Deux années sont passées depuis l'assassinat de Chokri Belaïd. Deux années d'attente et de flou pour sa famille, ses amis, ses camarades et pour les Tunisiens aussi. La vérité demeure en partie inconnue malgré toutes les mobilisations, notamment celles de l'IRVA. Quid de cette affaire ? Le 6 février marquera à jamais la mémoire des Tunisiens. La patrie a perdu, ce jour-là, l'un de ces leaders nationaux. Un homme qui défendait ses convictions avec verve et ténacité. Chokri Belaïd était un ami inconditionnel des pauvres, mais aussi un ennemi farouche de l'islamisme politique. Personne, sauf ses assassins, ne s'attendait qu'en ce jour ensoleillé de l'hiver 2013 un drame aussi choquant et épouvantable allait se produire et emmener le pays aux confins du chaos. La mort de Chokri avait plongé tout le pays dans le deuil. Ses funérailles étaient la plus grande manifestation que la Tunisie ait connue. 1,4 million de personnes avaient assisté aux obsèques. Ils avaient suivi le cercueil par amour et par fidélité au martyr, mais également pour crier haut et fort leur condamnation de la violence. D'emblée, le mouvement islamiste était le premier à être pointé du doigt, et ce, en raison de son laxisme à l'égard des groupes extrémistes. Puis, au fil de l'enquête et du temps, les soupçons s'épaississent de plus en plus autour du gouvernement et, par extension, autour du parti Ennahdha à cause du traitement officiel de l'affaire qui présente, selon plusieurs observateurs, quelques ambigüités. Le déroulement de l'enquête, jugé opaque, laisse en effet à croire que la volonté de dévoiler la vérité fait défaut. Pour faire face à cette opacité, un comité appelé Initiative pour la Recherche de la Vérité sur l'Assassinat de Chokri Belaïd fut créé. Plus connu sous le nom de l'IRVA, ce comité a vu le jour le 25 avril 2013 et a réuni, entre autres, Basma Khalfaoui, épouse du défunt, Ghazi Gherairi, Kamel Jendoubi et Taïeb Laâguili. Depuis sa création, l'IRVA s'applique à ramasser tout élément ou indice pouvant élucider l'assassinat. Le comité suit également le déroulement de l'enquête ainsi que les déclarations officielles sur l'affaire. Il compare alors les résultats, fait des recoupements, relève les incohérences et dénonce les irrégularités trouvées. Le comité a joué, et joue encore, un rôle essentiel et majeur en assurant une vigie sur le déroulement de l'enquête et en tenant informée l'opinion publique de l'avancement de l'affaire. L'affaire Belaïd est pleine de rebondissements. Le 7 novembre 2013, l'avocat Mokhtar Trifi fait part, lors d'une conférence de presse tenue par l'IRVA, d'une révélation fracassante. Le dossier comportant les résultats des analyses balistiques a été caché délibérément par Ouahid Toujani, ancien directeur de la sûreté publique, révèle-t-il. L'enquête sur le meurtre se heurte, ainsi, à une dissimulation de preuves de la part de la direction de la police chargée de l'affaire. Quelques jours plus tard, Basma Khalfaoui relève, dans un communiqué publié par IRVA, des contrevérités dans les affirmations du ministère de l'Intérieur. Celles-ci concernent le type d'arme utilisée par le tueur. Le MI prétend, en effet, que la police ne possède pas de pistolets de type Beretta 9mm. Alors que les PV établis lors de l'examen de l'affaire des martyrs et blessés de la révolution du Grand Tunis attestent de l'existence et de l'utilisation d'armes de ce type par les forces de l'ordre. L'IRVA s'attaque, également, à un autre aspect des déclarations de ce ministère, celui portant sur le rapport d'expertise balistique effectuée par un laboratoire néerlandais. Selon le ministère de l'Intérieur, ce rapport s'inscrit dans le cadre d'une entraide policière et non dans celui d'une coopération judiciaire. Une déclaration démentie par l'IRVA en se basant sur le fait que la correspondance néerlandaise avait été adressée au juge d'instruction et non au ministère de l'Intérieur. Le 6 février 2014, le comité IRVA annonce qu'il traduira devant le Conseil onusien des droits de l'Homme le gouvernement tunisien pour qu'il s'y explique sur le retard de l'enquête. Une deuxième requête a également été présentée au Tribunal africain pour réclamer l'interdiction de voyage de Ali Laârayedh, Lotfi Ben Jeddou et certains cadres du MI dont notamment Ouahid Toujani, Mustapha Ben Amor, Mehrez Zouari et Abdeklkrim Laâbidi. Le 12 novembre 2014, l'affaire Chokri Belaïd connait un nouveau tournant. Son épouse, Basma Khalfaoui, déclare que la chambre des mises en accusation avait demandé au juge d'instruction de mettre en examen « des personnalités, des responsables et des sécuritaires ayant bénéficié d'une couverture du temps de la Troïka ». A la tête de cette liste, l'ancien chef du gouvernement, Ali Laârayedh, et l'ancien directeur de la sûreté publique, Ouahid Toujani. L'audience des deux hommes pourra, selon Mme Khalfaoui, être bénéfique à l'enquête « Elle apporterait de nouveaux éléments » dit-elle. L'actualité ne tarit pas sur ce sujet et continuera à bouger tant que la vérité demeure inconnue. Les nouvelles sur l'affaire Belaïd affluent de Tunisie, mais également de l'étranger. Une vidéo, tournée à la Hollywoodienne, a été diffusée décembre dernier sur internet par l'EI. Dans cette séquence d'environ 7 minutes, on voit, parmi d'autres, Boubaker Al Hakim, alias Abou Mouqatel, revendiquer fièrement l'assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. « C'est nous qui les avons tué » dit-il allégrement, avant de s'adresser aux Tunisiens en ces termes : « Prenez l'exemple de Kamel Gadhgadhi, Lotfi Ezzine, Touhami et Adel Saidi ! Marchez sur leurs traces et faites revivre la tradition de l'assassinat en Tunisie ! ». Qui a tué Chokri ? Une question qu'on ne cesse de poser depuis deux ans. Une question qui demeure sans réponse pour l'instant. Selon la version officielle livrée par le MI, le meurtre a été exécuté par un seul tueur, Kamel Gadhgadhi. Cependant, on ne sait pas encore toute la liste des responsables de ce crime odieux et lâche. Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a promis, lors de sa campagne et même après son investiture de s'approprier l'affaire et faire de son possible pour que la vérité soit révélée. Ainsi, il a reçu le 2 janvier 2015 au palais de Carthage Basma Khalfaoui et Salah Belaïd, père de feu Chokri Belaïd pour réitérer son engagement électoral et les a rassuré, de nouveau, qu'il fera toute la lumière sur ce qui s'est passé le 6 février 2013. Elyes Zammit