Le Centre de formation et de ressources pour le renforcement des capacités de la société civile, créé il y a un an par l'Association tunisienne de lutte contre les MST et le sida, souffle sa première bougie dans l'austérité. Les fonds sont épuisés. Les dons sont asséchés. Le compteur de la solidarité est à zéro... Seule la rage de vaincre le virus de l'immuno-déficience humaine reste inépuisable et inépuisée. «Cette année, nous célébrons la journée internationale de lutte contre le sida un 0 décembre...Il n'y a pas de campagne, il n'y a pas d'opération... Pour faire de la prévention, il faut des financements. Là, nous sommes presque à sec». Dans cette villa de trois étages, nichée dans un quartier huppé de l'agglomération de Tunis, le coordinateur exécutif de l'Association tunisienne de lutte contre les MST et le sida, section de Tunis, Bilel Mahjoubi, concède : «Notre espoir est bâti sur des souvenirs». En pleine célébration de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le coordinateur ne cache ni sa nostalgie, ni sa déception, encore moins ses appréhensions : «Pour l'avenir, on se pose la question...». Victime d'une image trop embellie Le Centre de formation et de ressources pour le renforcement des capacités de la société civile, créé il y a tout juste un an, est le fruit d'un combat mené depuis 1985 contre le sida en Tunisie. Celui d'un rêve aussi : partant du fait que l'union fait la force, l'Association tunisienne de lutte contre les MST et le sida, rêvait d'un espace qui réunirait la société civile. «Nous touchons à des sujets qui se chuchotent... Il fallait instaurer un climat de confiance entre le malade et la société», souligne le Pr Ridha Kamoun, président de l'Association, avant d'ajouter : «Il fallait surtout promouvoir les droits humains... Le droit à la dignité, au respect... Il fallait enfin trouver les moyens pour s'y adapter... La société civile est un élément fondamental dans le changement des comportements». Le local composé de trois étages sert à la fois de siège pour l'Association, d'espace d'accueil pour les malades et de lieu de formation et de soutien à la société civile tunisienne et, pas seulement. Egalement, les sociétés civiles algérienne, marocaine, libanaise bénéficient de la pratique tunisienne en matière de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. Les expériences y sont ainsi discutées, les connaissances partagées, le travail de prévention, de sensibilisation et de plaidoyer est «mieux planifié», «mieux ciblé»... Et ce souci permanent : entouré de cafés branchés, d'espaces de loisirs,... et d'une grande mosquée, le centre se veut le meilleur rempart contre l'exclusion et la discrimination. «Infecter ou affecter, nous vivons tous en définitive avec le VIH. Le risque existe ...Le virus n'a pas de frontières», remarque le coordinateur. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si le personnel qui opère dans le centre (un staff d'environ douze personnes) est dans sa majorité porteur du VIH. «Ils font de l'accompagnement aux nouveaux venus, ils savent comment les rassurer et leur redonner confiance ...Un jour, ils étaient eux aussi plongés dans la même détresse ...». Actuellement, c'est bien l'Association qui souffre : les fonds alloués par la communauté internationale pour soutenir ses activités viennent à échéance. Le budget du Fonds mondial de lutte contre le sida expire en février 2013. Les médicaments, le lait et les couches pour bébé, les préservatifs, les bons d'achat distribués aux malades, ....sont déjà en rupture de stock. L'Association, qui vient en aide à environ 850 personnes, ne voit pas le bout du tunnel d'autant plus que l'objectif de la communauté internationale est de parvenir à zéro nouvelle infection d'ici 2015. «Comment atteindre cet objectif, alors que nous sommes paralysés par le manque d'argent ?», s'interroge Bilel Mahjoubi. Il faut dire que le travail associatif en Tunisie est victime d'une image embellie, trop embellie, depuis l'ancien régime. En effet, ayant acquis le statut de pays à revenu intermédiaire, la Tunisie est classée parmi les contrées dont la croissance économique est dynamisée et est ainsi privée d'appui inconditionnel. «Cette classification ne reflète pas la réalité. Il faut que les structures gouvernementales réexaminent les statistiques et fassent une évaluation plus objective de notre réalité économique», suggère Nadhem Oueslati, chargé de l'orientation et du dépistage au sein de l'Association. «Dans ce climat , pense-t-on encore au sida?» L'Association de lutte contre les MST et le sida collabore avec le reste des institutions à travers une stratégie nationale (2012-2016) mise en place pour lutter contre l'épidémie. L'Etat a toujours assuré la prise en charge du traitement. L'association réclame de fait davantage de soutien, d'engagement et d'appui technique de la part du gouvernement pour mener à bien ses différentes actions. «Nous sommes à la troisième génération du traitement ; désormais un seul comprimé peut être administré à la personne infectée, ce médicament se fait toujours attendre en Tunisie...», signale le chargé d'orientation et de dépistage. D'année en année, le combat contre le sida se recentre, les préjugés sont battus en brèche et les besoins se précisent. Des progrès considérables ont été réalisés. La maladie n'est plus mortelle, elle est aujourd'hui chronique. Beaucoup reste à faire néanmoins en matière de sensibilisation et la rage de vaincre le virus est loin d'être épuisée. A l'Association, on regrette cependant que les bailleurs de fonds restent à l'écart de tous ces évènements. «Nous ne recevons aucun