Les réactions à la nomination à la tête du gouvernement de Youssef Chahed sont globalement favorables, 24 heures après l'annonce officielle. Si son plus grand atout demeure l'âge et une certaine virginité politique, Youssef Chahed a 100 jours pour entamer un nombre infini de chantiers, afin de pouvoir continuer à surfer sur la bonne image dont il bénéficie.
Nonobstant le dénigrement et les intox classiques de trois partis politiques, autoproclamés révolutionnaires, la nomination de Youssef Chahed à la tête du gouvernement est dans son ensemble bien acceptée par la scène politique tunisienne. Il faudrait en effet être fou ou de forte mauvaise foi pour trouver à redire sur la nomination d'un quadra à la tête du gouvernement d'un pays, longtemps critiqué pour ne pas avoir placé des jeunes à des postes élevés de l'Etat. Certainement, l'argument de la jeunesse seul ne pèse pas lourd pour évaluer la qualité d'un titulaire à un tel poste, mais il a le mérite d'envoyer un signal positif pour les scènes nationale et internationale. Maintenant, le plus dur reste à faire, il s'agit de convaincre.
Le premier exercice difficile du nouveau chef consiste inévitablement dans le choix de son équipe. Comme dans tout choix, il risque de faire plus de mécontents que de satisfaits. Au vu du nombre de candidatures et de propositions de candidatures qui affluent depuis 24 heures, les éconduits devraient être nombreux. Et ces derniers ne vont pas se priver de le dénigrer quand ils vont être écartés. D'après les informations en notre possession, ou plutôt des bruits de couloir sérieux qui circulent, les ¾ du gouvernement de Habib Essid vont être maintenus par son successeur. On parle des départs du ministre des Affaires religieuses Mohamed Khalil (dont la prestation était des plus dramatiques), du ministre de la Défense, Farhat Horchani, du ministre de l'Intérieur, Hédi Mejdoub et du ministre des affaires sociales Mahmoud Ben Romdhane et probablement du ministre de la Santé, Said Aïdi. Ce dernier fait les frais de son bras de fer courageux avec les syndicats, mais également pour avoir fait face à plusieurs lobbys puissants du monde médical, paramédical, pharmaceutique et parapharmaceutique. Il y a même un chef de parti dont l'activité principale demeure la sponsorisation de pages FB spécialisées dans le dénigrement du ministre de la Santé.
D'autres ministres devraient changer de portefeuille, à l'instar de Samira Meraï, ministre de la Femme qui pourrait être remplacée par Salma Elloumi, ministre du Tourisme et de Slim Chaker, ministre des Finances qui pourrait rejoindre la Grande Muette. Pour les entrants, plusieurs noms circulent dont notamment les leaders politiques Ahmed Néjib Chebbi et Samir Taïeb, deux grands militants et patriotes, aux compétences certaines, mais exclus par les urnes. Samir Taïeb a cependant préféré rejeter l'offre arguant du fait que Youssef Chahed est membre de Nidaa Tounes et n'est donc pas indépendant. Pour sa part, Ahmed Néjib Chebbi ne devrait pas rejeter la proposition d'un grand ministère de Développement. En la matière, l'application de son programme électoral devrait vraiment faire sortir les régions et le pays du gouffre. Le nom de l'ancien ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi revient de nouveau et il est question qu'il aille à l'Intérieur. Marouane El Abassi devrait par ailleurs occuper un grand ministère chargé de l'Economie et des Finances. Cet économiste de la Banque mondiale et enseignant dans plusieurs universités prestigieuses, de Tokyo à New York, serait le candidat idoine pour ce portefeuille. A noter qu'il a été reçu, aujourd'hui, par Youssef Chahed à Dar Dhiafa, ce qui tend à accréditer cette thèse. Deux autres noms circulent, les candidats de l'UPL de Slim Riahi, à savoir Mahmoud Baroudi pressenti à la Jeunesse et le Sport et Samira Chaouachi pressentie (tout comme Selma Rekik) pour le portefeuille de la Femme.
Si ce casting aboutit, il y a de fortes chances pour que Youssef Chahed puisse mettre en application rapidement le plan de route qui lui a été dressé et de continuer ainsi à surfer sur la vague de sympathie. Cette sympathie pourra-t-elle l'aider pour autant à faire passer la pilule des véritables décisions douloureuses qu'il doit prendre ? Il ne faut en effet pas se leurrer, le mal profond de la Tunisie est d'ordre structurel et non conjoncturel. Résoudre réellement les problèmes de la Tunisie revient quasiment à dire à appliquer les réformes recommandées par le Fonds Monétaire International (voir notre article à ce sujet). La feuille de route établie par les parties participant au dialogue national n'est qu'un éventail politique à ce qui doit être réellement entrepris dans le pays. Appliquer le véritable remède (les recommandations du FMI) suppose une sérieuse confrontation avec les syndicats et un pan de l'opposition et de la société civile. Pour pouvoir bien affronter cette bataille, Youssef Chahed se doit d'être un fin tacticien en politique. Chose qu'il n'a pas, au vu de son âge. La période Ben Ali a en effet empêché totalement l'éclosion de toute une génération d'hommes politiques, ce qui fait que la scène politique d'aujourd'hui soit quasiment dépourvue de quadragénaires et même de quinquagénaires. Cette absence d'expérience de politique politicienne ne devrait cependant pas être un obstacle majeur pour Youssef Chahed, puisqu'il devrait bénéficier à tout moment de l'expérience de son mentor Béji Caïd Essebsi et, sans aucun doute, de celle d'une équipe de conseillers chevronnés dans son cabinet. Youssef Chahed est donc appelé à être à l'écoute du locataire du palais de Carthage et des conseillers qu'il nommera (ou plutôt qu'on nommera à ses côtés) pour pouvoir réussir son chemin. Si le bruits de couloir se confirment, ce sera cette fusion de la jeunesse dynamique qui peut et de la vieillesse expérimentée qui sait qui assurera l'éventuel succès du nouveau chef du gouvernement.