de fermeté, a fini par prendre le taureau par les cornes – comme on dit – et a décidé d'assumer ses responsabilités, démontrant, ainsi, qu'en se libérant des chaînes de son parti, il est capable de devenir l'homme d'Etat qu'il faut. Le chef du gouvernement est tellement déterminé qu'il a annoncé publiquement le contenu du message adressé aux personnalités et parties à consulter. Il a même énuméré les quatre conditions à remplir pour tout candidat, à savoir qu'il ne doit avoir eu aucune participation dans un crime contre le peuple tunisien, il ne doit appartenir à aucun parti politique et il ne devra pas se présenter aux prochaines élections législatives et présidentielles et, enfin, il doit faire preuve d'une compétence éminente dans son domaine d'activité. Les choses sont claires et la balle se trouve dans le camp des différentes composantes de la classe politique, civile et technocrate. Les moments sont graves et tout le monde devrait apporter du sien pour sortir du tunnel. Ceci ne semble pas être le cas d'Ennahdha et du Congrès pour la République qui continuent à s'agripper aux formalités réglementaires en ces circonstances bien exceptionnelles. Le parti islamiste continue à souffler le chaud et le froid. Une fois, il dit qu'il est en train d'étudier la proposition de M. Jebali… Une autre fois, est qu'il va publier un communiqué pour expliciter sa position. Mais entretemps, les différents dirigeants d'Ennahdha, de Sahbi Atig à Ameur Laârayedh, Walid Bennani, en passant par Rached Ghannouchi et autre Habib Ellouze, multiplient les déclarations rejetant catégoriquement la proposition et s'en tenant scrupuleusement à la prétendue légitimité. En effet, cette légitimité est remise en cause depuis le 23 octobre 2012, un an après le scrutin, une légitimité remise en cause par l'échec du gouvernement actuel, une légitimité dépassée par les événements et devant être remplacée par la légitimité consensuelle et fonctionnelle. Il faut dire que dès le départ, il n'y avait que l'Assemblée nationale constituante qui était légitime. On s'attendait à un gouvernement de compétences, dès le départ, pour gérer la deuxième période transitoire, mais les pseudo-vainqueurs, ayant réussi à former une coalition « bâtarde », se sont agrippés au pouvoir et se sont répartis le « gâteau ». Maintenant, en cette situation de crise, il est impératif que toutes les parties aient un sens aigu de patriotisme, surtout de la part des représentants de la Troïka qui sont appelés à délaisser leur soif des chaises et à ne prendre en considération que l'intérêt suprême de la patrie avant qu'il ne soit trop tard. Ils devraient comprendre qu'on ne peut pas continuer avec des ministres qui ont montré leurs limites et leur incapacité à gouverner, des ministres qui ont fait accentuer les maux du pays et de tous les Tunisiens. Des ministres qui obéissent aux desiderata d'un seul parti hégémonique… Il est utile d'analyser, aussi, les perspectives d'avenir en cas de confirmation et d'acceptation de l'initiative de Hamadi Jebali.
Au cas où le nouveau gouvernement de technocrates serait accepté pour s'atteler à la tâche, pourrait-il réussir après que tous les rouages administratifs et que tous les postes de décision aient été investis par des Nahdhaouis et des CPRistes dont la plupart sont incompétents puisque désignés par complaisance et copinage? Le cas de Tarek Kahlaoui en est l'exemple le plus flagrant. Comment le nouveau gouvernement pourrait-il gérer les affaires des régions avec des gouverneurs et des déléguées et autres responsables municipaux et omdas à la solde des Nahdhaouis ? Le nouveau gouvernement sera-t-il amené, logiquement, à procéder à de nouvelles nominations sur les mêmes bases et les mêmes principes que celles ayant présidé à la nomination de ses membres ? La réponse logique est par la positive, mais cela sera-t-il faisable sur le terrain sans craindre de sérieux pépins ? Car il ne faut pas oublier que pour les prochaines élections, les critères fondamentaux demeurent la garantie de la neutralité de l'administration.
Il ne faut pas oublier qu'en l'espace de quelques mois, le parti islamiste a réussi le tour de force de réussir une mainmise sur tous les postes clés et tous les mécanismes vitaux, chose que Ben Ali avait mis des années pour imposer. On n'en est pas encore là, diront certains, dans le sens où il faut commencer par le commencement, à savoir la mise en place d'un équipe gouvernementale indépendante et compétente. Certes, oui, mais il faut y penser dès maintenant et avoir une idée de la configuration de l'organigramme pour la gestion des affaires du pays.
Mais encore une fois, réussira t-on à convaincre les Nahdhaouis et autres CPRistes qu'ils doivent déguerpir et laisser la place aux compétences reconnues comme telles pour entamer le sauvetage de la Tunisie ? De la réponse à cette question dépendra l'avenir de la Tunisie.