Deux événements ont marqué la scène internationale la semaine dernière et pourraient servir de leçon pour les observateurs tunisiens. Un tribunal égyptien a condamné 529 islamistes (dont 376 par contumace) à la peine de mort. Les frères tunisiens, mais également les militants « classiques » des Droits de l'Homme ont condamné rapidement cette parodie de justice. Le nouveau dans l'histoire, c'est que ce sont les mêmes qui s'opposaient hier à l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans la constitution tunisienne qui se trouvent aujourd'hui à dénoncer ce type de condamnations barbares. Si l'Egypte en est là aujourd'hui, c'est parce que le président islamiste déchu Mohamed Morsi n'a pas respecté le b.a.-ba de la démocratie quand il était au pouvoir. Parce qu'il a été élu, d'une manière légitime, il s'est cru tout permis. Il a dépassé ses prérogatives et a entamé une politique d'exclusion et de revanche, ciblant les apparatchiks de l'ancien régime. Ces barons du régime de l'ancien président Hosni Moubarak, déchu lui aussi, ont été emprisonnés, dénigrés, insultés. Ils ont été la cible d'une politique d'éradication en bonne et due forme menée par les « frères islamistes » qui aurait conduit, tôt ou tard, à la somalisation de l'Egypte. L'armée a été acculée à reprendre le pouvoir, d'une manière à la fois légitime et illégale. Il fallait sauver l'Egypte de la barbarie islamiste annoncée par Mohamed Morsi and co. Seulement voilà, une barbarie peut toujours en cacher une autre. Les « frères islamistes égyptiens » ont voulu gouverner par l'épée et l'illégalité, sous couvert de légitimité, ils ont fini par être vaincus par l'épée et l'illégalité, sous couvert d'une autre légitimité. L'autre événement est relatif à la Turquie, autre grand pays dirigé d'une main de fer par l'islamiste Recep Tayyip Erdoğan, très grand ami de nos frères à nous d'Ennahdha et leurs acolytes du CPR et d'Ettakatol. Après avoir censuré Twitter, Erdogan a décidé de censurer Youtube. Cette mesure tout à fait despotique n'a été dénoncée par aucun de ses « amis » tunisiens. On les aurait certainement entendus crier au scandale si c'était Abdelfattah Sissi qui avait pris une mesure similaire. Malgré sa légitimité au pouvoir, Erdogan est en train de suivre le même chemin de l'illégalité que son « frère » Morsi. Le même, pourtant, était un chantre de la démocratie, du respect des institutions et de la loi. Du bla-bla-bla ! Quand on est fortement critiqué et qu'on risque de perdre sa place, de façon légitime et légale, il n'y a plus de légalité qui tienne. Morsi et Erdogan en sont les meilleures preuves. Peut-on faire le parallèle avec le comportement et le discours des dirigeants tunisiens d'aujourd'hui ? La question de l'article 15 relative à l'exclusion des anciens dirigeants du régime Ben Ali est de nouveau sur le tapis. Le CPR a lancé une pétition nationale pour soutenir ce projet. Ettakatol a déclaré être contre, tout en annonçant qu'il votera pour. Et ne cherchez surtout pas à comprendre cette « logique » du paradoxe. Ce sont pourtant les mêmes qui, lorsqu'ils défendaient en 2011 le même article 15, juraient leurs grands dieux que cette exclusion politique n'était valable que pour les élections du 23 octobre 2011. Craignant fortement d'être éjectés par les urnes, ils ont remis à l'ordre du jour l'article exclusionniste. Parmi les prétextes brandis, le « peuple » a dit « RCD dégage » et il est hors de question que le RCD revienne. Ils oublient juste de signaler que, depuis, le « peuple » a crié des dizaines de fois « Troïka dégage » et que le même « peuple » est suffisamment mature pour s'exprimer dans les urnes de l'exclusion