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Sida : injections mortelles à l'hôpital de Sousse, le scandale oublié
Publié dans Business News le 29 - 09 - 2013

Enquête : le scandale du sang contaminé en Tunisie, Par Samy Ghorbal*

Neuf ans d'enquête et de recoupements, des mois de tournage, en France, en Irak, en Libye et en Tunisie, et encore plus d'une année pour monter le sujet et convaincre Canal Plus de le diffuser : c'est le temps qu'il aura fallu à la journaliste Marie-Ange Poyet pour réaliser « Sang contaminé, l'autre scandale ». Un documentaire-choc de 52 minutes qui sera diffusé lundi 30 septembre, à 21 heures 40, heure de Tunis, sur la chaîne cryptée. Il revient sur une tragédie aujourd'hui totalement occultée : la contamination par le virus du Sida de plusieurs centaines de patients arabes et méditerranéens par des produits sanguins fabriqués par l'Institut Mérieux.
Le laboratoire français Mérieux était, au milieu des années 1980, l'un des fournisseurs attitrés de la Pharmacie centrale de Tunisie. Il était spécialisé notamment dans la production de « Facteur VIII », des fractions plasmatiques anticoagulantes destinées aux hémophiles et aux transfusés. Des dizaines de patients tunisiens ont contracté le virus du Sida et en sont morts après avoir reçu des injections de produits Mérieux entre novembre 1985 et février 1986.
Les produits Mérieux, qui n'étaient ni chauffés ni testés, étaient spécifiquement destinés à l'exportation. En France, un arrêté ministériel avait interdit la commercialisation des fractions plasmatiques anticoagulantes après le 1er octobre 1985, en raison d'un risque élevé de contamination. Mais cette interdiction était valable uniquement sur le territoire métropolitain, et non à l'exportation ! C'est donc en toute légalité que le laboratoire lyonnais a continué à exporter son « Facteur VIII », après le 1er octobre 1985, en direction de plusieurs pays arabes et du bassin méditerranéen : l'Irak, la Libye, l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Grèce, et le Portugal. Et ce afin d'écouler ses stocks avant de passer à la technique du chauffage, en janvier 1986. Au total, 9800 flacons ont été distribués. Et nombre d'entre eux étaient effectivement infectés…
En Tunisie, la région de Sousse a été une des plus touchées, l'hôpital Farhat Hached ayant reçu, en novembre, un lot de flacons infectés.

Connu seulement par un petit cercle d'initiés, par les médecins et par les familles touchées par le drame, ce scandale aux ramifications internationales a été largement étouffé. Plus personne ou presque n'en parle et la plupart des victimes n'ont pas été indemnisées. Le Facteur VIII Mérieux est à l'origine d'au moins 300 contaminations en Irak, où il ne reste qu'une quinzaine de survivants, et d'au moins une centaine de décès en Libye. Saisis à plusieurs reprises par des victimes irakiennes et libyennes, ainsi que par la famille du jeune hémophile tunisien Abdelkader Fradi, décédé en juin 1989, les tribunaux français ont reconnu la responsabilité du laboratoire (qui est aujourd'hui passé sous le contrôle de Sanofi-Aventis, l'un des géants mondiaux de l'industrie pharmaceutique). Mais ils ont débouté les plaignants ! Les règles du droit pénal en matière d'empoisonnement sont en effet très contraignantes : les victimes doivent apporter la preuve directe du lien de causalité – en l'espèce, les numéros de lots des flacons à l'origine de la contamination (qui n'ont malheureusement pas été conservés dans les dossiers médicaux des malades). Les volets grecs et portugais de l'affaire auraient fait l'objet de transactions et de dédommagements, en échange d'une extinction des poursuites. Les malades des pays arabes, mal ou pas défendus par leurs gouvernements, n'ont eu droit à rien.

