L'actualité de la semaine dernière n'était pas seulement la recomposition du paysage politique tunisien avec la tenue du congrès d'Afek et les réunions constitutive d'Al Badil Ettounsi et du Front du Salut et du Progrès. Elle a aussi, fort malheureusement, été marquée par des annonces pour le moins saugrenues. Une thèse qui allait être soutenue prétendant que la terre est plate et une boite de nuit fermée car un DJ avait mixé un appel à la prière avec de la musique électro. Tout cela est palpitant en effet… Cette première nouvelle a rapidement fait réagir l'ensemble de la classe universitaire qui s'est indignée contre une telle aberration. Mais faut-il appeler aberration la volonté d'une étudiante de bousculer les principes préétablis et de réfléchir par elle-même à de nouvelles théories ? Evidemment que oui, lorsqu'on balaye des théories vieilles de plusieurs siècles, étudiées, vérifiées et expliquées avec des démonstrations qu'un enfant de 4 ans serait capable de comprendre, pour en sortir d'autres sans aucun fondement logique. Evidemment que oui lorsque les théories auxquelles on réfléchit ne sont pas à la hauteur des thèses réfutées, lorsque les arguments d'une thèse qui se veut scientifique se basent sur les allégations religieuses non vérifiées. Etudier la science pour ensuite en bousculer tous les fondamentaux, et ériger la religion comme seule source de vérité, il y a de quoi se montrer perplexe. Est-ce une absurdité monumentale ? Oui, incontestablement ! Au-delà de ce qu'une telle thèse peut représenter en matière de recherche scientifique, de réputation d'universités tunisiennes respectées et de l'avenir de l'enseignement en général, cette nouvelle aurait pu rester anecdotique si l'encadreur même de cette thèse, celui qui en suit les travaux et les valide, n'a pas été un député du peuple. Un élu, qui a été chargé par le citoyen tunisien d'écrire la Constitution et voter les lois. Rien que ça !
Pourquoi s'étonner que de telles balivernes soient soutenues par un député lorsque d'autres élus, assis à côté de lui, appellent au lynchage sur les places publiques ou demandent que des mains soient coupées en citant des versets du Coran. Pourquoi s'étonner lorsqu'un ancien président de la République, qui après s'être exilé en France pendant des années, vient affirmer aujourd'hui que « la langue arabe et l'Islam sont la colonne vertébrale du peuple et de la nation » ? Sommes-nous à l'image de nos politiques, fourbes, adeptes de la langue de bois et à des années-lumière de l'essentiel ? Ou est-ce nos politiques qui sont à notre image, hypocrites, schizophrènes et ne sachant pas sur quel pied danser ?
Des questions aussi existentielles se posent, souvent, dans un pays où l'hypocrisie ambiante règne en maitre absolu. Celle qui veut que le Coran soit récité dans les boutiques et les voitures de taxi, en guise de « baraka », pendant que la vie prend son cours normalement, alors qu'un appel à la prière dans une boite de nuit suscite une indignation folle. Qu'un appel à la prière puisse avoir heurté la foi de certains croyants, cela est parfaitement compréhensible et même respectable. Mais qu'un gouverneur s'empresse, montre en main, de fermer la boite de nuit incriminée et de donner raison à ceux qui justifient leurs appels au meurtre et à la violence, est-ce justifiable ? Certainement que non. Dans un pays où l'appel à la prière vous atteint et vous transcende, partout où vous êtes. Que vous soyez à l'intérieur d'une mosquée, en train de prier, ou à un kilomètre de là, en train de siroter une bière dans un bar. Faut-il poser sa bière et arrêter de boire, le temps que l'appel à la prière soit terminé ? Faut-il quitter le bar en courant sous peine d'être maudit à jamais ? Ou faut-il continuer sa vie comme si de rien n'était ? Ces questions vous paraissent d'une absurdité monumentale ? Elles le sont, indéniablement. Est-ce parce que l'alcool qui y coule à flot, les tenues légères et les accolades spontanées, doivent se faire loin de tout rappel religieux pouvant toucher la conscience vacillante de musulmans adeptes d'un islam modéré, bien de chez nous ? Est-ce le DJ qui a eu tort de lever l'appel à la prière ? Ou est-ce tous les fêtards qui, en l'écoutant, ont été confrontés à leur propre schizophrénie ?
Il ne s'agit nullement de religion, mais de culture. On nous a appris que l'appel à la prière devait être sacré et respecté, qu'on devait se taire lorsqu'on entend le son du muezzin. Tout comme on nous a appris qu'il était « haram » d'accompagner sa bière avec une viande non halal, ou pire encore, avec de la viande de porc. Tout comme on nous a appris que la prière pouvait attendre mais que jeûner le Ramadan était obligatoire. Il ne faut pas se poser de questions, il faut faire comme on nous a appris, en parfait petits Tunisiens modèles, adeptes d'un islam modéré, celui de nos ancêtres.
Il ne faut pas s'étonner que de telles anecdotes, d'une absurdité monumentale, provoquent des polémiques à n'en plus finir lorsqu'un ancien président de la République préfère y réagir, montre en main, en appelant tous les internautes à lever l'appel à la prière sur leurs profils Facebook. Il a bien raison, tout ceci est d'une utilité incontestable…