Une certaine classe politique tunisienne a soutenu tout au long des trois années passées, sous le régime de la Troïka, une position détachée des réalités. Se voilant la face quant à leur poids concret et leur incidence sur l'opinion publique, ils n'ont eu de cesse de s'ériger, tantôt en glorieux leaders, ne remettant en aucun cas en doute leur cote de popularité, tantôt se posant comme victimes des médias et des instituts de sondages. Aveuglés par l'exercice du pouvoir, des politiques se sont crus, à tort, comme cela a été prouvé avec la proclamation des résultats des élections législatives et présidentielle de 2014, disposer d'une assise solide et indétrônable au sein de l'électorat tunisien. Durant trois ans, on n'a eu de cesse de subir les discours empreints d'arrogance et de suffisance d'une classe, portant des œillères, inconsciemment, ou sciemment… Aux médias qui prouvaient le contraire, et mettaient le doigt sur la fragilité d'une telle entreprise, on criait au scandale, au retour des pratiques de dénigrement de l'ancien régime, et on les taxait de « médias de la honte », terme, ô combien prisé par cette catégorie. Aux instituts de sondage, on était en droit de les accuser d'être des vendus, de « rouler » pour des partis et des parties, bien connus de la place. Bref, tout était bon pour contrer ceux qui n'entraient pas dans les bonnes grâces de ces politiques. Considérant que le discrédit les frappant, ne les concerne pas, eux, ils refusent dans un aveuglement inouï de tenir compte des tendances concrètes. Les plus virulents ont été indéniablement, les membres de l'ex parti présidentiel CPR, qui ont mené une véritable cabale contre les médias dits de la honte et les instituts de sondage, mettant en doute leur crédibilité et allant jusqu'à les accuser de falsification des résultats et d'être à la solde d'un parti en particulier, notamment Nidaa Tounes, pourtant grand vainqueur du scrutin législatif et présidentiel. Cette campagne a été certes étalée sur les trois années passées, mais elle s'est toutefois intensifiée avec l'approche des échéances électorales. On se rappellera des propos du secrétaire général du CPR, Imed Daïmi qui a crié haut et fort que les sondages ne sont ni transparents ni fiables, affirmant qu'ils sont partiaux et tentent d'influencer l'opinion publique en application d'agendas politiques bien déterminés. Il s'est même aventuré, à contre-courant, à mettre l'accent sur la contradiction, entre les sondages consacrant Nidaa Tounes au premier rang des intentions de vote, et le véritable poids du parti. M. Daïmi est allé jusqu'à dire que Nidaa n'a pas les moyens matériels et humains pour réaliser les pourcentages mentionnés dans les sondages, ce qui transparaitra dans les prochaines élections, disait-il. On connait la suite… Le premier coup pris de plein fouet par le camp portant les œillères a été incontestablement, les résultats des élections législatives, qui ont consacré le parti, longtemps honni et diminué, au premier rang, alors que le CPR se retrouve représenté par 4 sièges seulement, Ettakatol totalement évincé et Al Joumhouri décimé, la débâcle ! Cependant, ces résultats n'ont pas empêché certaines voix de s'élever contre le travail des instituts de sondage, comme Tarek Kahlaoui. C'est qu'ils ont long souffle ! Le deuxième coup a été le premier tour, durant lequel des candidats tels que Mustapha Ben Jaâfar ou encore Ahmed Néjib Chebbi ont été humiliés par leur score… Mais le coup de grâce est sûrement le résultat du second tour consacrant Béji Caïd Essebsi au poste de président de la République. Favori des élections face à son adversaire Moncef Marzouki, BCE a été donné vainqueur dès la fermeture des bureaux de vote, par son directeur de campagne, Mohsen Marzouk. S'en sont suivies des déclarations d'un Adnène Mansar assurant que l'écart était minime entre les deux candidats et des Samia Abbou et Tarek Kahlaoui qui criaient au scandale. Il faut dire qu'il ne s'agit pas d'une première. Dimanche soir, sur les plateaux télévisés, on a assisté à une attaque méthodique visant à discréditer les résultats des sondages sortie des urnes, particulièrement ceux réalisés par Sigma Conseil. Intervenant sur le plateau d'El Hiwar Ettounsi Ayachi Hammami a même qualifié BCE de président des sondages. Adnène Mansar persistait et signait que le candidat Marzouki pourrait être le vainqueur, mettant en doute les résultats des instituts et décrédibilisant la transparence de l'opération électorale. Des propos qui ont engendré une situation de chaos dans quelques villes du Sud tunisien, connues pour être le bastion de Marzouki. Toujours durant la soirée de dimanche, le président sortant s'est adressé à ses sympathisants assurant que le score est serré et persistant jusqu'au bout dans une sorte d'aveuglement consternant. Contrairement à tout ce qui a été annoncé par la campagne du président sortant, les résultats officiels de l'ISIE ont conforté ceux de Sigma Conseil à une virgule près ! Quelle a été la réaction du camp sortant ? Encore plus de véhémence, en dépit d'un Marzouki acceptant à contre cœur la défaite. Jusqu'au-boutistes donc, les marzoukistes n'en reviennent pas. En félicitant BCE pour sa victoire, Mustapha Ben Jaâfar, à titre d'exemple, a avoué qu'il «ne s'attendait pas à ces résultats, prévoyant un écart plus réduit entre les deux candidats ». C'est dire l'ampleur de l'aveuglement de cette classe politique qui se pensait au-dessus de tout. Les élections ont été l'occasion pour lever le voile sur un discours éculé, et longtemps ressassé. Les insultes, les dénigrements et même les menaces contre les médias et instituts de sondages, ont été tous voués aux gémonies par la volonté des électeurs tunisiens. Ikhlas Latif