De mystérieux assassins, des armes munies de silencieux, un corps criblé de balles dans une voiture en plein jour dans la ville de Sfax. Un Tunisien abattu, présenté comme ingénieur en aéronautique qui aurait eu des connexions avec la branche armée du Hamas. Il n'en fallait pas moins pour attiser la polémique et susciter tous les scénarios possibles et imaginables. L'arrivée en Tunisie d'un journaliste israélien et son reportage depuis la scène de crime ont rajouté une couche à ce climat de paranoïa qui s'est emparé des Tunisiens. C'est le tollé ! Comment cet Israélien a pu fouler le sol tunisien ? Comment est-il parvenu à se déplacer sur le territoire, à filmer, sans pour autant être inquiété ? Dans les faits, pourtant, rien n'interdit à un individu portant la nationalité de l'entité sioniste, de venir en Tunisie.
L'affaire n'en finit pas de prendre de l'ampleur. Depuis jeudi dernier, jour de l'assassinat de Mohamed Zouari, l'opinion publique tunisienne vit dans l'effervescence et s'alimente des théories plausibles et autres moins plausibles, afin d'attiser sa curiosité et percer les secrets de cet assassinat aux relents sulfureux. Les amateurs des théories du complot s'en délectent. Jeudi 15 décembre, donc, un crime odieux est commis. Très vite, la branche armée du Hamas, les Brigades Al-Qassam, présentent Zouari comme étant l'un des leurs, accusant le Mossad d'être derrière le meurtre. Un scénario évoqué en premier par Borhen Bsaies et repris par certains médias israéliens.
Dimanche 18 décembre, les réseaux sociaux tunisiens et des médias de la place partagent massivement une information faisant état de la présence d'un journaliste israélien qui enregistre un reportage en Tunisie à propos du meurtre de Zouari. Les photos de cet individu sont partagées ainsi que les captures d'écran de son reportage, effectué en partie devant le siège du ministère de l'intérieur. On aura droit à quelques détails sur cette affaire, lundi 19, au cours de la conférence de presse du ministre de l'Intérieur. Hédi Majdoub informe qu'il s'appelle Moav Vardi et qu'il n'est pas un journaliste accrédité en Tunisie. Cette personne n'a soumis aucune demande d'autorisation pour exercer sur le sol tunisien, selon lui. En réalité, le prénommé Moav Vardi, reporter de la Chaîne 10, s'est présenté avec son passeport allemand comme étant écrivain. Il a atterri depuis Rome à Tunis au matin du 17 décembre. Dès son arrivée, il s'est rendu à Sfax, et ce avec l'aide de Tunisiens dans une voiture au nom de la femme de l'un d'eux. Du lieu de la scène de crime, il avait accosté des citoyens en anglais, tantôt se présentant comme un employé de la BBC et tantôt comme un reporter de la chaîne allemande ZDF. Il parlait en hébreu quand il effectuait ses enregistrements. Il est reparti à Tunis dans la soirée du 17 décembre et a réservé, sur internet, une chambre dans un hôtel du centre de la capitale, qu'il a quittée le lendemain à 7h00 du matin. Le concerné a également pris une autre vidéo devant le ministère à Tunis et n'avait qu'une simple caméra que n'importe qui pouvait avoir. Pas de matériel professionnel donc. Hédi Majdoub avait annoncé, lors de cette conférence, qu'une enquête est en cours pour déterminer s'il y a eu la moindre défaillance de la part des services de sécurité tunisiens quant à la présence dudit journaliste en Tunisie.
