Le système bancaire ne s'en cache même pas. L'endettement des hôteliers constitue un fardeau pour la trésorerie de la profession. Voilà, en effet, une question lancinante qui n'a point connu à ce jour de solution et qui revient au goût du jour, surtout avec la morosité de la conjoncture économique et sociale — conséquence du choc de la révolution populaire — qui semble faire de la saison touristique en cours, un millésime carrément sinistré. Déjà, on avance pour ce début d'année une chute de 40% des recettes touristiques. C'est dire que ces difficultés nouvelles ne font qu'envenimer les choses et, notamment, l'endettement du secteur. 3.700 millions de dinars, tel serait à ce jour, selon le secteur bancaire, l'enveloppe totale des engagements des hôteliers. En fait, les avis sur ce montant restent divisés pour ne pas dire opposés. Si les établissements de crédit confirment le volume de l'ardoise précitée, les professionnels du secteur, eux, ne reconnaissent en définitive que 650 MD qui représentent les créances douteuses des hôteliers hébergées dans les services contentieux des banques de la place. L'origine de cet imbroglio ou de cette situation inextricable serait due à la politique de crédit expansionniste dont a bénéficié le secteur hôtelier érigé en activité prioritaire. Le soutien bancaire démesuré ordonné par l'ancien régime, notamment pour ce qui est de la faiblesse de l'autofinancement exigé pour la construction des unités hôtelières, a encouragé les professionnels du secteur à réduire d'une manière tangible leurs fonds propres et à se rabattre sur les crédits bancaires à long terme largement bonifiés pour le financement de leurs projets. Et, sans aller jusqu'à épouser les thèses extrémistes de certains experts économistes qui avancent que nombre d'hôteliers ont exploité cette manne financière pour en détourner une bonne partie vers d'autres finalités non productives (enrichissement personnel) ou ont — pour certains d'entre eux — fait preuve de peu d'intérêt et de motivation, disons que mises à part quelques erreurs de gestion, les baisses de l'activité qu'a connues le secteur des suites de plusieurs crises du tourisme mondial n'ont pas permis aux hôteliers tunisiens de se désendetter, d'où ce niveau élevé des engagements bancaires qui connaît une évolution continue (voir graphique). D'ailleurs, les impayés du secteur hôtelier et de la promotion immobilière figurent en tête des créances bancaires non remboursées à ce jour. Ce gonflement de l'enveloppe des impayés est, cependant, expliqué par certains professionnels du secteur par les intérêts de retard et les taux d'enfer appliqués aux créances douteuses. Mais la question essentielle qui se pose est comment solutionner ce problème épineux pour à la fois décongestionner les bilans des établissements de crédit et renflouer leurs trésoreries et consolider la viabilité des projets touristiques tout en préservant leur pérennité. Mais, en fait, cette question en appelle bien d'autres: où en est le programme de restructuration financière des unités hôtelières avant 2012, décidé cinq mois en arrière ? Quid des travaux de la Commission bilatérale FTH (Fédération tunisienne de l'hôtellerie), STB (Société tunisienne de Banque), chef de file bancaire, sous la supervision de la Banque centrale de Tunisie‑? Où en sont les études financières et juridiques promises sur cette question ? Où en est le programme de mise à niveau des unités hôtelières et qu'en est-il des opérations de contrôle-qualité des prestations fournies par ces entités hôtelières ? Autant de questions dont les réponses restent essentielles pour mieux apprécier l'état d'avancement de ce dossier préoccupant. En tout état de cause, nombre de solutions ont été avancées. A commencer par celles proposées par la FTH qui vont de la recapitalisation de ces établissements à la cession pure et simple des établissements fortement endettés, en passant par le rééchelonnement des dettes des professionnels du secteur. Mises à part les demandes d'effacement de l'ardoise de l'endettement émanant de certains hôteliers, loin de toute rationalité économique (bien qu'une dizaine d'hôteliers ait répondu à l'appel pour régulariser leur situation, mais à des conditions viables), ou du règlement global de la question (un règlement au cas par cas est plus logique et plus efficient), nombre d'experts avancent les possibilités de conversion de la dette des hôteliers en actions, du recours au marché boursier aux dépens du financement bancaire ou aux fonds d'investissement, de la sous-traitance ou d'externalisation de la gestion des établissements hôteliers. Autre solution à appuyer : procéder à une sorte de dichotomie de l'unité hôtelière en, d'une part, le fonds immobilier et, d'autre part, l'aspect gestion de l'unité hôtelière. Des opérateurs commencent à s'intéresser à cette formule : ils procèdent à la location ou à l'acquisition des murs (pour les vendre à un fonds d'investissement immobilier) et des équipements de l'hôtel auprès du propriétaire de l'établissement pour se consacrer ensuite à la gestion proprement dite de l'unité hôtelière. Ainsi faisant, le propriétaire pourra s'acquitter de sa dette auprès du secteur bancaire, ce dernier se déchargera ainsi d'une créance douteuse et pourra renflouer son budget de trésorerie, enfin l'opérateur gestionnaire pourrait mieux mettre à profit l'établissement hôtelier à travers des méthodes d'organisation et d'exploitation plus efficientes. D'ailleurs, l'endettement excessif des établissements hôteliers a contribué, en fait, au bradage des prix des séjours en Tunisie, les hôteliers cherchant à tout prix une rentabilité même anémique pour la viabilité de la situation financière et la réalisation du fonds de roulement nécessaire à la poursuite de l'activité. Aussi, il importe donc pour toutes les parties intervenantes (organismes de tutelle, secteur bancaire, hôteliers, décideurs et experts) de trouver, dans les meilleurs délais, les solutions idoines à cette question et aboutir à l'assainissement de la situation d'endettement du secteur hôtelier, surtout que le secteur touristique reste vital pour l'économie tunisienne (il pèse entre 6 et 7% du produit intérieur brut). Parallèlement et pour faire en sorte de ne pas rééditer les erreurs du passé, il y a lieu de multiplier les sessions de formation continue destinées aux professionnels du secteur, notamment en matière de gestion, de promotion et de qualité des services. Ce qui devrait contribuer au relèvement des compétences et se répercuter positivement sur les perspectives d'évolution de ce secteur d'activité. En outre, les pouvoirs publics ne devront accorder, à l'avenir, des privilèges que compte tenu des performances réalisées (taux de profitabilité, taux d'occupation, recettes en devises, qualité des services, etc.) et non plus compte tenu des perspectives. En clair, il s'agit de favoriser une politique d'incitations corrélée aux résultats et ciblée de manière à exclure des programmes de soutien les canards boiteux. Il s'agit en définitive de résoudre, dans les meilleurs délais, cette problématique de l'endettement hôtelier pour focaliser sur des questions qui restent essentielles pour la consolidation du tourisme tunisien, à savoir l'amélioration de la qualité des services, la formation, la montée en gamme de la clientèle touristique, le classement des unités hôtelières, le développement du marketing touristique — via l'internet notamment —, la diversification de l'offre touristique, la promotion de l'écolabel et la consolidation du positionnement de la Tunisie et en faire une destination incontournable dans le bassin méditerranéen.