Hakim Ben Hammouda, ancien ministre de l'Economie et des Finances sous le gouvernement Jomâa, vient de publier un nouveau livre, paru chez la maison d'édition Cérès. Un livre de 241 pages qui relate son expérience au sein de cette équipe technocrate ayant dirigé la Tunisie au cours de l'une de ses périodes les plus critiques. De son premier contact avec le chef du gouvernement désigné, de sa vision pour cette Tunisie en pleine mutation, des crises qui ont jalonné le parcours du gouvernement, en passant par les multitudes de défis à relever, l'ancien ministre raconte son passage à la tête d'un département clé dans cette démocratie naissance, qui faisait face alors, à tant d'incertitudes.
« Chroniques d'un ministre de transition »*, se veut être une réflexion sans concession sur cette expérience de ministre de l'Economie et des Finances dans un contexte, politique, sécuritaire, économique et social, explosif. Exit la Troïka, menée par le mouvement islamiste Ennahdha, l'avènement du gouvernement Jomâa a marqué un nouveau départ pour la Tunisie. Issue du fameux Dialogue national conduit par le quartet, cette équipe est investie d'une mission : mener le pays à bon port jusqu'aux élections législatives et présidentielle de 2014.
L'œuvre se veut également une contribution à l'écriture de l'histoire immédiate de la Tunisie. L'auteur aspire à donner sa part de vérité : « Ce travail contribue doublement à documenter notre histoire. D'un côté, il permet d'éclairer des moments importants et certaines facettes parfois cachées de cette histoire. De l'autre, ces récits fournissent la matière nécessaire aux historiens à venir ». Il s'agit donc, pour Hakim Ben Hammouda, outre de dresser le bilan, les acquis et les limites de ce gouvernement de transition, de donner un éclairage interne à cette expérience du pouvoir, cette expérience humaine « avec ses moments de joies, mais également d'inquiétudes et de difficultés, dans une Tunisie qui vit un moment extraordinaire de son histoire ».
Etant l'un des premiers à rejoindre le gouvernement technocrate début janvier 2013, M. Ben Hammouda se pose en témoin privilégié des péripéties et des concertations constituant la genèse de cette équipe. L'auteur nous transmet l'effervescence de cette étape, décisive, l'ambiance chargée de tensions. Ainsi, un certain samedi 25 janvier 2013, Mehdi Jomâa devait déposer la liste de son gouvernement. Il reçoit, le même jour, le quartet du dialogue national et on apprend que les échanges ont été vifs et la tension palpable sur les visages. L'ancien ministre cite Hatem Atallah qui sera le futur conseiller diplomatique de Mehdi Jomâa en ces termes : « Il y a de la nervosité dans l'air ». Dans la soirée, le chef du gouvernement désigné se rend à Carthage pour rencontrer Moncef Marzouki et lui présenter la liste de son équipe. La réunion ne durera que quelques minutes et l'annonce de la composition sera reportée. Hakim Ben Hammouda nous révèle avec minutie les coulisses et le climat de cette soirée et des journées suivantes qui ont abouti le 26 janvier à l'annonce de la composition du gouvernement et le 28 au passage de l'équipe devant l'Assemblée et finalement au vote de confiance.
L'ancien ministre ne se contente pas de rapporter les coulisses du pouvoir, mais donne également une portée humaine à son œuvre, en permettant au lecteur d'entrapercevoir, l'ambiance qui régnait au sein de cette nouvelle équipe. Des anecdotes émaillent ainsi le livre, ne serait-ce que celle où il raconte cette équipe de « ministres footballeurs » qui jouait une fois par semaine en soirée. M. Ben Hammouda revient avec humour sur les talents footballistiques de ses collègues, évoquant entre autres, la classe d'un Mehdi Jomaâ ou la technique déroutante d'un Mourad Sakli. Il dépeint ainsi une équipe soudée et solidaire.