En Tunisie, c'est presque par hasard que le pot aux roses a été découvert, en février 1986, par la responsable du laboratoire d'hématologie et de la banque du sang de l'hôpital Habib Thameur, Radhia Kastalli (cf. notre enquête publiée dans Jeune Afrique le 15 décembre 2002). Pharmaciens et personnels de santé, qui travaillaient en toute confiance avec Mérieux, n'avaient aucune raison de penser que ses produits pouvaient être infectés. Pour faire face à la pénurie chronique de sang, les hôpitaux tunisiens avaient passé convention avec le ministère de l'Intérieur afin de collecter du sang dans les prisons. En apprenant que les détenus figurent, aux côtés des homosexuels, dans les « populations à risques » susceptibles de transmettre le Sida, la docteur Kastalli prend peur. Elle commande quelques centaines de tests et organise une campagne de dépistage dans les prisons. Les premiers résultats sont rassurants : aucun donneur n'est séropositif. Histoire de chasser définitivement ses doutes, elle fait pratiquer des tests sur une centaine d'hémophiles, de transfusés et d'autres malades du sang. C'est le coup de massue : 60 % des patients sont séropositifs. La conclusion s'impose d'elle-même : vu que les donneurs tunisiens sont sains, la contamination ne peut venir que de l'étranger. La ministre de la Santé, Souad Yaâcoubi, est alertée : le jour même, la Tunisie suspend toutes ses importations de « Facteur VIII ».
L'enquête est menée rapidement. Elle met hors de cause l'autre fournisseur, le laboratoire autrichien Immuno : ses produits sont sains, ils sont chauffés depuis 1984. Mérieux est donc l'unique source de la contamination. Pourtant, le gouvernement choisit d'enterrer l'affaire. Pour ne pas effrayer l'opinion et ne pas nuire au tourisme ! Des consignes de discrétion sont données aux médecins : inutile de prévenir les patients et leurs familles, le Sida étant à l'époque une maladie incurable.
Le drame va se poursuivre en silence jusqu'en 1992, date à laquelle les autorités tunisiennes révèlent enfin publiquement le scandale, et accusent Mérieux. Pendant quelques jours, c'est l'emballement. Une équipe de télévision de TF1 cornaquée par l'ATCE débarque en Tunisie et se rend à Enfidha auprès de la famille Fradi, qui a perdu un de ses enfants hémophiles, le jeune Abdelkader, en juin 1989. Stupeur ! C'est la journaliste de TF1 qui apprend aux parents que leur fils est mort du Sida. Les Fradi étaient jusque-là persuadés que leur enfant avait été emporté par une hémorragie cérébrale. L'Etat met la main à la poche, et offre 30 000 dinars à la famille en guise de dédommagement. Le versement est effectué par le 26-26. D'autres familles ne toucheront rien. Au bout de quelques jours, l'agitation cesse et la chape de plomb retombe, sans explication. Un arrangement a-t-il été conclu entre l'Etat et le laboratoire, au détriment des victimes ? Impossible à dire.
En 1996, l'affaire Mérieux resurgit. Hédi Mhenni, le ministre de la Santé, la remet sur le tapis. Le timing ne doit rien au hasard. Ce ministre, un des plus zélés laudateurs de Ben Ali, est en service commandé. Les relations avec la France, empoisonnées par la question des droits de l'Homme, sont au plus bas. Le message de Mhenni est sans ambiguïté : la France n'a pas de leçons à donner à la Tunisie et devrait balayer devant sa porte. Les victimes se reprennent à espérer. Mais le bras de fer fait pschitt, et l'Etat ne donne pas suite.

Aujourd'hui, à en croire Marie-Ange Poyet, la réalisatrice du documentaire de Canal Plus, qui s'est rendue à deux reprises dans notre pays, au printemps 2012, il ne reste que 5 ou 6 survivants. On les a abandonnés à leur sort. Hormis quelques médecins courageux, comme le docteur Abderrahmane Khélif, du service d'hématologie de l'hôpital de Sousse, plus personne ne semble se soucier de leur cas. Le ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, n'a pas daigné la recevoir. Le directeur général de la santé, qui lui a accordé un entretien, paraissait découvrir l'affaire et s'est borné à lui assurer que les victimes avaient été prises en charge et bénéficiaient désormais de traitements à base d'antirétroviraux. En désespoir de cause elle s'est tournée vers le ministère Des droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle de Samir Dilou. On lui donne un premier rendez-vous, puis un deuxième. Mais à chaque fois, le ministre Dilou lui fait faux bond.
Naïvement, Marie-Ange Poyet pensait qu'après la Révolution, les vieux dossiers, enterrés du temps de la dictature, remonteraient à la surface. Que le gouvernement tunisien allait enfin se mobiliser vraiment pour défendre les droits de ses citoyens, empoisonnés par un laboratoire pharmaceutique sans scrupules, pour les aider à obtenir réparation, sur le plan matériel, mais aussi sur le plan moral. La désillusion est amère. Rien n'a changé et la logique de la hogra (l'injustice) se perpétue. L'Etat reste aux abonnés absents. Les ministres ont d'autres préoccupations, plus urgentes. C'est triste à dire mais nos gouvernants actuels se soucient plus volontiers d'indemnisation lorsque les intérêts de leur base électorale sont en jeu…
Samy Ghorbal *

(*) Journaliste et écrivain, il a publié Orphelins de Bourguiba & héritiers du Prophète et Le Syndrome de Siliana (Cérès éditions, 2012 et 2013).


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