Au moment où l'on croyait voir enfin le bout du tunnel, voilà donc que résonnent à nouveau les tambours de la guerre... Mais la situation est complexe. La Troïka répète à qui veut l'entendre qu'elle accepte la feuille de route du Quartet permettant de sortir de la crise. Mais son «acceptation» n'est pas acceptée. Plus que cela : elle suscite la colère aussi bien des partis qui appellent au départ du gouvernement que des organisations composant le Quartet. La raison ? Derrière l'effet d'annonce du «oui», il y a une contre-proposition qui peut très bien être comprise comme un «non»... La réponse d'Ennahdha oscille du oui au non, et cela est considéré par beaucoup comme une énième tentative de gagner du temps pour la poursuite d'une politique de nominations... Mais le parti majoritaire de la Troïka cherche la contre-attaque. Dans une conférence de presse tenue hier, par trois de ses figures éminentes, Ennahdha enfonce le clou et laisse entendre que ses adversaires ne veulent pas le dialogue, que leur souci est d'imposer leurs conditions... En d'autres termes, nous serions en présence de deux lectures de la proposition du Quartet : une lecture littéraliste qui insiste sur l'acceptation préalable des détails de la feuille de route comme point de départ du dialogue, et une lecture qui s'autorise des modifications au niveau des points de détail au nom d'une approche qui se déclare plus «globale»... Que pense-t-on d'une telle situation du côté des partis du centre qui, par tradition ou par essence, se tiennent éloignés de la surenchère rhétorique ? Pour Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, il faudrait dépasser «l'étude du texte» et passer à la «discussion directe»... Discussion dont, dit-il, les effets seraient bénéfiques pour la Tunisie. Le membre d'Ettakatol, et donc de la Troïka, en appelle au sens du compromis dont il rappelle habilement qu'il fut la marque distinctive de Bourguiba... «Aujourd'hui, dans l'opposition, même Caïd Essebsi est pris à partie par les siens quand il reprend à son compte cette dimension de l'approche bourguibienne : on le lui reproche !» Selon lui, il n'y a guère d'anguille sous roche à redouter : «En 10 jours, on peut boucler la Constitution si les experts se mettent de la partie et travaillent d'arrache-pied. Puis on entame le vote à marche forcée... Aussitôt, le gouvernement peut démissionner...» Bref, il faudrait une «politique productive» : une politique qui rompe avec les attitudes qui «génèrent l'immobilisme»... Changement de ton du côté d'Al Joumhouri. Bien qu'au centre, ce dernier parti, membre du Front du salut, ne renonce pas complètement à son style : «Je ne l'espère pas, mais nous risquons d'aller vers l'affrontement», confie Issam Chebbi, lui aussi porte-parole... «Ennahdha a eu jusque-là une politique que les Tunisiens ne comprenaient pas. Aujourd'hui, elle parle une langue que les Tunisiens ne comprennent pas...» Pour l'élu d'Al Joumhouri, la position d'Ennahdha à l'égard de la feuille de route est, au-delà des déclarations, celle d'un «refus catégorique» : «Si Ennahdha est de bonne foi, qu'elle signe la feuille de route du Quartet et, dès demain, nous entamons le dialogue... Mais la vérité est qu'elle veut gagner du temps.» Issam Chebbi rappelle que le document du Quartet a entraîné des concessions de part et d'autre. Y compris donc du Front du salut qui a dû renoncer à l'exigence de la démission immédiate du gouvernement, en la remplaçant par une démission au bout de trois semaines... Autrement dit : voilà maintenant qu'il faudrait se soumettre à d'autres exigences, comme celle de la démission du gouvernement après, et seulement après l'adoption de la Constitution ! Le retour à la «discussion directe» qui semble avoir les faveurs du parti Ettakatol ? Non, l'expérience a montré que cette option est synonyme de négociations interminables, fait valoir Issam Chebbi, qui rappelle que le précédent dialogue autour du changement de gouvernement avait duré quelque 6 mois : du congrès d'Ennahdha en juillet 2012 à la fin du mois de février... En somme, on reviendrait donc à la position dure développée par Ali Laârayedh dans son récent discours... C'est aussi le sentiment du secrétaire général de l'Alliance démocratique, Mohamed Hamdi : «La contre-proposition d'Ennahdha rejoint le discours de Laârayedh... C'est une manœuvre et un gaspillage de temps !»