Le 21 août 2016, Khalil Karoui, fils de Nabil Karoui, dirigeant à Nidaa Tounes et de Salwa Smaoui, décède dans un accident de voiture à Tunis. Le soir même, Farouk Ben Zina, ancien chef de bureau et responsable de la communication de Tunisair, décède à son tour, sur la route Tunis-Sfax, où il devait se rendre pour assister au premier vol de pèlerinage de l'année 2016. Deux familles endeuillées. Un enfant fauché, comme tant d'autres, à la fleur de l'âge, un père qui laisse, parmi d'autres, des orphelins. Nos routes sont le terrain de tous les dangers, et si nous en sommes en partie responsables, c'est à l'Etat que revient la responsabilité de nous inculquer, de force s'il le faut, cette conscience salvatrice.
S'il est une chose qui ne régresse pas à vue d'œil en Tunisie, c'est bien le nombre de morts sur les voies publiques. Les accidents de la route font chaque année de nombreuses victimes, de trop. 1407 morts en 2015, 1565 en 2014 et 1505 en 2013, 1511 accidents ont été dénombrés en 2016 contre 1519 en 2015, indique le ministère de l'Intérieur. Des chiffres alarmants, mais surtout ô combien évitables. Ailleurs, dans les pays démocratiques, les accidents de la route font partie des thèmes de campagne privilégiés des candidats aux élections. En Tunisie, aucun homme politique n'en parle, alors que les solutions existent et que le thème est porteur en voix. Prendre la voiture en Tunisie est devenue une véritable aventure pour l'autochtone et un cauchemar pour le visiteur. Griller un feu rouge, ne pas serrer à droite sur l'autoroute, ne pas respecter les priorités, emprunter les routes à sens interdits, dépasser les files d'attente des voitures par la droite ou par la gauche pour faire ensuite des queues de poissons sont devenus un véritable sport national.
Il y a dix ans, dans l'Algérie voisine, la situation était pareille. Ils ont fini par mettre le holà avec une application stricte du code de la route. Des agents des forces de l'ordre dans tous les coins de rue et des verbalisations sévères à outrance pour chaque infraction ont suffi pour que les Algériens roulent, désormais, comme des Scandinaves. La solution est visiblement simple et se résume en deux mots : appliquer la loi ! En Tunisie, on constate un certain laxisme, parfois apprécié d'ailleurs par les chauffards, des agents des forces de l'ordre, face à des infractions plus ou moins graves. Les automobilistes commettent, souvent, des incartades sans en être inquiétés, ou peut être alors juste illégalement pénalisés moyennant une « amende » directe. Il est de même courant d'assister à des spectacles, un samedi soir, ou un jour d'aïd de conducteurs saouls zigzaguant entre les voitures. Ces comportements et ces faits dénotent de deux choses, dont l'une est la conséquence directe de l'autre : les forces de l'ordre n'appliquent pas drastiquement la loi et les Tunisiens sont inconscients et certains sont, il faut l'avouer, peu civilisés.
Il y a en Tunisie 1.2 millions de véhicules qui empreintent les routes tous les jours. Si les agents de la circulation étaient postés partout, si chaque infraction était relevée, comme il se doit, et chèrement facturée sur celui qui la commet, le calcul serait simple à faire. Si chaque véhicule rapportait annuellement à la caisse de l'Etat ne serait ce que 100dt, cela se chiffrerait à 120 millions de dinars qu'il serait possible d'utiliser pour rénover les routes et en commissions accordées aux policiers, qui ne seraient plus tentés de les demander directement chez les chauffards. Au lieu de cela, tout encourage le Tunisien à tenter de survivre, par tous les moyens, dans cette jungle que sont nos routes, au péril de sa vie et de celle des autres. Chaque Tunisien au volant est tenté de devenir un criminel car chaque feu grillé, chaque dépassement irrégulier, chaque excès de vitesse, est un crime, commis en son âme et conscience, car impuni.
Khalil Karoui, Farouk Ben Zina et nombreux autres qu'ils soient proches ou qu'on ne connait pas, ne seront plus que des noms gravés sur cette stèle morbide de l'incivisme et de l'absence d'une volonté politique, la plus noble de toutes, celle de protéger les citoyens.