Dans la foulée, le Syndicat national des journalistes tunisiens a appelé les autorités à prendre toutes les mesures de prudence dans le traitement avec les médias israéliens, « qui se cachent sous le couvert de médias de différentes nationalités ». On condamne l'absence de veille sécuritaire et on exprime son choc après qu'une chaîne israélienne a pu diffuser des reportages depuis la Tunisie, alors qu'il est nécessaire qu'il y ait une autorisation préalable. On appelle à déterminer la responsabilité de toute partie médiatique qui aurait participé à la création du contenu diffusé par la Chaîne 10. Sauf que dans ce cas de figure, Moav Vardi, ne s'est en aucun cas déclaré journaliste et s'est déplacé en Tunisie sous couvert de sa qualité d'écrivain de nationalité allemande. Faut-il dans ce cas contrôler toutes les personnes étrangères qui arrivent en Tunisie? D'aucuns diront que c'est le travail des renseignements. Un travail qui n'a pas été fait. La Tunisie est en guerre avec Israël, clameront plus d'un. Il n'en est rien diront d'autres, alors qu'aucune loi n'interdit la venue de personnes portant cette nationalité, que des échanges commerciaux, touristiques ou dédiés à la recherches scientifique sont courants entre la Tunisie et l'entité sioniste. N'oublions pas non plus que la plupart des concitoyens de Vardi sont binationaux.
La situation s'envenime encore lorsque l'ancien secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Lazhar Akremi assure que ladite chaîne israélienne est autorisée en Tunisie depuis 2013. C'est à travers une boite de production étrangère, installée en Tunisie que la Chaîne 10 peut exercer en Tunisie. A Business News (voir notre article à ce sujet), nous avons relayé cette déclaration de Akremi qui révèle avoir intenté un procès contre cette boite. Procès gagné en première instance et perdu en appel.
D'après nos sources, les autorités, sous la Troïka, dirigée par le parti islamiste Ennahdha ont autorisé cette boite de production à exercer sur le sol tunisien. Une boite qui traite directement avec plusieurs chaînes israéliennes et qui sous-traite les contenus, notamment auprès de journalistes tunisiens, en connaissance de cause ou pas. D'ailleurs, à travers cette méthode ou par la présence de journalistes israéliens, plusieurs événements qui se sont passés en Tunisie ont été couverts par ces chaînes, dont les dernières élections législatives et présidentielle. Nous avons choisi de taire le nom de la société qui traite avec la Chaîne 10. Ceci étant, et au vu de la mondialisation des produits médiatiques et l'ouverture du marché international, il n'est pas étonnant, toujours d'après notre source, que des chaînes israéliennes puissent opérer en Tunisie.
La Haica n'a pas tardé à réagir demandant l'arrêt immédiat de l'activité des médias étrangers ne détenant pas d'autorisation sur le territoire national, relevant « la dangerosité de cette situation pour le citoyen et pour le pays ». L'instance avait tenu à rappeler qu'à maintes reprises, il a été demandé d'encadrer ces entités étrangères actives en Tunisie et qui jusqu'à aujourd'hui exercent sans aucun contrôle. Une requête qui est restée, jusque-là, sans réponse. Dans la soirée de mardi 20 décembre, la présidence du gouvernement annonce la mise en place du Centre national de renseignement. Entre autre mesures, il a été décidé d'organiser les activités des sociétés de production audiovisuelle, qui produisent des émissions au profit de chaînes étrangères.
Pendant ce temps, les Tunisiens n'arrêtent pas de théoriser sur la présence tant contestée de ce journaliste. Serait-il un espion à la solde d'Israël se demandent-ils. Il serait venu pour récolter des informations délicates, disent d'autres. Toute cette aura de suspicion a trouvé son écho chez la classe politique, où certains partis ont appelé à la criminalisation de la normalisation avec l'entité sioniste. Chacun y va de son laïus, s'indignant de la présence d'Israéliens en terre tunisienne, faisant preuve, comme pour Ennahdha d'une certaine forme de schizophrénie. On fait fi de la polémique qui a éclaté en 2013, à l'Assemblée nationale constituante, alors que la Troïka était au pouvoir, autour de la proposition d'un article qui criminalise la normalisation dans la Constitution. Une polémique qui s'est soldée par le rejet de cet article…