qu'il désire. Il n'a pas besoin des porte-voix bouffons du CPR, d'Attayar et d'Ettakatol pour s'exprimer à sa place. D'autant plus qu'ils n'ont plus aucune légitimité ou légalité pour parler en son nom et ce depuis octobre 2012. Les islamistes d'Ennahdha sont nettement plus vicieux. Ils ont annoncé clairement leur opposition à l'article de l'exclusion. Ils ont changé de tactique et cherchent à assoir leur pouvoir d'abord et à discuter idéologie ensuite. Hamadi Jebali l'a clairement déclaré lors de l'entretien télévisé de vendredi dernier avec Hamza Belloumi. En clair, le CPR et Ettakatol ont adopté la politique de Mohamed Morsi. « Tuer » maintenant et tout de suite les opposants déclarés et farouches, tant qu'on est au pouvoir. Ennahdha remet à plus tard le projet en suivant la politique d'Erdogan. Mais tôt ou tard, la finalité sera la même. Ils tourneront tous le dos à leurs promesses une fois leur pouvoir assuré. Et comme ils l'ont fait avec l'article 15, ils le feront avec la liberté d'expression, les autres libertés et tutti quanti. On a déjà vu ça avec Zine El Abidine Ben Ali au début des années 90. N'a-t-il pas fait un tas de promesses similaires dans son discours du 7 novembre 1987 et n'avait-il pas été applaudi par Moncef Marzouki et Rached Ghannouchi à l'époque ? Les CPR et Ettakatol feront demain exactement la même chose que Ben Ali et Morsi. On voit les prémices de leur nature réelle dans leurs déclarations et leurs promesses non tenues d'aujourd'hui. Ils sont adeptes de l'exclusion, ils insultent les opposants et dénigrent les médias qui leur sont hostiles. Ceux d'Ennahdha ne sont pas trop différents. Ils ont juste besoin maintenant de porter le masque de la légalité. Il y va de leur survie. Dans le fond, ils sont tous de la même trempe, des adeptes de l'exclusion. Aujourd'hui, ils cherchent à exclure les RCDistes, demain ils chercheront à exclure les nationalistes et après demain ils chercheront à écarter les laïcs. Ils feront taire les médias et emprisonneront les impertinents. Comme Ben Ali, Morsi et Erdogan, ils trouveront les arguments nécessaires pour justifier leur future politique despotique, voire dictatoriale. Si l'on veut établir une démocratie dans le pays, ce n'est certainement pas avec ces gens-là. L'opposition est d'ailleurs, et comme d'habitude, peu combative pour imposer ses idées et rejeter ces élans despotiques. Elle aurait dû rejeter farouchement les appels exclusionnistes en rappelant des vérités évidentes à ceux qui les brandissent. Imed Daïmi n'est-il pas celui qui a fui la justice tunisienne pendant des années ? Il dit qu'il était poursuivi pour des raisons politiques, mais ça c'est lui qui le dit. Pourquoi Noureddine Bhiri n'a pas été poursuivi, alors que son militantisme et son islamisme étaient notoires? Si Imed Daïmi n'avait pas quelque chose de concret et de grave à se reprocher, il n'aurait pas fui le pays. Azed Badi n'était pas celui qui se faisait honorer par le RCD ? Samir Ben Amor n'était pas celui qui faisait des rapports à la police politique ? Samia Abbou n'est pas celle qui fuit la justice sous couvert d'immunité parlementaire ? Sihem Badi n'est pas celle qui n'a pas encore été inquiétée par la justice pour un certain népotisme supposé lorsqu'elle était ministre ? Il est impératif que la société civile et l'opposition s'élèvent contre ces dictateurs en herbe. Surs de leur échec dans un scrutin loyal et transparent, ils cherchent à écarter leurs adversaires par des moyens alambiqués qui ne convainquent même pas leurs partenaires. « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », traduction imprécise d'Antonio Gramsci, dans ses cahiers de prison.