Dans la peau de ministre de l'Economie et des Finances, en période de crise, Hakim Ben Hammouda rappelle le travail colossal qu'il devait abattre et sa volonté, avec toute l'équipe l'entourant, à l'accomplir au mieux. Non sans émotion, il déclare : « Cette courte expérience à la tête d'un ministère majeur, en période de transition et de difficultés économiques, a été d'une grande richesse. Elle m'a donné la chance de servir mon pays. Elle m'a offert la possibilité de mieux connaitre la réalité économique et l'ampleur des défis… ».
A travers ce livre, le lecteur revit cette époque, pas si lointaine, chargée d'espoirs et d'appréhensions. Une époque dont l'issue définira les contours de la politique future de la Tunisie et impactera dans la durée la société tunisienne. Témoin privilégié donc, Hakim Ben Hammouda nous emmène dans les arcanes du pouvoir et de ses vicissitudes. Comment l'équipe Jomâa a géré un pays laissé au bord du précipice ? Faire face aux contestations sociales, à la menace terroriste de plus en plus persistante, à une économie qui périclite, à des réformes plus que nécessaires… En l'expert en économie qu'il est, Hakim Ben Hammouda dresse un diagnostic sans équivoque de la situation dans le pays et apporte sa vision. L'un des problèmes qui l'avait le plus préoccupé lors de son passage à la tête du département de l'Economie et des Finances, était l'éventuel défaut de payement de la Tunisie : « Le cauchemar à éviter tout au long de cette année ». M. Ben Hammouda révèle que par souci de maintenir une atmosphère d'optimisme, il a dû communiquer le moins possible sur ce risque. « A chaque fois que la question m'a été posée sur la capacité de l'Etat à payer les salaires en fin de mois, et à honorer ses engagements, je tenais un discours rassurant ». Ceci étant dit, la question constituait un important sujet de préoccupation pour le gouvernement, assure l'ancien ministre. Une situation tellement alarmante que Mehdi Jomâa a décidé d'en informer Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar, lors d'un petit-déjeuner à Carthage, la veille de son départ aux Etats-Unis. Le lendemain, il en informe Houcine Abassi, Wided Bouchamaoui, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, alors président de Nidaa Tounes. « C'était une vraie course contre la montre que nous entamions tous les mois, la peur au ventre, et tout au long de l'année 2014 », a-t-il confessé. Finalement, cette situation n'est rentrée dans l'ordre que « le 31 décembre 2014 vers 19 heures, le président du gouvernement, le gouverneur de la Banque Centrale, et moi-même avons quitté nos bureaux en laissant près de 400 millions de dinars dans les comptes du Trésor ». Pour Hakim Ben Hammouda, cette mission accomplie, dont il n'a pas parlé, constitue, avec l'organisation des élections et la lutte contre le terrorisme, un beau résultat à mettre à l'actif du gouvernement technocrate.
L'auteur de Chroniques d'un ministre de transition, pose un regard à la fois lucide et critique sur cette année de transition dans un pays en pleine tourmente. Comme il le souligne : « Les transitions politiques ne sont pas de longs fleuves tranquilles ». Il qualifie ainsi le plan d'action suivi par le gouvernement Jomâa de « programme de l'ampleur de l'œuvre de Sisyphe, et qui exigeait probablement un haut degré d'inconscience et une grande dose d'engagement pour accomplir cette tâche en moins d'une année ». Relaté ainsi, par une personne qui était aux premières loges, ce témoignage d'un passé si proche, mais qui parait si lointain au vu de tout ce qui s'est déroulé depuis dans le pays, nous fait revivre cette effervescence qu'a connue la Tunisie durant toutes les étapes qui ont jalonné sa transition. Après la transition politique, on parle aujourd'hui de celle économique, que le pays se doit de réussir, au risque de mettre en péril tout ce qui a été bâti parfois dans l'euphorie, souvent dans la tourmente…
* Chroniques d'un ministre de transition, Tunis, Cérès Editions, 2016.