Ennahdha est victime, ces derniers jours, d'une crise interne, occasionnée par les divergences dans les prises de positions face à l'initiative du chef du gouvernement et également secrétaire général du parti, Hamadi Jebali. Ce dernier, rappelons-le, a pris la décision de démettre les membres de son gouvernement avec sa composition tripartite, dite la Troïka, et d'opter pour un nouveau gouvernement restreint, composé de compétences apolitiques et non partisanes. Une initiative qui a fait grincer bien des dents, notamment parmi les membres du gouvernement appartenant au CPR, premier allié d'Ennahdha. Mais la plus rude des oppositions émane de la famille même d'Ennahdha avec un refus catégorique de cette initiative, quitte à mettre à la porte le chef du gouvernement et figure emblématique du parti ! La 8ème fable de La Fontaine "Les Vautours et les Pigeons", pourrait servir de symbolique pour le conflit interne d'Ennahdha. Décrivant une guerre des Vautours entre eux, que les Colombes ont pacifié, cette fable a pour moralité de "nous avertir que les querelles entre méchants doivent être stimulées plutôt qu'apaisées, car tandis qu'ils se déchirent, ils laissent les honnêtes gens vivre en paix". Toute proportion gardée, il ne s'agit pas dans le cas d'Ennahdha, d'un conflit entre les "méchants" et les "gentils" dans le parti, mais plutôt entre les plus souples et les plus rigoureux. Le sort de l'initiative de créer un gouvernement de technocrates est en train de se dessiner. Hamadi Jebali est catégorique, il compte aller jusqu'au bout de son initiative ; à défaut, il quitte le navire. Il a affirmé aux médias avec assurance qu'il estime avoir agi en son âme et conscience, pour le bien du pays, notamment dans une période déjà difficile et qui l'est devenue davantage avec l'assassinat politique du leader de la gauche, Chokri Belaïd. M. Jebali, dans sa démarche a cherché l'appui de plusieurs composantes de la société nationale et internationale, politique et civile avec des dizaines de rencontres et concertations. M. Jebali a même fait appel à un ensemble de personnages publics, mûrs et expérimentés pour la plupart afin de leur demander conseil, il s'agit du "Conseil des sages". Parmi ces "sages", on note la présence d'Abdelfattah Mourou et Abou Yaâreb Marzouki, tous deux membres d'Ennahdha, mais également connus pour être relativement modérés dans leurs prises de positions. Ils seraient probablement "Les pigeons" d'Ennahdha", qui joueraient un rôle apaisant, pour arrondir les angles et œuvrer à trouver des compromis. Sur l'autre rive, et exprimant une opposition farouche à cette initiative, plusieurs personnalités se bousculent pour montrer les uns plus que les autres, une fermeté qui frôle l'hostilité. Ce sont, bien entendu au sens figuré, les "Vautours" d'Ennahdha. Citons-en quelques exemples. Présent sur un plateau de débat télévisé, Abdellatif Mekki ministre de la Santé et que les rumeurs désignent comme l'éventuel futur chef du gouvernement, a été on ne peut plus clair: "M. Jebali a présenté une proposition. Nous la respectons, mais nous ne l'acceptons pas. Alors s'il persiste à engager le pays sur cette voie, il va devoir démissionner", a-t-il affirmé sur le plateau d'Ettounissia. M. Mekki, du haut de son regard et se plaignant d'être contraint à subir un plateau télévisé pas du tout neutre et loin d'être impartial, a réfuté la thèse d'échec et de crise politique dans le pays. M. Mekki a outillé son argumentation de la défense du gouvernement par des données chiffrées sur l'économie. Selon lui, les indices sont loin d'être dramatiques et sont compréhensibles vu les circonstances particulières transitoires par lesquelles passe le pays. Notons que M. Mekki a également affirmé que Hamadi Jebali serait de nouveau "le" candidat d'Ennahdha pour la présidence du gouvernement, après sa démission! Comment peut-on re-désigner quelqu'un au même poste duquel il a démissionné? Bizarre, mais puisqu'il le dit …! De son côté, Lotfi Zitoun, pourtant ex-conseiller du chef du gouvernement et donc assez proche de M. Jebali a affirmé sur un plateau de télé également que "si l'opposition choisit "la rue" pour s'exprimer, Ennahdha est capable de faire de même et saura prouver sa puissance dans une manifestation populaire massive". En outre, bien que ne se positionnant pas au premier rang ces derniers jours, M. Zitoun, est bien connu pour avoir contribué à créer la campagne "Ekbess". Cette même "Ekbess" n'a pas hésité à diffuser un communiqué appelant à la démission immédiate du chef du gouvernement, Hamadi Jebali. De même, Habib Ellouze membre « illustre » d'Ennahdha, en appelant à une manifestation "millionnaire" samedi pour exprimer le soutien des membres d'Ennahdha au gouvernement et à "la légitimité", œuvre à avorter l'initiative de Hamadi Jebali, en faisant usage de la "pression de la rue". M. Ellouze, perçoit, en effet, en cette initiative comme étant une tentative du retour de l'ancien régime "qui, chassé par la porte, revient par la fenêtre". Habib Ellouze ne mâche pas ses mots pour dénoncer le gouvernement de technocrates, car il serait, selon lui, composé de figures de l'ancien régime. Mais, il n'est probablement pas conscient du fait qu'en associant les compétences à "l'anti révolution", il crée une image floutée et confuse de ces compétences ou technocrates et qu'il fait prévaloir les appartenances partisanes au détriment des compétences. M. Ellouze est également convaincu que le "conseil des Sages" est inutile et inopportun, même si son rôle se limite à la simple consultation et que sa formation reste ponctuelle. Pas besoin donc de se concerter, la réponse est "Non"! Autres exemples, Sahbi Atig et Habib Khedher, membres influents à l'ANC, qui ont contesté l'initiative de Hamadi Jebali. Ils ont également contesté le conseil des "Sages", pour cause "d'illégitimité" et ont brandi l'arme de l'approbation impérative de toute candidature au prochain gouvernement par le vote des élus de l'ANC. Ainsi, même choisis par le chef du gouvernement, selon ses prérogatives, les membres du prochain gouvernement doivent être soumis à l'accord de l'ANC. Cette ANC reste pour la plupart, le seul et unique symbole de la légitimité et l'organe le plus puissant dans le pays. Un vrai labyrinthe, tel est le chemin du pouvoir et les tiraillements politiques internes ne facilitent certainement pas la tâche au prochain gouvernement. Attendons donc d'avoir une meilleure visibilité du paysage politique.