Le dixième congrès du parti Ennahdha se tiendra à la fin de la semaine prochaine ce qui constitue un événement politique important compte tenu de l'importance, du poids et du rôle du mouvement islamiste sur la scène politique nationale. Ce poids est la conséquence d'un effort constant d'organisation entrepris par le mouvement islamiste depuis des années et qui n'a jamais fléchi. Il est surtout la conséquence de l'éparpillement des autres composantes modernistes de la société et de l'implosion de certaines autres, ce qui a laissé le champ libre à Ennahdha pour occuper de larges pans de l'espace public. D'ores et déjà, on connait certaines décisions majeures qui résulteront de ce congrès, notamment la décision de séparer l'action politique de l'action de prédication. Certains diront que c'est là une décision historique qui aura un impact sur l'évolution future du mouvement islamiste et du pays en général. Assurément. Le mouvement islamiste tunisien a toujours maintenu ce système de vases communicants entre la politique et la prédication, le discours politique et le discours religieux, le temporel et l'intemporel. Durant des décennies, il a investi les milliers de lieux de cultes pour disséminer son discours et maintenir ses liens et les raffermir avec ses adeptes et ses militants. Accepter cette séparation entre le politique et la prédication aujourd'hui signifie en principe que les islamistes acceptent enfin d'être uniquement un parti politique et non un parti politique détenteur de l'identité islamiste du pays. Cela signifie que le parti Ennahdha va enfin respecter le principe de la neutralité des lieux de culte.
Deux questions se posent toutefois. La première concerne la capacité réelle du président d'Ennahdha, à contenir les oppositions à une telle mutation. Quand on entend certains dirigeants de premier plan dans le mouvement islamiste, à l'instar du vice-président Abdelfettah Mourou, on est prêt à parier que la partie ne sera pas facile pour Rached Ghannouchi. Mais même si cette résolution de séparation entre la politique et la prédication est adoptée par le prochain congrès, cela fera t-il d'Ennahdha, définitivement et d'une manière irrévocable, un parti civil, moderne et républicain ?
Rien n'est moins sûr malheureusement. Cette annonce politique pourrait en effet masquer une stratégie d'islamisation de la société qui a, peut-être, changé d'outils sans jamais changer d'objectif. En nous penchant de prés sur la motion économique et sociale qui sera présentée au congrès, on s'aperçoit de la réintroduction de deux nouveaux concepts religieux, censés selon Ennahdha, améliorer la situation économique et sociale du pays et des citoyens. Il s'agit en premier lieu du waqf, ce legs intemporel qui n'a historiquement eu aucun impact économique positif et qui a été à la source d'un problème foncier insurmontable parfois jusqu'aujourd'hui. L'Etat tunisien moderne n'a pu, à l'aube de l'indépendance, réorganiser l'économie du pays qu'après abrogation du système du waqf, archaïque et improductif. Réintroduire ce concept comme outil de renouveau économique et social est démagogique et erroné. Il montre surtout qu'Ennahdha est toujours arrimée idéologiquement dans la mouvance de l'islam politique qui a pour seul objectif l'islamisation de la société et l'instauration d'un système politique, économique et social islamisé.
Le second concept religieux réintroduit par Ennahdha dans sa motion économique est sociale est celui du fonds du zakat. Jusque là, les croyants payaient le zakat d'une manière individuelle et anonyme. Créer ce fonds pourrait conduire à contrôler les croyants, leur mettre la pression et encourager une piété forcée notamment dans les rangs des agriculteurs, des commerçants et des petits industriels.
Déjà, Ennahdha et ses alliés d'hier et d'aujourd'hui ont réussi à introduire dans notre système financier le concept des finances islamiques qui, quoi qu'on dise, est un produit financer qui revient plus cher pour les usagers que les autres produits « mécréants ». Mais le plus important dans cette question n'est pas tant l'efficacité et l'efficience économique d'un tel ou autre concept, que la référence idéologique qui l'accompagne.