Le tourisme est ancré au niveau de l'histoire économique et sociale de la Tunisie, contrairement à ce que pensent certains. Vers 1968, la conscience de la nécessité d'impulser son développement a permis d'atteindre 3 millions de nuitées. A partir de 1991, la filière a affronté plusieurs chocs, le plus dur est celui auquel elle est exposée aujourd'hui. Un choc qui pourrait l'anéantir. Les chiffres de l'Office National du Tourisme Tunisien (ONTT) annonce une baisse des nuitées jusqu'à fin novembre 2013 de 15,7% par rapport à 2010. La Banque Centrale de Tunisie constate une régression des recettes (3277,1 millions de Dinars en moyenne) de 7,4% en Dinars et de 18,3% en Euros. Un diagnostic du secteur s'impose. L'état actuel des choses L'industrie touristique tunisienne se résume peu ou prou à des hôtels et des agences de voyage, or ceux-ci ne peuvent à eux seuls constituer une industrie touristique. Ainsi, l'un des premiers problèmes dont souffre le secteur réside dans l'inadaptation des infrastructures. La quasi-totalité des hôtels sont implantés dans des zones créées de toutes pièces et généralement à l'écart des zones d'habitation. Cet éloignement fait souvent de ces lieux des espaces sans âme, qu'on peut qualifier de «ghettos». Le second mal dont souffre le secteur est sa promotion assurée par l'ONTT avec un très faible budget «publicitaire» de 60 millions de Dinars dans un contexte concurrentiel acerbe. Le tourisme tunisien est essentiellement concentré au niveau de la commercialisation par les tours opérateurs européens, ce qui fait de ceux-ci des géants face auxquels les hôteliers tunisiens ne font pas le poids. A cela s'ajoute, la cyclicité et la stabilité qui déterminent, largement, le choix de la destination. La Tunisie qui était considérée comme un marché sûr subit, actuellement, les méfaits des troubles liés à l'incertitude montante, la gouvernance chaotique et les décisions qui se profilent, à l'horizon, concernant le sort du secteur dans son ensemble. Il est attendu, à ce titre, une baisse globale des flux opératoires du secteur et de ses filières satellites estimée à 30% sur la période 2014-2016, les menaces probables d'attentats incontrôlables pourraient amplifier la crise. Par ailleurs, le secteur qui jugule 62,5% du déficit commercial et qui réalise une grande part des investissements de l'infrastructure exportatrice éprouve depuis des années un troisième problème qui lui fait subir un véritable désastre financier. En effet, certains promoteurs qui ont été financés par certains établissements de crédit notamment au début des années 1990 endurent des dégâts hypothétiques et ce, vu que les crédits ont été octroyés à des taux fixes élevés soit 15-16% hors marge qui est généralement au dessus de 4 points de pourcentage. Ce qui enfonce encore le clou, c'est que les intérêts sont déduits de façon anticipée lors de la mobilisation des crédits. De plus, en cas de retard du remboursement, les décomptes se font sur une base composée d'arrangements. Les intérêts et les pénalités de retard sont encaissés au préalable. Outre le caractère illicite de ces pratiques, les investisseurs ont payé le prix cher du préjudice et continuent à le supporter, mais ils ont montré une grande capacité à honorer leurs engagements. Le taux des créances accrochées du secteur ne dépasse pas 3,2% de l'ensemble des engagements bancaires et 7,9% de la totalité des concours contre 14% en moyenne pour les autres secteurs. Il est à préciser que les dettes échues impayées sont largement provisionnées en raison du patrimoine hypothécaire et commercial immense dont dispose les établissements de crédit. Une menace destructrice Ces deux dernières années, la Troïka, appuyée paraît-il par des réseaux et des ramifications solides de bienfaisance, dans sa démarche «réformatrice» à commencer par le secteur bancaire où plusieurs surprises lui seront réservées a trouver «la solution finale» pour en finir avec les problèmes du tourisme tunisien. Dans ce contexte, les officiels du Tourisme et des Finances évoquent la constitution d'un fonds de gestion d'actifs ou de retournement pour racheter les créances d'une majorité d'hôtels et ce, selon leur vision clairvoyante pour alléger le portefeuille des banques et pour sauver le secteur touristique. Rappelons que contrairement à ce qu'on essaye d'avancer, la Banque Mondiale n'a aucune interférence, au niveau de l'affaire. Mieux encore, le financement colossal du fonds - information qu'un ex-ministre des Finances m'a assurée- se fera sur les ressources nationales propres. Ceci me semble quasiment impossible vu la situation déficitaire des finances publiques. Autres points d'interrogations: Quel sera le sort des hôteliers dépossédés de leurs biens? Sachant que la procédure revêtirait un caractère spécifique contraire à la réglementation tunisienne notamment pour ce qui est des procédures collectives à l'instar de la déclaration d'un débiteur en faillite. D'autre part, à qui confierait-on l'administration des hôtels confisqués et selon quels critères les «gestionnaires» seraient-ils désignés pour diriger des établissements qu'ils ne possèdent pas? Cette fois-ci, la pilule ne sera avalée ni par les hôteliers ni encore par les 400 mille personnes qu'ils emploient. On s'attend d'abord à cerner tous les contours de l'affaire par les parties concernées qui seront, activement, soutenues par les experts. Il me semble que le danger a été très sous-estimé, particulièrement, sur le plan de l'investissement national, au niveau de la sphère socio-économique et pour ce qui est de la synergie sectorielle par les artisans du projet en question. Evidemment, il faut s'attendre à des réactions de grande ampleur et de toute part, à des conflits juridiques sans fin qui pourraient se déclencher ; que ce soit devant des tribunaux locaux ou des instances internationales d'arbitrage engendrant des campagnes médiatiques d'envergure. Pourtant, des alternatives existent pour restructurer le secteur. Il est impératif, de prime abord, de passer à des renégociations de dettes en conformité avec les réglementations en vigueur. Les solutions pourraient être dans l'élaboration de montages financiers consensuels pour réorganiser le secteur sur la base de regroupements et ce, à moyen et long termes ainsi. Elles pourraient résider aussi dans la mise en œuvre d'opérations d'ouverture des capitaux pour générer des revenus croissants et une meilleure résistance aux difficultés conjoncturelles ainsi qu'à la concurrence. D'un point de vue réglementaire, il serait judicieux de réduire les taxes sur les recettes collectées, d'alléger la pression fiscale sur le secteur et de réviser les prix pratiqués avec les tours opérateurs en monnaies internationales. Voici des alternatives qui ne pourront qu'encourager les promoteurs pour améliorer la prospérité de leurs activités et pour garantir la pérennité de leurs exploitations. * Spécialiste en gestion des risques financiers