A l'actualité cette semaine, les 32 députés de Nidaa Tounes qui démissionnent. Ce qui arrive au parti majoritaire, élu il y a un an à peine, est tellement laid que cela ne vous donne même pas envie d'en parler. A l'actualité cette semaine, la prière du vendredi. Pas celle de la mosquée Lakhmi où les prieurs sont devenus plus fidèles à un imam suspect dans des affaires d'argent qu'à Allah, mais la prière hebdomadaire tenue le vendredi 6 janvier à Istanbul. Au Lakhmi, vous avez un imam qui utilise la mosquée pour sa propagande politique. A Istanbul, c'est pareil, vous avez Rached Ghannouchi qui se fait prendre en images dans une mosquée aux côtés du président turc, nouvellement réélu, Recep Tayyip Erdogan.
Cette présentation des vœux à la mosquée est une nouveauté dernier cri dans notre paysage politique. Pourquoi crier au scandale quand un petit imam utilise la mosquée à des fins politiques quand son maître à penser fait pareil ? Ainsi donc, Rached Ghannouchi a pris spécialement l'avion pour aller féliciter Erdogan pour sa victoire. Il cloue au pilori Moncef Marzouki qui, lui, n'a envoyé qu'une lettre de félicitation. Pour certains hommes politiques, le président turc est devenu un Dieu qui mérite qu'on parte en voyage, juste pour lui « tendre la manche ». Au fait, qu'en est-il du rapport de la Cour des Comptes qui épingle un candidat à la présidentielle ayant bénéficié de subventions d'un « Etat » ? On ne connait toujours pas le nom du candidat, ni celui du pays et la Cour continue à se murer dans son silence.
L'intérêt porté par certains de nos hommes politiques à la Turquie, son président et ses élections laisse pantois tout observateur qui chercherait à comprendre ces personnages, leur idéologie et leurs principes.
Prenons les deux cas cités : Rached Ghannouchi et Moncef Marzouki. Le premier a toujours donné l'image d'un homme pieux, défendant la révolution et la religion. Le second a toujours donné l'image d'un militant des droits de l'Homme défendant la révolution et la démocratie.
En parlant d'Erdogan, MM. Ghannouchi et Marzouki mettent systématiquement en évidence les exploits économiques de la Turquie. Le miracle turc, disent-ils. A les écouter, on devrait tous suivre aveuglément l'exemple turc et le « Dieu » Erdogan. Soit, suivons-le. Que disent les observateurs internationaux qui regardent de près la scène politique turque ? En chœur, ils répondent, la justice est aux ordres et la presse est bâillonnée.
En 2013 déjà, la Turquie était surnommée la première prison au monde pour les journalistes. Il y avait à l'époque une bonne quarantaine de journalistes en détention en Turquie sur un total de 211 au monde. En 2015, la situation n'est pas vraiment meilleure, même si le nombre a légèrement régressé. Des centaines de journalistes sont régulièrement placés en garde à vue. Pour un simple tweet, certains se trouvent en train de subir des procès à l'issue desquels ils risquent jusqu'à cinq ans de prison. Le cynisme du nouveau système turc fait qu'on sélectionne les journalistes qu'on veut abattre. Un événement précis peut être couvert par cent journalistes, mais seul l'un d'eux (forcément indépendant) se trouve derrière les barreaux et se voit accuser du nouveau terme à la mode : « Journaliste-terroriste » (l'équivalent de médias de la honte en Tunisie).
Atteint de la folie des grandeurs depuis qu'il est installé dans son nouveau palais de 200.000 m² d'Ankara, le président turc a perdu tout contact avec la réalité. Parce que la peur a repris ses droits, ce n'est que mezza voce que les Turcs le traitent de « Sultan ».
Il suffit de critiquer Erdogan ou de parler du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) pour que l'on vous taxe d'ennemi de l'Etat et/ou de terroriste et de risquer un plus ou moins long séjour en prison. Le PKK est devenu organisation terroriste et toute parole donnée à ce parti équivaut désormais d'être classé comme terroriste. A préciser que pour les Kurdes, le PKK est comme le Hamas pour les Palestiniens. Ces militants kurdes sont classés terroristes par les Turcs exactement comme les militants palestiniens sont classés terroristes par les Israéliens.
En dépit de ces violations quotidiennes des droits de l'Homme et de la Liberté d'expression, les islamistes tunisiens et les « défenseurs de la révolution et de ses principes » continuent encore à déifier Erdogan et à parler de ses prouesses économiques et politiques. L'opposition ? C'est des jaloux et ennemis de l'Etat !
Samedi dernier c'était le 7 novembre. Il y a 28 ans, ce jour-là, le Premier ministre et ministre de l'Intérieur de l'époque fait un putsch en velours et devient président de la République. Zine El Abidine Ben Ali de son nom. Quand on compare ce que disaient à l'époque les « pays amis » sur Ben Ali et ce que disent maintenant Marzouki et Ghannouchi sur Erdogan, on ne trouve aucune différence. Quand on voit les prouesses de Ben Ali et ce que disait la presse officielle de ses réalisations et que l'on voit les prouesses d'Erdogan et ce que dit la presse officielle de ses réalisations, on ne trouve aucune différence. Pourquoi alors des gens comme Ghannouchi et Marzouki transforment Erdogan en Dieu, mais Ben Ali en diable, alors que les deux ont utilisé les mêmes recettes pour diriger leur pays ? La réponse se tient en un mot : ils font de la politique ! Leurs idéaux et les mots pompeux de démocratie et de liberté d'expression, ils s'en moquent comme de leur première chemise.
Conclusion ? La vérité d'un pays ne se mesure pas uniquement à son PIB et sa croissance. La vérité d'un homme politique ne se mesure pas uniquement à ses déclarations publiques. Les islamistes et les « révolutionnaires à deux balles » veulent voir la Tunisie ressembler à la Turquie. Ils envient sa croissance et son PIB, mais ça, on l'a déjà vu avec la Tunisie sous Ben Ali. Ils oublient sans doute, ou plutôt omettent de dire, que la justice aux ordres et la presse bâillonnée, on avait ça aussi sous Ben Ali. En définitive, ils ont beau prier devant les caméras et participer à des « flottilles pour la liberté », leur modèle turc ne vaut pas mieux que celui de Ben Ali et leur Erdogan n'est aujourd'hui pas mieux que ce qu'était notre Ben Ali. Mais ces hommes politiques ne diront jamais cela à leurs gogos …