Alors qu'Ennhadha et son leader Rached Ghannouchi semblent finalement accepter la feuille de route du quartette, le président du gouvernement, soit Ali Laârayedh, annonce par communiqué qu'il n'est pas d'accord et qu'il se maintient à son poste. Ce communiqué de défiance n'est pas anodin dans la mesure où il annonce un blocage d'un genre nouveau dans les négociations qui traînent déjà depuis plus de deux mois. Après une rencontre marathonienne qui a eu lieu entre le secrétaire général de l'UGTT, Houcine Abassi, d'une part, et le président du parti Ennahdha,,Rached Ghannouchi, accompagné du président d'Ettakatol, Mustapha Ben Jaâfar; de l'autre, il semblerait que le parti islamiste ait finalement accepté la feuille de route du quartette pour sortir de la crise. Cet accord a même été consigné dans une lettre officielle adressée par Ennahdha à l'UGTT. Cette lettre annonce clairement l'acceptation de la feuille de route par le parti islamiste et exprime son souhait de commencer, sans tarder, les négociations pour son application. Seulement, le même jour, la présidence du gouvernement annonce par un communiqué qu'elle refuse de présenter la démission du gouvernement illico-presto et qu'elle maintient sa position initiale de ne démissionner qu'après la fin du processus constitutionnel. En clair, le chef actuel du gouvernement Ali Laârayedh déclare qu'il se sent bien là où il est et que par conséquent, il n'est pas concerné par les accords passés entre son cheikh et le quartette. Cette position inhabituelle n'a pas attiré, ou peu, l'attention des médias et des observateurs politiques. Elle suscite pourtant de graves questions qui annonceraient des perturbations d'un genre nouveau, jamais connues jusque-là en Tunisie. Pourquoi Laârayedh s'agrippe-t-il à la Kasbah au risque d'entrer en confrontation avec son cheikh ? Cette position ne va-t-elle pas retarder le dialogue national et donc la solution ? Ces divergences sont-elles réelles ou est-ce une nouvelle manœuvre de la part des dirigeants islamistes pour gagner plus de temps ? Qui peut imposer à Laârayedh de quitter son poste et comment ? De prime abord, rien ne permet d'affirmer que le communiqué de la présidence du gouvernement entre dans le cadre d'une énième manœuvre islamiste pour gagner le temps. Pas cette fois-ci. Au contraire, Rached Ghannouchi semble exacerbé par les réticences de ses jeunes cadres et pressé de clore ce dossier sur lequel il aurait présenté des assurances fermes aux partenaires étrangers de la Tunisie. Le dernier périple entamé par l'ambassadeur américain pour rencontrer les principaux acteurs de la crise en dit long sur les engagements des uns et des autres. Reste donc la personnalité du chef du gouvernement et ses visées réelles. En effet, il ne faudrait jamais oublier qu'Ali Laârayedh est un homme de réseaux qui s'accommode mal avec les contraintes du système démocratique. N'a-t-il pas fait partie d'un groupe paramilitaire qui fomentait un coup d'Etat à la fin des années quatre-vingt ? N'a-t-il pas été condamné pour cela ? L'actuel chef du gouvernement croyait donc que la quête du pouvoir permet l'usage de tous les moyens, y compris la force. Comment le convaincre aujourd'hui qu'une fois la chance de son côté et les rennes du pouvoir entre les mains, de les lâcher ? Parmi les critiques les plus récurrentes faites aux islamistes, c'est qu'ils ne croient que passablement aux principes démocratiques qu'ils utilisent pour accéder au pouvoir avant de les oublier tout de suite après. La réalité des pays de la région arabo-musulmane confirme hélas ces critiques. Dans sa gestion des affaires de l'Etat, aussi bien en tant que ministre de l'intérieur qu'en tant que chef de gouvernement, Ali Laârayedh n'a pas démontré qu'il était attaché outre mesure aux principes de la démocratie et des droits de l'Homme, loin s'en faut. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à se remémorer les diatribes vociférées par Laârayedh contre Chokri Belaïd avant son assassinat, ses largesses avec les salafistes et les jihadistes de tous bords, le tir à la chevrotine contre la population à Siliana, sans oublier l'acharnement contre les représentants de la société civile un certain 9 avril 2012 à Tunis. On pourrait ajouter à cet aperçu, les présomptions graves qui pèsent sur l'existence d'une police parallèle au sein du ministère de l'Intérieur et bien d'autres « exploits » encore de Laârayedh. C'est pourquoi il serait difficile d'envisager que le chef du gouvernement nous annonce sa démission et celle de son gouvernement. Ettakatol pourrait le pousser un petit peu si ses ministres daignent bien démissionner en bloc. Mais là encore, il ne faut pas rêver tellement ils ont donné les preuves dans le passé de leurs attachement à leurs prérogatives et aux avantages qui vont avec. Il faudrait passer donc par la case ANC et voter une motion de censure contre le gouvernement actuel. Seulement, Rached Ghannouchi a-t-il aujourd'hui les moyens de le faire ?