Le projet gouvernemental de créer trois facultés de médecine dans les régions du Kef, de Sidi Bouzid et de Médenine a suscité une large controverse dans plusieurs cercles. La polémique a s'et transformée en une manifestation de colère dans plusieurs autres régions qui se sont estimées exclues et lésées car elles ne bénéficieront pas de ces facultés de médecine. Seulement, une analyse sérieuse de ce projet montre que c'est, tout bonnement, une supercherie. Sami Remadi, président de l'Association tunisienne pour la transparence financière (ATTF), lors d'une intervention sur le plateau de Nessma TV a apporté un éclairage important concernant cette affaire. Il a déclaré que les dépenses prévues pour la construction et la mise en place de ses facultés ne sont prévues ni dans le budget 2013, ni dans celui de l'année 2014. Mais pourquoi construire des facultés de médecine dans ces régions ? Selon le gouvernement, ce projet s'inscrit dans le cadre de sa volonté de réduire l'écart entre les régions côtières et celles de l'intérieur. C'est un premier pas vers le rééquilibrage des disparités régionales en Tunisie. Intention louable mais quel est le rapport entre le développement d'une région et la création d'une faculté de médecine ? Pas de réponse gouvernementale claire. Par ailleurs, plusieurs professionnels de la santé s'interrogent sur la pertinence d'un tel projet. En supposant que ces facultés soient opérationnelles dès aujourd'hui, le premier médecin spécialiste qui pourrait en être diplômé sera opérationnel dans 11 ans, au bas mot, ce qui exclut, de fait, que cette solution soit prévue pour le moyen terme. Plusieurs autres personnes s'interrogent également sur le caractère régionaliste d'une telle mesure. Une réserve confirmée par les manifestations réclamant des facultés de médecine dans plusieurs autres régions de l'intérieur du pays à l'instar de Gafsa ou de Gabès. Poursuivant sa fuite en avant, le gouvernement a déclaré qu'il ne s'agissait ici que d'un premier lot de facultés et que d'autres suivront dans plusieurs autres régions. Lesquelles ? Avec quel argent ? Mystère et boule de gomme ! Le détail de ce projet porte également à confusion. Les professionnels de la santé et surtout de l'enseignement de la médecine affirment qu'il n'est pas envisageable de créer une faculté de médecine en l'absence d'un centre hospitalo-universitaire à proximité. Ils affirment que les deux tiers de l'enseignement de la médecine se fait au sein d'un hôpital et non dans une faculté. Pour eux, le gouvernement a mis la charrette avant les bœufs dans ce projet. Il est utile ici de rappeler que les doyens des facultés de médecine et les présidents des conseils nationaux des ordres des médecins et des pharmaciens n'ont, à aucun moment, été consultés pour l'élaboration de ce projet de facultés de médecine dans les régions comme ils l'ont exprimé dans un communiqué daté du 28 novembre 2013. Par ailleurs, certaines incohérences émaillent ce projet qui donne l'impression d'avoir été préparé à la va-vite. Selon le discours gouvernemental, la faculté de médecine qui sera créée dans le gouvernorat de Médenine est appelée à accueillir des étudiants libyens. Or, en Lybie, l'enseignement se fait en langue anglaise contrairement à celui de la Tunisie qui se fait en langue française. Par conséquent, les cours de médecine qui seront dispensés dans cette faculté seront-ils faits en langue française ou anglaise ? Dans les deux cas, une partie des étudiants sera, de facto, exclue. D'un autre côté, comment le gouvernement compte-t-il convaincre les enseignants, qui se trouvent être des médecins, d'aller s'installer au Kef, à Sidi Bouzid ou à Médenine à l'heure où le ministère de la Santé est engagé dans un vrai bras de fer avec les jeunes diplômes de médecine pour les convaincre de travailler pendant trois ans dans les régions de l'intérieur du pays ? Etant donné la charge horaire de ce type d'enseignement, il est impossible pour les enseignants d'effectuer des déplacements journaliers dans ces régions pour enseigner. Autre problématique, qu'est ce qui a été prévu pour ces étudiants dans ces projets de facultés au niveau du logement ? Est-ce que le projet comprend la construction de foyers universitaires ? La mise en place d'un mécanisme de transport par bus comme c'est le cas dans plusieurs villes universitaires ? Rien de cela n'a été explicité par les auteurs de ce projet. Ce projet pose plusieurs questions sur le fond, mais la forme aussi laisse à désirer. Outre le fait que ce projet n'est prévu nulle part dans les budgets de l'Etat 2013 et 2014, aucune partie prenante, autre que le gouvernement, n'a été consultée. Le représentant du ministère de l'Enseignement supérieur avait pourtant affirmé le contraire. La communication hésitante autour de ce projet a fini de le décrédibiliser. Le gouvernement a parlé de la construction de trois facultés dans certaines régions, face à la contestation, il s'est avéré qu'il ne s'agissait que d'un premier lot parce qu'il y aurait, apparemment, un deuxième lot de facultés à construire avec à la tête des régions sélectionnées celle de Gafsa, la première à s'être rebiffée contre ce projet. Comme par hasard… La nature même du projet semble opaque, même pour les ministres. En effet, le ministre de l'Enseignement supérieur, Moncef Ben Salem, dans une déclaration à Shems FM datée du 26 novembre a laborieusement tenté d'expliquer qu'il ne s'agissait pas de facultés de médecine mais de « pôles » médicaux qui doivent « rayonner » selon ses dires sur plusieurs régions autres que celle où ces « pôles » seront implantés. Tout cela semble hésitant et chaotique. Ce projet, pour le moins contesté, de construction de facultés de médecine dans les régions s'inscrit dans un cadre plus large. Le gouvernement en place tente de réactiver de vieux projets d'infrastructures et d'en créer de nouveaux à l'instar de celui du port en eaux profondes d'Enfidha, sorti du fond du tiroir. Etonnant qu'un gouvernement, censé être provisoire et démissionnaire, se lance dans des projets fastidieux qui doivent être étudiés et mis en œuvre sur plusieurs années. Quelle volonté ce type de manœuvre trahit-il ? Empêtrer le prochain gouvernement dans une grogne sociale provoquée par des promesses intenables ? Tenter de conquérir un semblant de popularité pour un gouvernement chancelant ? Toutes les suppositions peuvent être envisagées tant l'action de ce gouvernement est floue.