soutien de la part des sociétés privées, des entreprises... Seulement quelques personnes et à titre privé, nous aident financièrement...». Le coordinateur déplore aussi le fait que depuis la révolution, la priorité soit accordée aux débats politiques, à la transition, ... alors que pendant ce temps, le nombre des jeunes qui consomment de la drogue injectable ne cesse d'augmenter, que la contamination par les seringues est de plus en plus élevée. « On risque de se réveiller sur une catastrophe... », prévient-il amèrement, et de s'interroger : «Dans ce climat politico-social tendu, pense-t-on encore au sida ? Un groupe de jeunes bénévoles vient d'être constitué pour aider l'Association à trouver l'appui financier nécessaire à son action ...en berne. Le coordinateur Bilel Mahjoubi souligne que des projets attendent une promesse financière, qu'elle soit nationale ou internationale, pour se concrétiser. La décentralisation de leur activité dans les régions du nord-ouest y figure». «Il faut que les médias parlent du sida bien au-delà du 1er décembre de chaque année, recommande-t-il ; c'est toujours un soutien pour une lutte que l'on mène au quotidien ». Pour se faire entendre, voilà un premier anniversaire sous le signe du zéro. Tous les moyens sont bons pour avoir suffisamment de moyens. Le Centre enveloppé dans un ruban rouge de solidarité ne baisse pas pour autant les bras. Ici, on sait que quoi qu'il arrive, la vie continue... Stratégie nationale de lutte contre le sida La journée nationale de lutte contre le sida sera célébrée, cette année, sous le signe «Ensemble pour stopper le sida», reflétant la mobilisation tous azimuts de la société civile, des structures de santé, des médias qui ont joint leurs efforts pour vaincre cette maladie. A l'échelle nationale, on compte, depuis 1986, 1.777 personnes atteintes du VIH, tandis que 67 nouveaux cas sont déclarés chaque année. Un tiers des porteurs du virus sont âgés entre 25 et 34 ans. 549 personnes sont décédées de la maladie depuis 1986, tandis que le nombre de personnes séropositives s'élève à 1.228. Prise en charge médicale et psychologique Ces chiffres ont été présentés dans le rapport de l'OMS qui a évoqué les divers modes de transmission, citant les relations sexuelles non protégées comme étant la principale cause de la maladie. Afin d'endiguer la pandémie et de freiner la propagation du virus, le gouvernement a mis en place une stratégie nationale ciblant les franges vulnérables les plus exposées au virus. Plusieurs actions ont été engagées, à l'instar de la distribution de moyens de protection gratuitement mis à la disposition des personnes à risque dans les structures sanitaires, pour éviter qu'ils ne soient contaminés par le virus. Ces structures ont, par ailleurs, été dotées de programmes, d'outils et d'équipements pour assurer le dépistage et fournir gratuitement le traitement antirétroviral aux personnes séropositives. En outre, le programme national de lutte contre le sida comporte plusieurs axes dont notamment l'information, la sensibilisation, le contrôle, la veille épidémiologique, la prise en charge médicale et psychologique des personnes porteuses du virus et de leurs familles, le suivi et le traitement des malades sexuellement transmissibles. D'autre part, la coopération avec tous les intervenants concernés a été renforcée à l'échelle nationale et internationale afin de conférer davantage d'efficacité à la lutte contre le sida. Il y a lieu de souligner que la Tunisie a franchi, ces dernières années, des étapes importantes dans la lutte contre le sida en maîtrisant un des principaux modes de transmission du virus par le contrôle systémique de la collecte du sang et en assurant, depuis 2001, l'accès gratuit à la trithérapie à toutes les personnes porteuses du virus. Afin de faciliter l'accès au traitement, des unités ont été créées au sein des structures hospitalières dans quatre principales villes : Tunis, Sousse, Monastir et Sfax. Intégration des plans de lutte contre le VIH En outre, un plan de veille et de suivi des maladies sexuellement transmissibles a été mis en œuvre dans 80% des centres de soins de santé de base à travers le pays. Ces dernières années, le gouvernement n'a cessé d'intensifier les efforts en ciblant les franges vulnérables afin de maîtriser la transmission du virus à tous les niveaux. La maîtrise de la pandémie a été possible notamment grâce à l'intégration des plans de lutte contre le VIH dans les structures de première ligne ce qui a permis d'élargir l'accès à la thérapie antirétrovirale aux femmes enceintes, et de prévenir dans plus de la moitié des cas la transmission mère-enfant. Selon le rapport de l'OMS, les nombreux efforts consentis qui se sont traduits par la réussite de la politique de veille mise en place ont permis à la Tunisie d'accéder au rang des pays à faible pandémie qui ont su maîtriser la transmission du VIH à large échelle. Afin de consolider sa politique , la Tunisie a établi, il y a quelques années, un partenariat avec le fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le malaria qui lui a permis la mise en place d'un nouveau programme destiné à consolider les stratégies et les plans existants en matière de lutte contre le VIH. La prévention, qui constitue l'un des principaux axes de ce programme, a conduit la Tunisie a intensifier ses efforts en matière de dépistage. Plus de quatorze centres de dépistage gratuit ont ouvert leurs portes à travers tout le territoire, assurant l'accueil et offrant la possibilité aux personnes susceptibles d'avoir été contaminées par le virus de se soumettre à un test de dépistage. I.H.