La question de l'égalité de l'héritage entre les femmes et les hommes est à l'actualité cette semaine. Mehdi Ben Gharbia, député indépendant à l'Assemblée des représentants du peuple, a proposé un texte législatif permettant de dépasser cette inégalité qui persiste depuis bien longtemps. La Tunisie, pays avant-gardiste dans le monde arabo-musulman en matière des droits de la Femme, a pourtant un long chemin à parcourir pour pouvoir prétendre reléguer aux oubliettes une multitude de lois discriminatoires. Le texte de loi proposé par Mehdi Ben Gahrbia n'a pas laissé indifférent. Les détracteurs ont rapidement crié au scandale et, en passant, à l'apostasie. C'est que pour ces réactionnaires purs et durs, la question de l'égalité dans l'héritage entre les deux sexes, toucherait les fondements même de l'Islam, mettant en péril un modèle de société patriarcal immuable. Première à s'opposer à ce projet de loi, la députée islamiste Yamina Zoghlami, indiquant qu'elle ne voyait pas son utilité et sa pertinence, assurant que cette initiative mènera le pays droit au mur : « Il y a eu une campagne contre le Coran et contre les libertés. Ce n'est pas comme s'il s'agissait des premières préoccupations de la femme et des familles tunisiennes ! ». Yamina Zoghlami a déclaré qu'une telle proposition pourrait ouvrir la porte aux extrémistes et leur donner une raison pour sévir : « Il est vrai que nous avons une Constitution et des libertés, mais ce projet de loi pourrait nuire à la Tunisie. Quel est son intérêt ? ». Et c'est autour de Othmane Battikh, mufti de la République de s'y mettre. Selon lui, le Coran est clair là-dessus, ne laissant aucune place à l'interprétation. Le mufti a tranché : la règle de l'héritage ne doit pas changer ! Il assure que cette question n'a pas sa place dans le débat public, arguant que le pays a d'autres problèmes économiques et sociaux. Le ton est donné. On essaie d'entrainer le débat sur le terrain du religieux, alors même que la question qui se pose ici, est celle d'une loi civile qui améliorera justement la condition économique et sociale d'un large pan de la société, à savoir les femmes.
Tant que les femmes ne jouiraient pas de l'égalité successorale, on ne pourra jamais parler d'égalité et de démocratie. Cette discrimination est le miroir de toutes les inégalités qui subsistent dans notre société. Justement, le député Mehdi Ben Gharbia pointe cette sorte de schizophrénie caractérisant notre société. En Tunisie, les ménages dépensent les mêmes sommes, à part égale, pour l'éducation, la santé et les études de leurs enfants, filles et garçons. Pourquoi lors de la succession, la fille devrait hériter moins que son frère ? Alors que la femme participe 50% du PIB du pays, elle reste néanmoins traitée en être de seconde zone, en complémentaire. La Tunisie s'est dotée d'une Constitution, considérée à l'avant-garde du monde musulman. L'article 21 dispose que les citoyens et les citoyennes, sont égaux en droits et devoirs. Qu'ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune. Alors que l'Etat se doit de garantir aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs, leur assurant les conditions d'une vie décente. Quant à l'article 46, il stipule que l'Etat s'engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient et œuvre à les améliorer, garantissant l'égalité des chances entre la femme et l'homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. De bien belles paroles. Serait-ce des paroles dans le vent ! De quelle égalité peut-on se targuer, si les femmes ne le sont pas en termes de droits successorales ? L'Etat se devant d'améliorer les droits acquis de la femme, c'est dans cette optique qu'un groupe de députés de plusieurs formations politiques ont signé la proposition de loi. Le projet présenté par Mehdi Ben Gharbia prévoit dans son article premier que les héritiers, en l'absence d'un accord préalable pour le partage des biens, l'Etat devrait trancher en faveur de l'égalité des parts dans l'héritage.
Un sondage effectué par Sigma Conseil entre le 16 et 19 avril 2016 auprès de 1227 Tunisiens âgés de 18 ans et plus, relève que 58% des Tunisiens considèrent que l'inégalité de l'héritage entre hommes et femmes est une injustice envers la femme puisqu'elle participe aux dépenses du foyer aux côtés de l'homme. On relèvera toutefois que dans ce taux, seulement 48% des hommes le pensent, alors que chez les femmes le taux s'élève à 68%. D'autre part, 47% des Tunisiens soutiennent l'idée d'une loi obligeant l'égalité dans l'héritage alors que 84% soutiennent une loi laissant le choix à l'ascendant. Ils sont 53% à être contre une loi qui obligerait à l'égalité dans l'héritage entre l'homme et la femme. En outre, les sondés sont favorables à 73% à une loi qui laisserait le choix aux frères et sœurs de se mettre d'accord entre eux. On relèvera par ailleurs, que la majorité des Tunisiens interrogés, estime qu'il faudrait une loi qui aidera à améliorer la situation économique de la femme. Il faut dire aussi que 52% des sondés pensent que les dépenses du ménage sont une responsabilité conjointe entre l'homme et la femme.
Mehdi Ben Gharbia et les députés signataires n'entendent pas se placer sur le plan religieux. En effet, en tant qu'élus leur rôle est d'appliquer la Constitution de 2014, consacrant l'égalité entre les genres. « Jusqu'à quand cette schizophrénie va-t-elle se poursuivre, a martelé M. Ben Gharbia, nous disposons d'une Constitution qui garantit l'égalité et ce ne sont pas des paroles en l'air. Il faudra la mettre en application ! ».
Pour les détracteurs du projet de loi, le moment serait mal choisi. Mais ce ne sera jamais le moment ! Pour qu'une société évolue, il est nécessaire qu'il y ait une véritable volonté politique qui tire vers l'avant, et cette initiative s'inscrit dans cette optique. Bousculer les tabous, s'inscrire clairement contre cette forme de discrimination fondée sur le genre, c'est la mission dévolue aux députés portant ce projet de loi. La Tunisie dispose d'une législation avancée en matière d'émancipation des femmes, édictée en 1957 par l'ancien président de la République, Habib Bourguiba. Ces lois n'ont pourtant pas touché à la loi islamique en matière d'héritage, selon laquelle les femmes héritent de la moitié de ce qui revient aux hommes. Il serait temps que cela cesse ! Ce projet de loi ne finira pas de susciter la polémique et le courroux des conservateurs de tous bords. Mais s'il passe ce sera une étape historique dans la lutte continue pour les droits de la femme.