Depuis le début de la campagne, on n'a eu cesse d'appeler les deux candidats finalistes au second tour de la présidentielle à présenter un certificat médical attestant de leur état de santé. En vain. Si Moncef Marzouki en a présenté un, incomplet, de l'avis de ses détracteurs, Béji Caïd Essebsi a passé cet appel sous silence. A ce jour, et alors que le scrutin tant attendu se tient demain, l'opinion publique n'en sait pas plus sur l'état de santé des deux présidentiables. Elle n'en saura peut être jamais rien. Alors que le candidat Marzouki a été, à maintes reprises, raillé pour son état de santé mental « défaillant », de l'avis non seulement de ses détracteurs mais aussi de nombre de ses anciens compagnons de route, le certificat qu'il a présenté ne mentionnait rien de tel. Examen cardiovasculaire, biologique, électro-cardiographique, radio du thorax et échographie. Tout était en ordre. Mais ce n'était certainement pas cela qui intéressait les observateurs. L'examen psychiatrique a été, quant à lui, complètement zappé du tableau. Son rival de son côté, n'en a eu que faire et n'a pas donné suite. Mais si l'opinion publique s'est permise une telle intrusion dans la vie privée des deux présidentiables, c'est qu'un tel certificat pourrait définir si l'état de santé de chacun d'eux lui permet d'assurer ses fonctions, une fois à la magistrature suprême. En politique, la frontière est mince entre respect du secret médical et droit de savoir. La Constitution tunisienne stipule que le président de la République doit être tunisien de naissance, de confession musulmane et avoir, au minimum, 35 ans accomplis lors de son accès au poste. Rien donc sur son état de santé. Les finalistes à la présidentielle ne sont nullement tenus de se déclarer sur leurs états de santé à l'opinion publique. Il s'agit cependant d'une disposition morale, vis-à-vis de leurs électeurs. Alors que certaines nations privilégient une totale opacité, dans les pays anglo-saxons en revanche, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, les bobos présidentiels relèvent du domaine public. En France, cependant, le président de la République et son cabinet ont toujours été libres de décider, ou non, d'être transparents sur leur état de santé. S'en suit une tradition présidentielle, purement française, d' « omettre » délibérément de présenter son dossier médical, ou pire, de mentir sur ses éventuels travers. François Mitterrand avait publié un faux certificat, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont promis une certaine régularité mais n'ont pas tenu parole. En Tunisie, peu de traditions existent en la matière. Le pays n'ayant connu que deux présidents avant la nomination de Moncef Marzouki en 2011 : Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali. Aucune transparence n'est à attendre des deux. Marzouki en revanche, a sauté sur l'occasion et a publié le sien, cédant aux pressions. Mais rien de ce qu'il a publié n'a pu clouer le bec à l'adversaire. Loin s'en faut ! Les appels à un certificat de « santé mentale », n'ont pas cessé. Cette vague de la santé présidentielle a aussi eu sa place au sein de la campagne électorale. A coup d'affiches interposées les coups les plus bas ont été tirés par les deux protagonistes. « Viens jouer au foot », disait Moncef Marzouki, langue tirée, à son ennemi juré, sur une affiche électorale. Le jeune candidat CPRiste de 69 ans, qui s'était dégourdi ses jambes ankylosées de l'exercice présidentiel, le temps d'un match de foot de campagne, a tancé son adversaire, un peu moins jeune, de 89 ans. Force est de reconnaître que ce tabou de l'âge a été l'un des grands arguments de cette campagne, où les slogans n'ont pas toujours volé très haut. Manifestations à coups de couches culottes, slogans incendiaires dénigrant l'âge du rival, rien n'est épargné pour rappeler cet argument de taille qui sépare les deux candidats. « Faut-il informer le peuple et le monde de la santé du chef de l'Etat? C'est une question à laquelle il n'y a pas de réponse simple » répondit François Mitterrand sur cette fameuse question qui lui a été posée après que son cancer ait été rendu public. Cette question est, en effet, loin d'être simple. Une totale transparence au sujet de l'état de santé des dirigeants est-elle chose utile ? Comment un simple certificat médical peut-il déterminer si un président est capable, ou non, de diriger un pays ? « Si le président est notoirement malade, comment l'Etat serait-il indemne? », s'interroge le philosophe français Comte-Sponville André dans « la santé des Grands ». Les puissants de ce monde, ou à défaut, les hommes politiques, sont adulés, craints, admirés et enviés. Pour pouvoir les recadrer et les faire échoir de leur piédestal, on cherche les détails qui les rappellent à leur condition humaine. Leur dossier médical, ce document précieux, nous rappelle que, malgré tous leurs efforts pour faire croire qu'ils sont éternels, ils restent humains après tout. « Les puissants sont faibles, puisqu'ils sont humains, puisqu'ils sont mortels […] leur disparition crée l'événement, même quand leur vie, depuis plus ou moins longtemps, avait cessé de le faire », écrit le philosophe. Mais même si cette transparence est respectée, même si les politiques occultent une telle « obligation », rien n'empêche les rumeurs et les supputations d'aller bon train. Un président malade s'expose à devenir politiquement faible, affaiblir l'Etat qu'il dirige ou, à défaut, mettre en péril sa course vers le poste convoité. En Tunisie les jeux sont déjà faits, ou presque. Demain, tout sera joué et les Tunisiens éliront celui, mortel, qui les représentera à la magistrature suprême. Demain, nombreux crieront : « Le roi est mort, vive le roi ! ».