La Tunisie célèbre aujourd'hui le 77ème anniversaire des événements du 9 avril 1938. Evénements à la fois douloureux et auréolés de gloire. Evénements historiques d'une importance cruciale qui rappellent à la jeune génération, la nécessité de lutter et de se tenir debout avec courage contre les nouveaux ennemis qui guettent la Tunisie. A travers la Fête des martyrs, nous célébrons nos aïeux qui ont lutté contre la colonisation et l'occupation française, pour que la Tunisie recouvre sa liberté et sa pleine souveraineté. Nous célébrons aussi les martyrs tombés pour une bouchée de pain, pour la dignité et ceux qui sont tombés et continuent de tomber sous les balles traitres du nouvel ennemi de la Tunisie : le terrorisme.
Mais pour lutter contre l'oubli et pour que les événements du 9 avril 1938 et les valeurs qu'ils ont porté, restent gravés, loin des apparats et des fêtes officielles. Il est du devoir de mémoire de tous de revenir sur les faits historiques ayant marqué un tournant dans le mouvement de résistance contre l'occupation française.
Pour les personnes non-férues d'Histoire, quelques bribes subsistent encore de cette journée mémorable, ou plutôt de ces deux journées mémorables. Nous sommes le 8 avril 1938, à jour-1 des événements tragiques, toutes les boutiques et les marchés de Tunis sont fermés en application de l'appel à la grève générale décidée par le Néo-Destour. C'est que les autorités coloniales, avaient procédé à l'arrestation des leaders Youssef Rouissi, Hédi Nouira, Salah Ben Youssef et Slimane Ben Slimane, accusés d'incitation à la haine raciale et d'atteinte aux intérêts de la France en Tunisie. En fin de matinée les autorités déploient des soldats sur les principales places de la capitale en prévision d'une manifestation organisée par le Néo-Destour. A 14h30 une imposante manifestation, menée par Mongi Slim et Ali Belhouane prend comme point de départ le quartier de Halfaouine et se dirige vers le siège de la Résidence générale. Une deuxième manifestation conduite par Mahmoud El Matri, en partance de Bab Menara et Bab Jedid rencontre la première à Bab Bhar.
Devant la Résidence Générale, des milliers de manifestants brandissent des pancartes appelant à la formation d'un Parlement tunisien, avec des slogans hostiles au protectorat. C'est alors que Ali Belhouane, qu'on nommera par la suite le leader des jeunes, prend la parole en prononçant un discours historique qui restera dans les annales, marquant un point de non retour du mouvement national tunisien dans la lutte contre l'occupation. En voici les termes, traduits par nos soins :
« Nous sommes venus aujourd'hui démontrer notre force, la force de la jeunesse qui détruira les structures du colonialisme brutal et le vaincra. Nous sommes venus aujourd'hui démontrer notre force devant cet impuissant (se référant au résident général), qui est incapable de gérer ses propres affaires, les délégant au secrétaire général du gouvernement, vouant au peuple tunisien l'humiliation de sombres desseins pour les anéantir sur leur sol. Dieu nous en préserve !
O vous qui croyez en la cause tunisienne. O vous qui croyez en un Parlement tunisien. Le Parlement tunisien ne peut être bâti que sur les corps des citoyens et ne sera érigé que par la force des jeunes ! Combattez au nom de Dieu, si vous êtes confrontés à l'armée française ou aux gendarmes, poursuivez-les sans relâche, dans les déserts et les plaines, et faites en ce que vous voulez. Vous êtes les propriétaires de ce pays et vous le resterez, et eux sont des intrus sur notre sol !
La politique et les lois de ce gouvernement sont caduques et se doivent d'être détruites, anéanties, et voilà qu'aujourd'hui nous le faisons ! Ce gouvernement a interdit et prohibé que nous levions le drapeau tunisien, et voilà que nous le faisons dans cette place malgré lui ! Ce gouvernement a interdit l'organisation de manifestations, et voilà que nous manifestons et remplissons les artères de la ville d'une marée humaine, où femmes, hommes, enfants emplissent l'espace de slogans enthousiastes… ».
La manifestation a vu la participation, outre les dirigeants du Néo-Destour, de plusieurs franges de la société, et pour la première fois la femme tunisienne a pris part à cette marche. Se passant sans heurts, Mongi Slim appelle à une autre manifestation le surlendemain. Cependant, le 9 avril 1938, Ali Belhouane est convoqué devant le juge d'instruction pour répondre de ses actes et du discours prononcés la veille. Devant le Palais de Justice une foule importante, contestant cette convocation se rassemble en présence d'un imposant dispositif sécuritaire. S'ensuit des heurts où les forces sécuritaires tentent de disperser les manifestants à coups de bâtons, ces derniers se retirent vers la Médina. Ils reviennent plus nombreux sous les youyous des femmes, les haranguant et les incitants à la résistance.
C'est alors que les forces de l'occupation, composées par des gendarmes, des policiers et des zouaves accueillent les manifestants par des rafales d'automitrailleuses. La répression sanglante contre les tunisiens désarmés qui a fait 22 morts et plus de 120 blessés, a pris fin vers 18h de ce 9 avril à marquer d'une pierre noire dans l'Histoire de la Tunisie.
Les répercussions de ces événements ne se sont pas fait attendre. Le 10 avril Habib Bourguiba et Mongi Slim ainsi que d'autres dirigeants du Néo-Destour sont arrêtés. Ils sont déférés devant le Tribunal militaire. Ils sont accusés d'avoir fomenté un complot contre la sûreté de l'Etat. Quant au parti, sa dissolution est décidée le 12 avril 1938. Tous ses locaux fermés, ses documents confisqués la presse nationaliste suspendue, les militants du Néo-Destour sont obligés d'entrer dans la clandestinité pour poursuivre le combat.
La Tunisie est aujourd'hui confrontée à une nouvelle forme plus pernicieuse d'occupation. Le pays est en effet, entré en guerre contre les groupuscules terroristes qui menacent la sécurité nationale. Une guerre qui sera menée sans relâche pour protéger et consolider les acquis durement obtenus. La Tunisie se défendra avec toutes ses forces vives, comme l'ont fait nos prédécesseurs, pour parer à ce fléau et honorer la mémoire de ses martyrs.