Par Wicem SOUISSI (*) C'est l'histoire des hélicoptères qui se font dangereusement désirer. A l'image de Godot de Samuel Beckett —les deux uniques personnages visibles de sa pièce de théâtre dialoguent sans cesse, en attendant de... ne point le voir venir—, les hélicos de combat nécessaires à la lutte antiterroriste en Tunisie ont un horizon de livraison qui, depuis au moins l'été dernier, ne cesse de reculer, reculer encore. Et reculer toujours? Au profit de qui, d'ailleurs, alors que le danger terroriste est menaçant, notamment à l'ouest comme au sud du pays? Silence radio à Tunis. Comme s'il s'agissait, pour le gouvernement tunisien, d'informations classées secret-défense. Mais, publiquement, les nouvelles à ce sujet proviennent plutôt de l'étranger. D'ailleurs, dès le départ: à l'automne 2013, le journaliste Georges Malbrunot, spécialisé dans le Moyen-Orient, avait le premier lancé une fusée éclairante jusqu'au Maghreb; il faisait état de marchands d'armes américains en embuscade, des discussions avancées entre Paris et Tunis pour finaliser l'achat de 6 hélicoptères européens Caracal (Oreilles noires en turc) —pour environ 400 millions de dollars. Et depuis? François Hollande, qui est venu en Tunisie en hiver et a reçu à l'Elysée le chef du gouvernement tunisien au printemps, est entré dans la négociation. Toutefois, au lendemain de l'horreur de l'opération de Henchir Tella à la frontière algérienne, Mehdi Jomâa livre certes jusqu'à l'ennui le détail des technologies d'appoint qu'il sollicite des puissances alliées. Mais il ne communique guère sur l'artillerie lourde dont a également besoin l'armée tunisienne. Cela alimente, à tort ou à raison, de sérieux doutes sur la volonté gouvernementale de doter les militaires des moyens d'adapter leurs capacités à l'ennemi salafiste armé. Et nourrit aussi des rumeurs, aux apparences fantaisistes, de marchés aux commissions juteuses. Est-ce bon signe dans le combat contre le terrorisme islamiste? Certainement pas. Doublé d'un mutisme confinant à l'opacité, cet attentisme gouvernemental est dévastateur. Cela donne l'impression que l'on reproduit celui du précédent locataire de La Kasbah, Ali Laârayedh, dont nul n'ignore que le zèle à combattre les salafistes fut des plus actifs... à reculons. De soupçons confortés par son appartenance à l'ancien gouvernement de ce dernier en scepticisme quant à son émancipation de son ancienne équipe, la crédibilité antiterroriste de Mehdi Jomâa en est, bon gré mal gré, affectée. Là, une fois de plus depuis l'étranger, un ancien contrat, datant vraisemblablement de 2010, refait surface. Alors qu'une attaque terroriste succède à Sakiet Sidi Youssef à celle du mont Châambi, c'est au tour des Américains de fournir, et de confirmer dimanche dernier, une autre information; elle traduit leur succès face à leurs concurrents français. Requérant du Congrès des sénateurs son aval, le Département d'Etat (ministère de la Défense) venait pour sa part d'approuver une commande tunisienne, non pas de 6 mais de 12 hélicos Black Hawk (Faucon noir). Ce doublement quantitatif, à un coût quasi doublé aussi —700 millions de dollars— se traduit-il en surcroît qualitatif? En tout cas, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui se félicitait en février dernier que le nouveau gouvernement transitoire tunisien soit composé essentiellement d'anciens élèves des grandes écoles françaises, en sera pour ses frais. En Tunisie, cependant, malgré l'amplification du risque terroriste venant de Libye cette fois, l'absence de communication gouvernementale demeure constante. Tout au plus se rappelle-t-on les propos de Mehdi Jomâa sur ses efforts pour raccourcir les trop longs délais de livraison de matériel de détection sensible; ils confirment du même coup, et malgré lui, que la remise des hélicoptères, autrement lourde à réaliser, risque d'avoir lieu trop tard pour donner un avantage décisif aux forces militaires tunisiennes. Un renfort si tardif que ces hélicos, toujours pas en vue, rappellent un autre personnage de théâtre, déterminé lui aussi, comme Godot, par son absence physique de la scène, et entré dans le langage courant: l'Arlésienne de Alphonse Daudet, — son fiancé, désespéré, feint néanmoins la gaité, puis, finalement, se suicide. Mais, quoi qu'il en soit de l'imaginaire créatif, qu'en est-il de la réalité des Caracal et des Black Hawk? Dommageable pour la Tunisie, la concurrence franco-américaine est-elle le reflet d'un conflit de compétences voire d'intérêts entre les deux pôles chargés de la Défense nationale: le palais de Carthage version Moncef Marzouki et La Kasbah selon Mehdi Jomâa? Le gouvernement, qui n'a d'ailleurs pas évoqué, fût-ce du bout des lèvres, d'investissements en hélicoptères en faveur de l'armée, compte-t-il à cet égard rester muet? Cadres et troupes militaires, qui lisent les journaux comme tout un chacun, demeureront-ils en conséquence dans l'expectative, au péril de leur moral, d'une couverture aérienne efficace? Ou bien, après avoir enfin sonné le clairon du réveil pour combattre le terrorisme islamo-intégriste, le gouvernement, dans un élan non démenti de lucidité et de courage, se donnera-t-il, sans tarder indéfiniment, les moyens héliportés de lui donner des assauts concluants? Toujours est-il que, face à la menace pour leur sécurité, les Tunisiens ne verraient aucun inconvénient, dans l'attente du renfort déterminant de ces hélicos pour l'heure virtuels, que la guerre tunisienne contre le terrorisme aux frontières soit secondée par les appareils et les pilotes de nos puissances alliées. Autrement dit, du fait d'un danger international, dans les circonstances actuellement exceptionnelles, il est impératif de prendre des décisions d'exception.