On dit soubent que "si on veut enterrer une affaire, on lui crée une commission d'enquête". Cela a été s'est avéré juste pour les incidents du 9 avril 2012 à l'Avenue Habib Bourguiba, la tragédie des tirs à la chevrotine à Siliana, les agressions perpétrées contre le siège et les dirigeants de l'UGTT à la Place Mohamed Ali, les révélations sur les présumés démêlés de certains politiciens dans le scandale financier de Panama papers, etc. Une fois n'est pas coûtume, la création de la Commission d'enquête sur les réseaux de voyage des jeunes vers les zones de tension et de conflits, semblent avoir fait changer les choses dans le bon sens, malgré les tentatives des uns et des autres de lui mettre les bâtons dans les roues. Cela a commencé avec les « menaces » qu'aurait subie la présidente de la Commission, Leïla Chettaoui. L'élue a fait l'objet d'une vaste campagne de dénigrement suite aux enregistrements fuités d'une réunion interne de Nidaa Tounes avec des déclarations faites par des députés du même parti. Des propos laissant entendre qu'elle doit être déchargée de la présidence de ladite commission. D'autres partis, notamment d'Ennahdha, d'Attayar et de Harak al-Irada, ont essayé, à leur manière de noyer le poisson dans l'eau en réclamant à la Commission de se pencher, également, sur les présumées participations de Tunisiens aux combats aux côtés des forces du régime syrien contre l'opposition. « Et pourquoi pas éplucher du côté des Tunisiens partis avant la révolution en Irak », ont revendiqué les mêmes parties. Or, pour les nouveaux points évoqués, et si on tient, en ces moments précis, à les déterrer, il serait plus judicieux de réclamer une autre commission pour s'en occuper. Toujours est-il que Leïla Chettaoui a tenu bon et crié, haut et fort, qu'elle ne se laissera pas intimider dans ses travaux d'investigations. D'ailleurs, les entraves sont venues, aussi, de membres à l'intérieur même de la Commission d'enquête qui ont appelé à la limitation des prérogatives de sa présidente et que toute démarche doit être proposée, discutée et approuvée par tous les membres de la Commission. En d'autres termes, une autre manière de la conduire à l'immobilisme.
Faisant preuve de cran, Leïla Chettaoui a préféré avancer d'une manière relativement rapide, énergique et efficace. Ainsi, après s'être entretenue avec les membres de la délégation de députés ayant fait le voyage à Damas pour rencontrer de hauts responsable syriens, avec à leur tête, le président Bachar El Assad, la présidente de la Commission d'enquête vient d'annoncer la prochaine étape de ses investigations. Elle a indiqué, à ce propos, que la séance d'audition du ministre de l'Intérieur, Hédi Majdoub, à l'ARP a permis de lever le voile sur un grand nombre d'éléments. Il ressort, selon elle, que les points relatifs à la première vague de départ vers les foyers de tensions ont été élucidés. Cette première vague a débuté durant le troisième trimestre de l'année 2012. « Les terroristes en question se rendaient dans les zones de combat par deux principaux moyens. Soit via les frontières séparant la Tunisie et la Libye avant de se rendre en Turquie puis vers la Syrie, soit via les aéroports Tunis-Carthage et celui de Thyna-Sfax ». A ce sujet, la députée a indiqué que l'Office de l'aviation civile et des aéroports (OACA) détient d'importantes informations sur les coordonnées de ces terroristes et leurs destinations. Chettaoui a annoncé que les ministres de l'Intérieur, de Transport, de la Justice et des Affaires étrangères, ainsi que des secrétaires d'Etat et des directeurs de la Sûreté nationale, de 2011 à aujourd'hui, seront prochainement convoqués pour être auditionnés sur le sujet des circuits ayant facilité le départ des jeunes tunisiens dans les foyers de tension. Elle a cité, notamment, Ali Laârayedh, Lotfi Ben Jeddou, Rafik Chelly et Ridha Sfar. « Le propriétaire de Syphax Airlines, Mohamed Frikha sera, quant à lui, amené à répondre aux questions que se posent un grand nombre de Tunisiens », a-t-elle assuré dénonçant par ailleurs les activités frauduleuses de deux associations tunisiennes, à Bizerte et Ben Guerdène, impliquées dans le départ de jeunes Tunisiens vers les foyers de tensions.
En effet, selon les observateurs, la Commission d'enquête devrait axer ses investigations d'une manière profonde et minutieuse sur ces fameux voyages organisés par la compagnie aérienne tunisienne privée en 2012 et 2013 vers la Turquie, plus précisément de l'aéroport de Thyna-Sfax vers celui de Sabiha, second aéroport à Istanbul. Sans prétendre adresser des accusations directes à l'encontre de cette compagnie, propriété de l'homme d'affaires, Mohamed Frikha, tout le monde s'accorde à dire que plusieurs zones d'ombre enveloppent cette affaire dont les tenants et aboutissants demeurent flous. Après avoir nié, en bloc, l'organisation du moindre voyage vers la Turquie, M. Frikha s'est ravisé en reconnaissant lesdits vols et qu'il avait nié, juste, le fait qu'ils étaient partis de Tunis-Carthage. Et on veut bien croire les paroles de Mohamed Frikha, député d'Ennahdha à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), lorsqu'il dit que sa mission s'arrête à la livraison des titres de transport, le reste étant du ressort des services de police et de douanes. Tout de même, une simple opération de vérification peut fournir des renseignements précieux. Tout d'abord, s'agissait-il de voyages en aller simple ou aller et retour. Ensuite, une deuxième opération de vérification peut être édifiante quant aux voyageurs ayant regagné le bercail et à ceux qui n'y ont plus remis les pieds, sans oublier qu'il est possible de savoir avec précision le montant des changes qu'ils ont effectués. Cela étant dit, il y a trop de cachoterie sur ces voyages dont on ne sait pas exactement le nombre qui serait entre 130 et 150, ce qui est énorme.
Par ailleurs, il serait bon de savoir le rôle de l'ex-ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou dans cette affaire. Il y a lieu de rappeler l'épisode du maintien de ce ministre à son poste dans le gouvernement des technocrates formé par Mehdi Jomâa qui a été contraint, sous la pression énorme d'Ennahdha, de le garder. On est curieux de savoir avec précision le pourquoi du forcing du parti islamiste pour le maintien de Lotfi Ben Jeddou quitte à faire capoter tous les résultats du dialogue national à l'époque. Dernier point dans cette affaire est cette correspondance adressée par l'Organisation tunisienne pour les forces de sécurité et le citoyen à l'ARP demandant à être auditionnée par la Commission à propos des réseaux des voyages dans les zones de tension. L'organisation affirme disposer d'informations concrètes sur lesdits réseaux et l'octroi des passeports à des personnes impliquées dans des actions terroristes.
Peut-on espérer, alors, un prochain résultat sur cette question qui préoccupe la classe politique et l'opinion publique ? On veut bien y croire dans la mesure où de nombreux indicateurs laissent entendre que la Commission d'enquête, plus particulièrement, sa présidente, est déterminée à réussir dans sa mission.