« Un politicien est comme un boxeur. S'il ne sait pas recevoir des coups, il n'a qu'à changer de métier ». Telle a été la réponse de Néji Jelloul à la campagne syndicalo-politique le visant depuis plusieurs mois. Une campagne qui a pris de l'ampleur ces derniers jours après la récente manifestation des enseignants tenue mercredi 30 novembre. Si les revendications peuvent être sujet à débat, les slogans brandis, eux, sont difficilement compréhensibles. « Un politicien est comme un boxeur. S'il ne sait pas recevoir des coups, il n'a qu'à changer de métier » avait déclaré Néji Jelloul au micro de Shems Fm, commentant la campagne menée contre lui par les syndicalistes. Une campagne « politique », la qualifie-t-il à demi mots sans vouloir trop commenter les récentes déclarations des syndicalistes. « Le droit à la grève et à la protestation est un acquis constitutionnel dit-il, ceci est tout à fait naturel ». Soit ! Force est de constater cependant que Néji Jelloul est dans le collimateur des syndicalistes et que la campagne prend de plus en plus des tournants politiques.
« Qu'est-ce que vous faites encore au ministère ? » avait demandé le député UPL Taoufik Jomni, au Parlement ce matin, à l'adresse de Néji Jelloul. Le député, s'exprimant en plénière, accuse le ministre d'avoir « pour seul souci, d'embellir [son] image dans les médias […] vous avez été désigné et non pas élu. Il ne faut pas manipuler l'opinion publique ». « Vous n'arrêtez pas de provoquer les enseignants », lui dit-il avant d'être interrompu par un Abdelafattah Mourou en colère. Si les critiques contre Néji Jelloul n'ont pas cessé depuis sa prise de fonction, elles ont atteint un niveau différent ces jours-ci avec l'appel à son limogeage. Une mise à mort politique dont les syndicalistes ont été les instigateurs. On accuse aujourd'hui Néji Jelloul de ne pas prendre ses décisions en concertation avec les structures syndicales et de balayer d'une main les revendications du corps enseignant. Des revendications qui ont réussi à attiser la colère des enseignants et donner une assise « légitime » à la manifestation. Par ailleurs, on l'accuse aussi de tenir une communication « agressive » et « stigmatisante » contre le corps enseignant. Mais on l'accuse, avant et surtout, d'avoir été au départ du côté des syndicalistes, ayant été lui-même un ancien enseignant, avant d'avoir fini par leur « tourner le dos ».
Le 30 novembre, coïncidant avec la deuxième journée de la conférence de l'Investissement Tunisia 2020, les mouvements protestataires ont été mis en stand by pour « faire bonne figure » devant les investisseurs étrangers venus assister à l'événement. Seuls les syndicalistes de l'enseignement ont décidé de battre le pavé à l'avenue Habib Bourguiba. Cette fois-ci, les slogans syndicalistes et les demandes matérielles ont fait place à un appel simple à destituer Néji Jelloul de son poste de ministre. C'est d'ailleurs ce qu'explique Lassâad Yaâcoubi, secrétaire général de l'Enseignement secondaire. Invité, ce jour-là sur Express Fm, il a affirmé que « aucune requête matérielle n'était demandée lors de la manifestation du 30 novembre ». L'appel au départ du ministre n'est pas une requête syndicale, explique-t-il, mais « une revendication de l'ensemble des professeurs et enseignants ». « La limite entre les personnes et les décisions n'est pas permise », explique-t-il. Pointant du doigt « une humiliation des professeurs et enseignants », et critiquant un niveau de langage [du ministre] qui ramène le débat « sur un ring de boxe » lorsqu'il a été questionné sur les slogans dégradants brandis par les enseignants lors de ladite manifestation. « 99% du langage des professeurs a été de très haut niveau », explique le syndicaliste. Des slogans qu'il juge « dignes des enseignants ». Et pourtant, dans une autre interview accordée à Shems Fm, dans la journée, le même Lassaâd Yaâcoubi reconnait que « les slogans scandés hier par des enseignants, étaient offensants. Ces slogans ne sont pas dignes de nous […] les slogans scandés par certains enseignants ne représentent ni le syndicat, ni la marche qui a été organisée, ni les enseignants. Ce sont des exceptions et nous allons publier un communiqué à ce sujet », a-t-il dit. Force est de reconnaitre que la bataille syndicat-gouvernement échappe à tout contrôle. « Quand nous nous retrouvons face à un grand rassemblement, il devient impossible de tout contrôler et de gérer les dépassements », reconnait d'ailleurs le syndicaliste à la même source.
Des slogans qui ont aussi suscité l'indignation dans leur propre camp, à savoir celui des enseignants. « Pour la première fois de ma vie, je ressens de la tristesse en tant que professeur et de la honte en tant que syndicaliste. Je ressens également du déshonneur » a déclaré le professeur, syndicaliste et dirigeant au sein du parti Mouvement du projet pour la Tunisie, Mehdi Abdeljaoued sur le plateau de Myriam Belkadhi mercredi 30 novembre commentant le sit-in des enseignants. Mehdi Abdeljaoued s'est interrogé : « qu'est ce qui prouve que les personnes contestataires qui se sont réunies hier devant le ministère de l'Education sont des enseignants et des professeurs ? » La question mérite d'être pausée. En effet, en prévision de ce mouvement de protestation, d'importants moyens ont été mis à la disposition des manifestants et certains syndicalistes n'ont pas hésité à s'improviser organisateurs d'excursions. Pour garantir une grande mobilisation, des bus ont été loués pour transporter les gens à Tunis, depuis Melloulech et Chebba, et les places étaient vendues à 18DT par personne. De quoi s'interroger, également, sur la provenance des moyens déployés pour cette mobilisation. Un sujet sur lequel le syndicat préfère ne pas se prononcer.
La politisation des mouvements syndicaux est un fait que les deux parties reconnaissent. Autant le gouvernement que le syndicat lui-même. Parfois, les élèves eux-mêmes se trouvent au cœur de cette manipulation politique, étant désorganisés et facilement manipulables. Mais au-delà de la politisation de l'affaire et de la manipulation des mouvements syndicaux, il faut avouer que si certaines des revendications des élèves et enseignants, sont légitimes, elles finiront par se noyer sous un flot d'insultes et de slogans non liés à l'affaire. De l'autre côté, le syndicat, en recourant bien trop souvent à la surenchère et aux bras de fer, pourrait rapidement bruler toutes ses cartes et ne plus avoir quoi présenter sur la table des négociations. Il demeure donc inutile d'opposer de véritables arguments à une guerre qu'on a sortie de son contexte pour ramener à un niveau personnel et politique. Une guerre qu'on dispute dans un ring de boxe. Il s'agit là, d'une des nouvelles manifestations de la rupture consommée entre le syndicat et le gouvernement.