L'annonce et la signature de l'accord d'arbitrage entre le gouvernement et le gendre de l'ancien président, Slim Chiboub sous l'égide de l'IVD, a eu, outre sa dimension politique, une dimension historique et émotionnelle. Dans cette affaire, il y a certes des gagnants, mais des perdants aussi. Plusieurs facteurs expliqueraient le retard pris dans le processus de la justice transitionnelle. Il aurait fallu réunir plusieurs circonstances pour que ce processus démarre enfin. Par chance ou simplement par de judicieuses manœuvres, Slim Chiboub en a été le premier bénéficiaire. Rappelons que la justice transitionnelle, processus réclamé par tous dès le début de la révolution, a été géré par la manière la plus politicienne qui puisse exister. On s'est même évertué à lui flanquer, contrairement à toutes les expériences connues, un ministère qui n'avait pour but en réalité que de servir les intérêts des ressortissants islamistes et accélérer leur indemnisation. Par la suite, la création de l'IVD a été tellement instrumentalisée que ses déboires actuels ne pouvaient qu'en être la conséquence inéluctable. Jusqu'à cette semaine, l'IVD était incapable de remplacer les membres démissionnaires, ni de régler définitivement la question de son vice président en fronde déclarée contre sa tonitruante présidente. C'est dans ce contexte que la signature de l'accord de conciliation entre le gouvernement et Slim Chiboub intervient pour satisfaire les intérêts et les desseins de plus d'un.
En premier lieu, les intérêts de l'IVD, qui a dépassé pratiquement la moitié de son mandant sans faire grand-chose à part accumuler les dossiers par milliers, les querelles internes de ses membres et les extravagances de sa présidente. Quoi de mieux alors pour redorer son blason et soigner son image écartelée dans l'opinion publique que de parrainer un accord avec un client aussi « mythique » et hyper médiatisé que le gendre de l'ancien président. En plus, cet accord fait de l'IVD, de facto, l'instance incontournable pour toute conciliation future. En ce sens, Slim Chiboub est un cadeau tombé du ciel, ou poussé dans les bras de Sihem Ben Sedrine pour lui permettre de rebondir et d'aplanir ses différents avec les pouvoirs publics.
Justement, ces pouvoirs publics avaient jusque là systématiquement refusé l'arbitrage de l'IVD pour accepter miraculeusement l'accord de conciliation avec Chiboub sous l'égide de cette même instance. Partant du fait qu'en politique il n'y a pas de hasard, mais uniquement des intérêts, il y a lieu de croire que ces pouvoirs publics trouvent largement leur compte dans cet accord qui permet de sécuriser les centaines d'actants économiques à l'intérieur ainsi que les influents partenaires à l'extérieur, dans la région du golfe et ailleurs. Paradoxalement aussi, cet accord ouvre la voie, obstruée depuis des mois, devant l'initiative présidentielle de réconciliation économique.
La troisième partie gagnante de cet accord est Slim Chiboub. Voila quelqu'un qui a été durant une décennie, avec le propre frère de l'ancien président, un des piliers du système Ben Ali. Il a profité largement de sa proximité avec l'ancien président et contribué à la corruption qui a marqué son règne. Sa mise à l'écart au profit de la famille Trabelsi n'a été en réalité que le fruit d'un règlement de compte interne au sein du même clan mafieux, sans jamais être lâché complètement par son gendre, ni inquiété sérieusement pour ses affaires. Aujourd'hui, si tout se passe bien, il sera le premier du clan Ben Ali à normaliser ses relations avec l'Etat et le pays, à « blanchir » son patrimoine et à réhabiliter une grande partie de son histoire personnelle. Pour cela, il lui a fallu d'énormes soutiens internes et internationaux, une grande capacité de manœuvre et une bonne dose de courage pour accepter de revenir au pays et accepter un séjour carcéral de 14 mois.
Ses adversaires au sein du clan, la seconde femme de l'ancien président et ses frères, et c'est là le match dans le match et la revanche personnelle de Chiboub sur les Trabelsi, ne peuvent pas se prévaloir d'autant de courage, ni d'autant d'intelligence politique. D'une manière indirecte, Slim Chiboub a fait d'eux les principaux perdants de son accord de conciliation avec l'Etat sous l'égide de l'IVD.
En second plan, les perdants dans cet accord sont à chercher du côté du parti islamiste dont le chef a cherché, pas plus tard que la semaine dernière, à faire de la justice transitionnelle une affaire de transaction entre la réconciliation économique et l'indemnisation des islamistes dans le cadre de l'amnistie générale. L'accord entre Slim Chiboub et l'Etat tunisien sous l'égide de l'IVD montre qu'il est possible de trouver des solutions sans satisfaire systématiquement, l'appétit toujours plus gourmand des alliés islamistes. C'est d'ailleurs ce qui a été signifié aux représentants d'Ennahdha lors de la dernière réunion du collectif des partis de l'alliance au pouvoir.